DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
L’équipe Infolettre   |

Taken 2 (2012)
Olivier Megaton

Les conséquences

Par Jean-François Vandeuren
Autant Luc Besson devait bien se douter qu’il avait une formule gagnante entre les mains avec Taken, autant ce dernier n’aurait pu prévoir le succès fulgurant qu’allait connaître la production, en particulier de ce côté-ci de l’Atlantique. Il faut croire que le public adore voir Liam Neeson sortir de ses gonds et élever son jeu non pas qu’à des fins dramatiques, mais aussi pour empiler furieusement les cadavres dans une quête de justice menée sans relâche, et surtout sans merci. Une telle réussite commerciale ne pouvait évidemment signifier que nous aurions droit tôt ou tard à un second opus. Comme il l’avait fait pour le troisième épisode de la série The Transporter, c’est à Olivier Megaton que Besson aura confié la tâche de reprendre la barre du navire que Pierre Morel avait su mener si habilement à bon port. Les bases sur lesquelles semblera vouloir s’appuyer Taken 2 en début de parcours nous apparaîtront d’ailleurs des plus prometteuses. Les cadavres des criminels assassinés par Bryan Mills (Neeson) dans le premier film seront ainsi enterrés dans leur village natal en Albanie, où les membres de leurs familles et amis seront alors bien déterminés à faire la peau à celui ayant semé l’émoi dans la région. Un récit de vengeance qui, entre de bonnes mains, aurait pu déboucher sur une réflexion sensée sur les conséquences de la justice personnelle au-delà des notions de bien et de mal. Mais même durant ses belles années, Luc Besson n’aura jamais été reconnu comme un cinéaste faisant dans la dentelle et la démarche derrière Taken 2 s’avère être aussi mince et unidimensionnelle que nous pouvions le redouter.

C’est à Istanbul que le groupe de malfrats tentera d’exercer sa vengeance sur le protagoniste et sa petite famille, qui sera venue le rejoindre à la fin d’un contrat pour passer du bon temps et ressouder certains liens - l'assurant du coup d’avoir quelques ressources à sa disposition lorsque le voyage tournera inévitablement au vinaigre. Notre héros aux méthodes aussi musclées que réfléchies devra dès lors tout tenter pour échapper aux griffes de ses ennemis, assurer la sécurité de ses proches, et avoir la paix une bonne fois pour toute. Les conditions étaient ainsi réunies pour que Megaton, Besson et son coscénariste Robert Mark Kamen puissent offrir à leur public ce qu’il voulait en ne le déstabilisant évidemment pas outre mesure. Le problème, c’est que nous ne retrouvons rien ici des sentiments d’urgence et d’identification au personnage principal sur lesquels reposait le suspense du premier exercice. Besson et Kamen n’auront d’ailleurs su trouver de manière aussi efficace pour réintroduire leur protagoniste, comme ils avaient poussé à l’extrême l’image d’un père cherchant tant bien que mal à se rapprocher de son unique fille, et qui allait ultimement devoir lui sauver la vie. Nous aurons plutôt droit cette fois-ci à une longue et laborieuse entrée en matière qui ne fera que retarder davantage le début des hostilités. La suite sera l’enfilade de poursuites, de fusillades et de combats à mains nus à laquelle nous nous attendions. Le tout baignant toutefois dans une confusion qui, plutôt que de donner un peu plus de fil à retordre à Bryan, nous donnera plutôt l’impression que le film tourne en rond et n’accumule les péripéties que pour se rendre à la marque fatidique des quatre-vingt-dix minutes.

C’est ce qui fait au final que la réponse du spectateur engendrée par l’action s’avère beaucoup moins intense que lors du premier tour de piste. Car en plus de nous entraîner vers certaines des avenues les plus éculées du genre, Megaton et ses acolytes l’auront fait d’une manière si mécanique que les enjeux ne transcenderont plus le spectacle comme ils avaient pu le faire sous la supervision de Pierre Morel. Il faut dire que la démarche technique du réalisateur de Colombiana se révèle également beaucoup moins maîtrisée que celle du cinéaste derrière Banlieue 13. Megaton ne se gênera pas non plus pour récupérer sans créativité ni conviction les méthodes qu’avait employées Paul Greengrass pour la réalisation de ses deux épisodes de la saga Jason Bourne - comme cela semble être devenu la norme dans ce genre de cinéma - lors d’une poursuite typique de cette dernière, en plus de se payer un hommage aussi peu subtile que réussi au Drive de Nicolas Winding Refn. L’ensemble ne sera guère rehaussé par un montage souvent trop nerveux, révélant de nouveau la nature beaucoup trop brouillonne d’une mise en scène peinant à rendre enlevantes des séquences d’action souffrant d’une exécution médiocre manquant parfois cruellement de dynamisme. Une telle paresse affligera rapidement les moindres facettes du présent effort alors que Besson et Kamen nous resserviront évidemment les mêmes moments clés ayant fait du premier film une telle réussite, mais sans toutefois parvenir à en renouveler l’impact, intégrant ceux-ci à la trame narrative de ce deuxième volet d’une manière apparaissant beaucoup trop forcée, et ce, même pour un contexte de suite.

Cela ne veut pas dire malgré tout qu’il n’y a absolument rien à se mettre sous la dent dans Taken 2, qui propose bien sa part de répliques mémorables et de moments aussi absurdes que délicieusement violents. Nous sentirons moins également les traces d’un racisme sous-jacent dans le discours de Besson et Kamen alors que le combat que livrait un Occidental blanc au coeur d’un Paris où la représentation - à une exception près - des immigrants et des membres d’autres communautés culturelles comme des criminels de profession et des êtres nuisibles pouvait évidemment laisser un goût des plus amers. C’est néanmoins en allant quelque peu à l’opposé des héros du cinéma de Pierre Morel, qui sont généralement appelés à faire le sale boulot de façon expéditive et sans détour, que Taken 2, avec sa version beaucoup plus vulnérable de Bryan Mills, perd du charme du plaisir coupable de voir un homme mettre un univers criminel sens dessus dessous tel un bulldozer, et dans des conditions pour le moins improbables. Megaton nous laisse en bout de ligne avec un film de série B n’ayant tout simplement pas la vision nécessaire pour rendre de telles nuances suffisamment consistantes. L’exécution des séquences plus fleur bleue se révélera évidemment tout aussi grossière alors que le réalisateur sortira les violons, les feux d’artifices (littéralement) et les fous rires complices dans un enrobage n’ayant rien de naturel. Bref, si Liam Neeson demeure égale à lui-même dans un rôle mettant toutefois ses atouts beaucoup moins en valeur, Taken 2 a tout de la suite ratée type du cinéma d’action, ressortant la même artillerie en tentant d’amplifier l’explosion, mais en ayant visiblement oublié ce qui faisait l’efficacité du film original en premier lieu.
5
Envoyer par courriel  envoyer par courriel  imprimer cette critique  imprimer 
Critique publiée le 9 octobre 2012.