DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Ruby Sparks (2012)
Jonathan Dayton et Valerie Faris

Création littéraire

Par Jean-François Vandeuren
Dans son excellent Midnight in Paris, Woody Allen permettait à son éternel personnage d’auteur névrosé (interprété cette fois-là par Owen Wilson) de réaliser son rêve de retourner dans le Paris des années 20 pour en vivre l’ébullition artistique et ainsi côtoyer certaines des figures artistiques les plus importantes du XXe siècle. L’idée d’intégrer une prémisse aussi fantaisiste à une mise en situation qui semblait pourtant des plus banales au départ fonctionnait allègrement ici, car le cinéaste américain aura su traiter celle-ci avec une étonnante simplicité en l’accordant toujours avec le penchant plus moderne et terre à terre de son scénario. Le spectateur n’avait du coup aucune difficulté à accepter ces événements, aussi improbables puissent-ils être, comme quelque chose de tout à fait possible et vraisemblable dans le contexte de ce récit en particulier. Avec le présent Ruby Sparks, le duo formé de Jonathan Dayton et Valerie Faris (réalisateurs du très populaire Little Miss Sunshine), tente à son tour de tirer profit de pareil stratagème en permettant de nouveau à l’impossible de se produire au coeur d’une histoire en apparence tout ce qu’il y a de plus ordinaire. L’expérience se révélera toutefois un peu plus laborieuse en débout de parcours alors que les deux cinéastes se joueront davantage de l’incrédulité de leur protagoniste face à tout ce qui est subitement en train de lui arriver, et ce, de la manière la plus typique de ce genre d’entreprises. Heureusement, ces derniers réussiront avec le temps à tourner le tout en une représentation assez simple, mais néanmoins habile et fort sentie des relations amoureuses.

Comme dans Midnight in Paris, le personnage principal de Ruby Sparks s’avère être lui aussi un auteur qui aura la chance de voir l’une de ses obsessions se matérialiser sous ses yeux. Ainsi, après que son psychiatre lui ait fortement conseillé de mettre en mots cette femme mystérieuse qui habite ses rêves depuis un certain temps, Calvin Weir-Fields (Paul Dano), un romancier dont le génie aura été reconnu alors qu’il était très jeune et qui souffre depuis du syndrome de la page blanche, se mettra soudainement à écrire sans relâche sur ce nouvel idéal féminin qu’il baptisera Ruby Sparks. Un beau matin, le jeune homme, qui a de toute évidence énormément de difficulté à gérer ses relations avec les femmes, trouvera sa création dans sa cuisine, en chair et en os, lui faisant à déjeuner comme si tout était absolument normal. Stupéfait, Calvin découvrira vite qu’il n’a pas encore perdu la tête puisqu’il ne sera pas le seul à pouvoir voir cette femme sortie tout droit de son esprit à laquelle il aura réussi à donner vie par l’entremise de sa bonne vieille machine à écrire. La relation entre Calvin et sa création se développera ensuite comme le principal intéressé pouvait l’espérer, et ce, même si le caractère introverti et anxieux de ce dernier se révélera aux antipodes de celui beaucoup plus pétillant de sa douce moitié imaginée. Ce sera du moins le cas jusqu’à ce que Ruby (Zoe Kazan) réclame davantage d’autonomie. Heureusement pour Calvin, ce dernier aura le pouvoir de changer les désirs comme la personnalité de sa copine en n’appuyant que sur quelques touches.

Évidemment, chaque changement que tentera d’apporter Calvin à l’humeur et à la personnalité de Ruby ne produira jamais l’effet escompté, transformant plutôt celle-ci en un être de plus en plus unidimensionnel, tel le monstre sur lequel le docteur Frankenstein aura fini par ne plus avoir aucun contrôle. Ce propos sur l’importance de savoir laisser l’autre respirer dans une relation amoureuse en lui permettant de suivre son propre parcours sera, certes, illustré à gros traits dans Ruby Sparks. Le tout découlant de l’insécurité et du manque de confiance en soi chronique affligeant le protagoniste, lui qui craindra toujours que Ruby ne lui file entre les doigts et ne se retrouve entre les griffes de quelqu’un d’autre, notamment d’un auteur rival (Steve Coogan). Une piste qui ne sera malheureusement qu’effleurée par Kazan, qui agit également ici à titre de scénariste, alors que celle-ci aurait pourtant pu facilement prendre la forme d’un vol artistique dans une telle mise en situation. L’effondrement graduel - et inévitable - de l’histoire de Calvin et Ruby sera néanmoins habilement édifié par la jeune auteure alors que la relation étouffante dans laquelle l’un tentera d’emprisonner l’autre fera perdre toute sa saveur à une idée qui était pourtant si belle et si simple au départ, mais que le protagoniste aura trop voulu changer à sa propre convenance. Kazan prête ses traits avec toute l’énergie désirée à ce fantasme de tout jeune mâle solitaire désirant s’amouracher d’une fille aussi imprévisible et colorée, respectant cette notion voulant que les contraires s’attirent, en particulier au cinéma. Le présent récit ne pourra du coup que débouler vers un climax bouleversant où Calvin ruinera définitivement sa création, mais assimilera par la même occasion cette leçon fondamentale qui lui permettra finalement d’évoluer.

Les outils de travail de Calvin seront d’ailleurs révélateurs de ses états d’âme comme des aspirations de Kazan, Dayton et Faris, entre la bonne vieille machine à écrire qui permettra à l’impossible de se produire et l’ordinateur portable dont ne sortira aucune magie, mais qui amènera enfin son utilisateur à composer avec le présent et à regarder vers l’avenir. Dans ses moindres élans, Ruby Sparks tendra vers l’idée que l’amour n’est jamais acquis, qu’une relation ne peut être inventée et que l’un doit savoir apprivoiser l’autre afin que chacun puisse y mettre du sien et demeurer lui-même. Une morale que livre Kazan par l’entremise d’un scénario, certes, d’une grande simplicité, mais dont les concepts s’avèrent habilement édifiés, lesquels seront rendus à l’écran par un duo de réalisateurs qui aura su injecter avec style cette dose de fantaisie au moule traditionnel de la comédie romantique indépendante américaine, elle qui semble trop souvent intéressée à faire la promotion des idéaux artistiques et des goûts raffinés de ses créateurs plutôt que de faire réellement progresser un genre stagnant. Le présent exercice ne cherche cependant jamais à s’éloigner des bases on ne peut plus familières sur lesquelles il s’appuie, présentant notamment une gamme de personnages secondaires purement accessoires, mais tout de même fort sympathiques, allant du grand frère détendu au beau-père vivant à fond sa vie d’artiste hippie, campées par une surprenante brochette d’acteurs allant d’Annette Bening à Elliott Gould en passant par Antonio Banderas. L’ensemble se fraie, certes, un chemin à travers bon nombre des clichés d’usage de ce type de productions, mais d’une manière paraissant néanmoins sincère, conférant cette chaleur humaine au récit de cet écrivain qui, pour sa part, en aura fait l’objet de sa quête.
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Critique publiée le 10 août 2012.