L’élément déclencheur de
Trouble with the Curve, premier long métrage de
Robert Lorenz - qui aura agi à titre d’assistant et/ou de producteur sur la plupart des réalisations de
Clint Eastwood au cours des dix dernières années -, s’impose d’emblée comme une réplique aux théories avancées dans le puissant
Moneyball de
Bennett Miller. À l’approche de la séance de repêchage dans le baseball majeur, le vétéran dépisteur Gus Lobel (
Eastwood) - avec la complicité de son vieil ami et collègue Pete Klein (
John Goodman) - tentera de faire comprendre à ses supérieurs que le potentiel d’un athlète ne peut pas être évalué que par l’entremise d’un ordinateur et d’un logiciel de statistiques. Une simple machine ne saurait déceler et communiquer les angoisses d’un joueur lorsque celui-ci traverse une période difficile comme elle ne saurait relativiser ses succès, conclusions auxquelles peuvent mener à l’opposé l’expérience et l’instinct humains, et ainsi éviter à une formation de se retrouver avec un citron lorsqu’elle aurait pu aller chercher un futur champion. C’est dans une telle conjoncture, où les méthodes du passé seront de plus en plus menacées par la réalité du marché et des technologies d’aujourd’hui, que Gus se retrouvera soudainement beaucoup plus près de la retraite que d’une renégociation de son contrat. Pour compliquer la donne - et intégrer quelques éléments dramatiques allant au-delà du sport professionnel - Gus commencera à souffrir de sérieux troubles de la vision. Un obstacle supplémentaire qui viendra passablement perturber son travail à quelques jours de la sélection. Pete demandera alors à la fille de Gus, Mickey (
Amy Adams), d’accompagner ce dernier dans un voyage en Caroline du Nord afin de l’aider à juger du potentiel d’un jeune prodige que plusieurs voient déjà comme la prochaine superstar des ligues majeures.
Si la passion pour le baseball transpire à travers les moindres pores de
Trouble with the Curve, soulignant continuellement sa noblesse comme son côté rassembleur et la dimension mythique de ses plus grands exploits, le passe-temps de l’Amérique deviendra rapidement un enjeu secondaire dans un scénario tournant davantage autour d’une femme ayant consacré sa vie à son travail et qui aimerait bien profiter du présent périple pour régler quelques comptes avec son paternel. Nous ne devrons évidemment pas attendre très longtemps avant de voir ressortir les sentiments de nostalgie d’usage face à une époque révolue, à des traditions en voie de disparition qui nous rendaient plus humains et nous faisaient moins paraître comme les engrenages facilement remplaçables d’une roue tournant toujours un peu plus vite. Mickey se retrouvera d’ailleurs dans une situation comparable à celle de son père, elle qui devra se battre en n’ayant que très peu de marge de manoeuvre pour tenter d’obtenir une importante promotion au sein de son cabinet d’avocats. Le scénario de Randy Brown exploite ainsi le cliché on ne peut plus éculé de la femme carriériste ayant sacrifié sa vie personnelle pour atteindre les sommets de sa profession qui verra ses priorités être chamboulées lorsqu’elle renouera avec l’Amérique profonde - et résolument blanche - et son esprit de communauté et ses plaisirs simples de la vie, en plus de reprendre conscience de la valeur de la famille et de l’amour. Il s’agit en soi de la prémisse d’une quantité astronomique de comédies romantiques - ce qu’est à bien des égards
Trouble with the Curve bien avant d’être un film sportif - alors que Mickey devra se donner la chance de se rapprocher de Johnny (
Justin Timberlake) tout en prouvant sa grande valeur au sein d’un milieu ordinairement réservé aux hommes.
Le problème majeur du film de Robert Lorenz, c’est que le moindre élément dramatique, la moindre piste de réflexion sur laquelle il lance son public, s’avère traité d’une manière si convenue, voire parfois si manichéenne, qu’il finit inévitablement par devenir inconséquent au sein d’un tel discours. La résolution du conflit entre une fille et son père, dont celle-ci aura passablement souffert de l’absence comme du manque de communication et d’affection suite à la mort de sa mère, sur laquelle repose l’essence du présent récit se produira de façon si brusque et simplette que nous ne pourrons que nous questionner quant à la réelle pertinence de son déploiement dans une production qui avait pourtant tant de bases sur lesquelles s’appuyer. Il en va malheureusement de même pour les séquences traitant plus particulièrement de baseball alors que Brown et Lorenz donneront évidemment raison à leur protagoniste en bout de ligne, mais en ayant tout fait précédemment pour présenter le personnage du potentiel premier choix sur lequel Gus devait enquêter comme un être foncièrement narcissique et désagréable. Un traitement devant rendre l’inévitable revers de ce dernier - aux mains d’un joueur (sud-américain) plus respectueux et amoureux du sport, mais n’ayant pas eu droit aux mêmes privilèges que la vedette des rangs juniors - aussi satisfaisante que salutaire, et ce, autant pour les principaux personnages que le spectateur. Le tout se révèle évidemment on ne peut plus réducteur et manipulateur alors que le duo n’arrivera en bout de ligne à prouver son point que par l’entremise d’entourloupes scénaristiques n’ayant rien de subtil ou d’objectif. Un manque de nuance au niveau des intentions ne pouvant au final que laisser un goût très amer.
Trouble with the Curve tente ainsi d’aborder un nombre considérable de thèmes puissants par le biais de drames de différentes natures, mais d’une manière qui ne s’avère jamais suffisamment sentie ou consistante, voire tout simplement honnête. Un traitement qui ne pourra que rendre l’ensemble de plus en plus prévisible et de moins en moins captivant sous toute la gamme de bons sentiments que ses maîtres d’oeuvre chercheront à nous faire avaler à travers un amas de clichés rendant parfois la sauce si épaisse qu’elle nous faire frôler l’indigestion à quelques reprises. La production n’est aucunement rehaussée également par la réalisation routinière et anonyme d’un Robert Lorenz qui, ironiquement, aurait pu être facilement remplacé. La mise sera néanmoins sauvée de justesse par les interprétations d’une Amy Adams toujours solide, d’un Justin Timberlake offrant une performance suffisamment sympathique dans un rôle de médiateur, et un Clint Eastwood parvenant encore à soutirer quelques rires dans la peau d’un vieux grincheux dont les problèmes liés au vieillissement seront évidement soulignés à gros traits. Pour sa première apparition à l’écran depuis l’excellent
Gran Torino de 2008, et pour la première fois en près de vingt ans dans un film qu’il n’a pas réalisé, Eastwood se retrouve au centre d’un projet n’ayant rien de la finesse sous-jacente de ses oeuvres les plus récentes. Des efforts qui, malgré certaines maladresses, faisaient toujours part d’une audace flirtant avec l’entêtement d’un cinéaste dont le désir de provoquer par la forme comme le fond ne pouvait qu’être salué. De son côté,
Trouble with the Curve a tout d’un film de fin de carrière exécuté sans vigueur ni imagination pour un géant du cinéma qui, à l’image du personnage qu’il interprète ici, est pourtant encore capable de grandes choses.