Après un premier court-métrage qui avait eu sa part de prix à l’international, Richard Bates Jr. revient avec l’inévitable version longue de son film à succès.
Excision, grande sœur du précédent opus, dilate ce qui n’était qu’une anecdote terrifiante, une bonne nouvelle sous forme de nouvelle en une suite épisodique de séquences efficaces au rythme malheureusement saccadé – entre 17 minutes et 81 minutes, il y a une certaine zone tampon d’apprentissage à respecter pour ces créateurs qui se basent sur les chocs horrifiants, plutôt que sur un lyrisme inspiré et c’est donc dire que le bon cinéma de genre se maîtrise dans la technique et qu’il se suffit rarement dans la passion. Ayant encore quelques marches à gravir avant d’en arriver à ce statut si prisé de conteur, Bates Jr. s’est précipité sur le succès que lui apporterait un film de genre où les noms de
Traci Lords (reine du porno des années 80),
Ray Wise (
Twin Peaks et tant d’autres),
Malcom McDowell et
John Waters (nul besoin de les introduire) figureraient au générique aux côtés de sa starlette
AnnaLynne McCord, petite fille précieuse de la télé américaine pour adolescentes surmaquillées qui se transforme ici en monstre d’une féminité hérissée de pics vénéneux.
Excision vient donc répondre à de nombreuses attentes. Désir de voir à l’écran des légendes jouer les adultes et les professeurs d’une école secondaire, désir de voir un récit de passage à l’âge adulte aussi gore qu’un slasher, mais aussi immature que Clueless, Bates Jr. parvient à soutenir le suspense de son entreprise par une série de scènes où l’équilibre entre sa poésie morbide (favorisée par des séquences de rêve extrêmement réussies et des plans frontaux à la théâtralité assumée) et le quotidien étasunien qu’il dissèque (jusqu’aux sermons du pasteur John Waters). Réussite à bien des niveaux, l’histoire de Pauline est d’abord une critique de l’état d’esprit républicain, baptiste et créationniste qui abonde dans une Amérique perçue à travers l’œil d’un nouveau réalisateur dont le cynisme sans une once de respect est la grande qualité tout comme le plus grand défaut.
C’est pourquoi il n’a pas de remords à faire un sketch rêvé où un docteur clownesque prend du ventre du protagoniste un embryon bien formé pour le brûler dans un four crématoire en forme de sécheuse. Jeu à deux tranchants à propos des débats sur l’avortement, il défend le choix des femmes aux dépens des droits de l’embryon, mais il ne le fait pas sans se permettre une gifle insouciante : « d’accord, permettons l’avortement, mais regardez tout de même ce dont vous vous débarrassez » (comme si l’avortement ne pouvait être une épreuve en soit). Moraliste qui utilise l’immoralité pour choquer, ses idées sur l’adolescence sont composées de paradoxes qui reposent essentiellement sur le plaisir d'horrifier (petite vertu pourtant embrassée par un nombre de plus en plus imposant de soi-disant auteurs). Défenseur de la féminité de Pauline, il l’est en imposant à son personnage un rôle de garçon manqué boutonneuse et sans manières. Pauline cherche à se faire aimer et nous touche dans cette quête lorsqu’elle tente de sortir de cette enveloppe qui ne lui a jamais plu; ce n’est pas par faute d’avoir essayé, car dès l’enfance, elle était condamnée à avoir des défauts (son père, porteur d’un feu sauvage sur les lèvres, lui a fait un bouche-à-bouche salvateur sur le bord d’une piscine municipale). Monstre créé par l’incompréhension du monde des adultes à son égard, l’héroïne prendra même plaisir à faire l’amour au footballeur de l’école alors qu’elle est accablée par ses règles.
Si l’image d’un macho en puissance au visage ensanglanté par les menstruations d’une veuve noire adolescente est probablement drôle, le gag (celui-là, comme bien d’autres) pousse le bouchon de l’excès toujours trop loin. Au fil de ses scènes, c’est ce bouchon que nous sentons s’enfoncer, s’enfoncer à un point tel qu’il est à ras le goulot et qu’il est finalement tellement pressé par la succession d’idées louches qu’il tombe dans la bouteille et gâche le vin (rouge) que nous attendions tous de la finale. Moins tragique qu’elle aurait pu l’être, la conclusion aurait bénéficié d’une certaine retenue maintenue au préalable. Comme s’il ne voyait pas plus loin qu’au bout de son nez ou qu’au moment fatidique où l’auditoire d’un festival de cinéma de genre allait l’applaudir pour avoir baptisé sa jeune héroïne vierge dans son propre sang vaginal, Bates Jr. n’a pris plaisir qu’à l’accomplissement des séquences violentes qu’il avait méticuleusement imaginé (comme Pauline imagine ses victimes). Pourtant capable de mettre en place un quotidien comique, il a manqué de souffle. Son manque d’inspiration conceptuel comme technique qui justifie habituellement le passage au long-métrage nous a prouvé qu’il tenait là soit un court métrage (comble du malheur, il l’a déjà tourné), soit un projet pour la télévision. Pas une série entière, mais plutôt un épisode de Creepshow.
Le problème du cinéma de genre, c’est qu’il s'abandonne dans le genre et qu’ici, dans cette version gore de
J’ai tué ma mère, le rythme trop télégraphié et routinier laisse deviner que trop de pages ont été écrites pour remplir les blancs. Preuve en est, de nombreux plans d’un style discutable présentent Pauline en prière devant un Dieu à qui elle confie ses désirs les plus dérangés. Évitant d’apposer une voix-off à ses séquences scolaires qui lui auraient permis de gagner du temps et d’approfondir la personnalité de son personnage, la narration de Bates Jr. reste en surface et refuse de plonger si ce n’est que dans ses mares de sang. Le conflit entre une mère et sa fille ne mérite approfondissement qu’en cas de massacre. Les masques ne tombent que si on les fracasse. La logique d’
Excision qui fait intervenir brillamment les fantasmes érotiques dans les rêves de chirurgienne de Pauline fait finalement place à du gore tout court. Là où certains passages parviennent à jouer des intérieurs et des extérieurs (avec comme passerelle d’accès le tampon ensanglanté d’abord, le scalpel ensuite), les thématiques psychotiques de la jeune fille bifurquent vers l’amour qu’elle ressent pour sa petite sœur. Souhaitant probablement faire ce qui avait propulsé
Lucky McKee aux devants de la scène du cinéma d’horreur avec
May, il n’a pas non plus pris note de ce que
The Woman avait accompli l’an dernier. Moins exigeant, plus comique, Bates Jr. signe un premier film sympathique, parsemé de petites bonnes idées isolées les unes des autres par des banalités oubliables, révélatrices d’un jeune passionné qui, comme sa chirurgienne déjantée, s’est cru artiste par excès de zèle.