Tout comme le cinéma lors de ses premiers balbutiements, le jeu vidéo cherche depuis près de deux décennies à raffermir sa position en tant que forme d’art et non que simple attraction sensorielle, reprenant des disciplines artistiques l’ayant précédé - en particulier de la septième - les éléments pouvant lui être utiles pour ensuite les remodeler en fonction de ses propres dynamiques internes. Devant la popularité toujours grandissante du médium, le cinéma aura bien tenté de se réajuster en retravaillant parfois ses attributs à partir de rouages que des concepteurs vidéoludiques auront façonnés en s’inspirant au départ de ceux du septième art. Le tout dans le but d’offrir un produit plus compétitif, une expérience plus immersive, à une génération de spectateurs dont les sens doivent être continuellement stimulés. Une génération qui aura d’autant plus grandi en voyant les deux sources de divertissement progresser à une vitesse ahurissante sur le plan technologique. Face à un public visiblement très attaché à ses souvenirs d’enfance et leurs rejetons qui seront pratiquement nés avec une manette dans les mains,
Wreck-It Ralph s’impose comme un coup de maître d’un point de vue commercial, interpellant d’un seul coup deux, voire même trois, générations de joueurs - sérieux ou occasionnels - par l’entremise d’un récit qui saura satisfaire chacune d’entre elles pour des motifs aussi bien intemporels que plus spécifiques à chaque époque. Après avoir tenté de croiser les deux plateformes à deux périodes charnières de l’évolution du jeu vidéo avec les deux volets de la série
Tron, Disney revient à la charge avec une production carburant aux références à la manière d’un
Scott Pilgrim vs. the World tout en suivant à la lettre la recette classique élaborée par le studio d’animation.
Nous ne serons pas surpris de constater que l’univers du film de
Rich Moore (
Futurama,
The Simpsons) obéit sensiblement aux mêmes lois que celles qui régissaient le
Toy Story de
John Lasseter (qui agit d’ailleurs ici à titre de producteur exécutif.
Wreck-It Ralph se déroule à l’intérieur d’un centre d’amusement où, une fois la nuit tombée, les personnages des différents jeux vidéo se côtoient et mènent leur vie en voyageant d’une borne d’arcade à une autre par l’entremise des fils électriques et d’une barre d’alimentation prenant les traits d’une gare - ingénieusement baptisée Game Central Station. Nous ferons alors la connaissance de Ralph (
John C. Reilly), un vilain de service composant tant bien que mal avec son rôle de démolisseur depuis bientôt trente ans. N’arrivant pas à être perçu comme un individu respectable aux yeux des autres habitants de son jeu, le colosse entreprendra de remporter une médaille de bravoure dans un autre logiciel afin de prouver qu’il est lui aussi capable d’héroïsme et que sa vraie nature n’a rien à avoir avec celle de son alter ego. Un voyage des plus tumultueux qui le conduira jusque dans
Sugar Rush, un jeu de karting dans lequel il devra aider la jeune Vanellope (
Sarah Silverman), qui a elle aussi été rejetée par ses pairs en raison d’une erreur de programmation, afin que celle-ci puisse prendre part à une course dont l’issue pourrait lui permettre de figurer parmi les avatars sélectionnables à la réouverture de l’arcade. Ralph sera entretemps pourchassé par son éternel adversaire Fix-It Felix, Jr. (
Jack McBrayer) et Calhoun (
Jane Lynch), l’un pour tenter de ramener le géant à bon port avant qu’ils ne se retrouvent sans jeu dans lequel évoluer, l’autre pour empêcher qu’un virus n’anéantisse le monde sucré de Vanellope.
Ce qui ressort d’entrée de jeu du scénario de Jennifer Lee et Phil Johnston, c’est cette réelle compréhension des mécaniques du médium exploré, et surtout de la grande valeur culturelle de celui-ci, ce qui permettra au duo de légitimer rapidement cette manière évidemment on ne peut plus fantaisiste d’expliquer son fonctionner et de relever la résolution des conflits propres à un tel univers. Une attention que nous dénoterons également au niveau de la direction artistique alors que la création des environnements, la fluidité de l’animation et le niveau de détail des divers personnages auront tous été traités en tenant compte de l’ère de laquelle provient chaque jeu vidéo - réel ou fictif. L’ensemble est d’autant plus alimenté par des transitions tout aussi habiles entre les deux niveaux de représentation de ces différents mondes, entre les technologies d’animation d’aujourd’hui et les multiples générations d’engins graphiques. Il faut dire que toute la pertinence du discours tenu ici passe déjà par l’endroit où se situe l’action, ce lieu rassembleur en voie de disparation - plutôt que le salon où le joueur s’exécute désormais - sous-entendant ce profond sentiment de nostalgie comme l’éternel désir de revenir aux choses simples.
Wreck-It Ralph regorge du coup de clins d’oeil et de références, et ce, autant à une multitude de titres vidéoludiques qu’à la culture populaire d’hier et d’aujourd’hui, certains étant présentés comme tel, d’autres étant astucieusement incorporés à la diégèse du présent exercice. Le film de Rich Moore se jouera d’ailleurs de la présence de plusieurs figures mythiques issues de jeux comme
Pac-Man,
Street Fighter,
Super Mario Bros. et
Sonic the Hedgehog, pour ne nommer que les plus évidents, auxquelles l’équipe de marketing aura même réservé une place encore plus importante qu’aux personnages originaux.
À la base,
Wreck-It Ralph a tout d’une production typique des studios Disney de par son univers évidemment très coloré visuellement et la structure de son scénario enchaînant dans un ordre aussi précis qu’immuable des événements clés dont nous pourrons prévoir l’arrivée plusieurs séquences à l’avance. Le tout baigne bien évidemment dans cette bonne vieille morale dictant que l’habit ne fait pas le moine avec pour exemples deux personnages dont l’exclusion leur permettra de s’unir pour prouver leur valeur intrinsèque à leurs semblables. S’il n’y a absolument rien de nouveau sous le soleil sur ce plan dans le film de Rich Moore, ce dernier sera néanmoins parvenu à donner un peu plus de relief aux différents éléments de la production grâce à l’énergie contagieuse qu’il aura su lui insufflée et aux performances vocales tout aussi convaincantes d’une distribution idéalement assemblée. Comme la plupart des jeux vidéo, l’essence - comme la réussite - de
Wreck-It Ralph repose généralement sur des clichés clairement mis en évidence, mais exploités d’une manière suffisamment habile et sentie pour que l’ensemble puisse devenir engageant et nous faire prendre à coeur la quête des principaux personnages - même si nous ne sommes pas en mesure de les contrôler cette fois-ci. Le réalisateur sera d’autant plus parvenu à orchestrer certains moments dramatiques aussi prenants qu’attendrissants, mais jamais trop mièvres, faisant écho à certains des meilleurs élans en la matière du studio Pixar. Moore aura donc réussi à mener sa mise en scène en tenant compte des contraintes et contradictions de ce type de projets devant plaire avant tout à un public assez jeune, mais en marquant l’entreprise d’une touche de créativité plus mature, rendant ce monde qui n’a rien de réel soudainement plus chaleureux.