DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Beauty and the Breast (2012)
Liliana Komorowska

La noblesse des intentions

Par Jean-François Vandeuren
Il s’avère parfois difficile de demeurer totalement objectif face à un documentaire, en particulier lorsque le thème abordé nous touche de près ou si la production cherche à défendre une cause que nous ne pourrions imaginer plus noble. Mais le sujet à lui seul peut-il faire d’un film une réussite? Si tel est le cas, la démarche esthétique a-t-elle alors une quelconque valeur au coeur d’un processus n’ayant pour but que de recueillir et de livrer les témoignages d’individus liés personnellement et/ou professionnellement à la problématique dont il est question? Du coup, le premier venu pourrait-il se lever un matin, prendre une caméra et s’improviser documentariste? De telles interrogations nous viennent certainement à l’esprit durant le visionnement d’une oeuvre comme Beauty and the Breast, film aux intentions dignes d’éloges s’il en est un que nous livre l’actrice devenue productrice et réalisatrice Liliana Komorowska. L’exercice, déjà fort du prix du meilleur documentaire remporté quelques semaines plus tôt lors de l’édition 2012 du Festival des Films du Monde de Montréal, arrive évidemment à un moment des plus opportuns tandis que se poursuit le mois de la sensibilisation au cancer du sein. Les efforts de la cinéaste comme les tranches de vies chambardées qu’elle aura su immortaliser à l’écran se révèlent, certes, aussi pertinents qu’inspirants. Malheureusement, Komorowska ne parvient pas toujours à faire fi de plusieurs maladresses sur le plan visuel et narratif, erreurs typiques d’une nouvelle venue désirant souvent en faire plus que ce qui est réellement nécessaire.

Nous redouterons d’ailleurs le pire durant les premières minutes alors que la réalisatrice présentera tour à tour les neuf femmes atteintes du cancer dont elle infiltrera la réalité en appuyant cette entrée en matière d’une musique sombre et criarde qui nous donnera l’impression d’avoir affaire à un thriller de bas étage, dans lequel la menace - la maladie - n'aurait pas perdu une seconde avant de s’attaquer à ses victimes, plutôt qu’à un documentaire en bonne et due forme. Le tout en plus de recourir de manière abusive au split screen pour tenter de dynamiser une facture visuelle qui n’avait pourtant pas besoin d’autant d’artifices pour créer l’effet escompté. L’emploi de tels stratagèmes laisse évidemment paraître un certain manque de confiance de l’instigatrice envers ses images et leur capacité à capter l’attention du spectateur et à inspirer les émotions voulues chez ce dernier. Une incertitude qui s’avère d’autant plus désolante dans ce cas-ci étant donné que Komorowska avait en soi toutes les cartes en main pour arriver à un résultat des plus poignants, lequel se serait révélé beaucoup plus marquant si la cinéaste avait su privilégier une approche un peu plus sobre. Mais sous autant de fioritures, allant de l’utilisation souvent inutile de compositions mélodramatiques en trame de fond à celle des méthodes de montage les plus éculées du genre, se terre tout de même un discours important que la Québécoise d’origine polonaise déploie en faisant toujours preuve d’une grande empathie. Beauty and the Breast témoigne ainsi du profond désir de vaincre de ces femmes, mais aussi de leur manque de repères et de munitions face à un ennemi laissant souvent des traces indélébiles sur les corps de celles ayant malencontreusement croisé son chemin.

Le combat que met en scène Beauty and the Breast est évidemment celui de femmes - et des hommes à leurs côtés - devant soudainement faire face à la mort, mais également composer avec la peur de devoir sacrifier une partie jugée importante de leur féminité pour pouvoir continuer à vivre. C’est d’ailleurs sur cette réaffirmation de ce qui fait d’elles des femmes en dehors de leurs attributs physiques que repose une grande partie du discours de Komorowska. Il faut dire que deux des neuf femmes ayant bien voulu participer au présent projet se révèlent être des mannequins professionnels, détail venant particulièrement renforcer ce rapport à l’image et à la beauté extérieure. La plupart d’entre elles seront prêtes à faire face à la mastectomie en se disant confiante de pouvoir vivre une vie normale après coup. Au-delà de cette solution extrême, mais parfois inévitable, les principales concernées ne pourront que se sentir des plus démunies, devant lutter au quotidien en se tournant vers des ressources dont l’efficacité demeure encore à prouver, entre la chimiothérapie et diverses formes de médecine alternative - témoignant bien d’une telle incertitude. Le tout en affirmant leur volonté de poursuivre leur parcours en demeurant au centre du monde, que ce soit par le port d’une perruque ou en continuant de pratiquer les activités qui leur son chères. La charge se révélera cependant beaucoup trop lourde à porter pour certaines - l'une des femmes quittera d’ailleurs la production après avoir reçu son diagnostique, ne croyant pas être assez forte pour passer à travers cette dure épreuve devant les caméras.

Beauty and the Breast témoigne également du mouvement de solidarité entourant la lutte contre le cancer du sein par l'entremise des différentes marches et autres campagnes de sensibilisation organisées massivement chaque année pour entretenir la mémoire des disparues et soutenir celles devant poursuivre cette guerre sans merci. Le documentaire de Liliana Komorowska s’inscrit en soi dans cet élan en venant affirmer la force de caractère et le courage immense des femmes qu’elle aura accompagnées pendant et suite à ces moments se voulant assurément les plus difficiles de leur existence. Il faut dire que certaines des femmes qui nous seront présentées n’auront pas survécu au film leur étant dédié, rendant ces dernières images, cet ultime constat d’une réalité dont la société semble heureusement de plus en plus consciente, d’autant plus bouleversantes. C’est d’ailleurs de par ce caractère plus personnel - définissant un film examinant sa problématique à partir d’individus tout de même issus de milieux et de générations des plus diversifiés - que la réalisatrice aura pu conserver l’essence et la chaleur des témoignages recueillis et ainsi inspirer rapidement un sentiment d’empathie chez le spectateur envers ses sujets. Ainsi, si Beauty and the Breast a parfois tendance à couper les coins un peu trop ronds en abordant certains éléments de manière plutôt superflues, il en ressort malgré tout un document prouvant son intérêt au-delà de la facilité de plusieurs images et compositions plus que clichées formant une facture esthétique somme toute peu travaillée en parvenant à communiquer clairement son message et ses intentions.
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Critique publiée le 19 octobre 2012.