La narration en voix off est un art vers lequel se seront tournés bien des cinéastes à au moins un moment durant leur carrière, mais que peu auront réellement maîtrisé en bout de ligne. Il est néanmoins facile d’identifier les artistes qui auront opté pour un tel stratagème dans le but d’apporter une dimension supplémentaire à leur oeuvre et ceux qui s’en seront simplement servis comme béquille, faute de s’être cassé la tête pour trouver une meilleure façon d’introduire leur protagoniste et son univers au spectateur. Un manque d’imagination qui transparaît généralement à travers l’inconstance dans la façon dont est employé pareil rouage, les pensées du personnage principal ne nous étant alors exposées qu’en début et fin de parcours. Une première impression n’ayant évidemment rien pour nous mettre en confiance tandis que nous ne pourrons que remettre en question la qualité de l’écriture entre ces deux pôles après avoir vu le cinéaste aux commandes faire preuve d’une telle paresse d’entrée de jeu. Après une absence d’une décennie au grand écran, c’est de cette façon que la Québécoise
Manon Briand nous réintroduira à son cinéma et nous présentera, par la même occasion, Émilie (
Stéphanie Lapointe), qui, de sa voix enfantine, décrira son quotidien à titre de « fille du vestiaire » du bar Liverpool. La vie peu agitée de la jeune femme prendra une tournure pour le moins inattendue lorsqu’elle se fera passer pour la fille biologique d’un homme d’affaires gravement malade que ce dernier tenait absolument à rencontrer avant de s’éteindre. Émilie se retrouvera dès lors au centre d’une tortueuse histoire de succession auxquels sont mêlés David (
Louis Morissette), le fils légitime du mourant, et la pègre montréalaise.
Heureusement pour notre jeune héroïne aussi idéaliste que candide et téméraire, celle-ci pourra compter sur le support d’un admirateur secret, Thomas (
Charles-Alexandre Dubé), dont elle est elle aussi secrètement amoureuse, pour tenter de découvrir ce que cachent véritablement toutes ces manigances. Tel le mythique duo de la série
Les intrépides, nos tourtereaux en devenir n’hésiteront pas à jouer d’audace et à se frotter à des adversaires contre qui ils n’auraient normalement aucune chance pour que le bien puisse enfin triompher du mal. Il faut dire que ces derniers recevront un bon coup de main de la part de la réalisatrice, qui multipliera les raccourcis narratifs et les coïncidences plus ou moins crédibles pour permettre à ses héros ordinaires de venir à bout de leur quête. Et comme l’aura fait
Brad Bird pour Ethan Hunt et de ses acolytes dans le trépidant
Mission: Impossible - Ghost Protocol, Manon Briand fera elle aussi preuve d’une grande générosité envers ses personnages en mettant à leur disposition toute la gamme de produits Apple, dont l’utilisation au nom de la vérité et de tout ce qui est juste permettra au présent exercice de repousser les limites du placement de produit. Cette visibilité excessive offerte à cet important commanditaire va néanmoins de pair avec un discours sur le travail actuel des médias de masse et des journalistes, que le cinéaste tournera continuellement en dérision tout en faisant l’éloge, à l’opposé, de cette voix citoyenne par qui passe à présent la « vraie nouvelle » grâce aux médias sociaux. Une glorification des technologies de communication qui entrera étrangement en contradiction avec cette réalité vétuste dans laquelle Émilie aurait bien aimé se retrouver.
La cinéaste québécoise ne se gênera d’ailleurs aucunement pour nous servir tous les clichés de la solitude urbaine à travers cette jeune femme partie des régions éloignées pour s’installer en ville dans l’espoir d’y vivre une vie de bohème et de rencontrer des gens avec qui elle pourrait discuter d’art dans les cafés les plus branchés. Évidemment, Émilie sera vite confrontée à cette modernité réunissant les gens dans un univers virtuel, mais les éloignant considérablement dans la réalité - comme dans cette séquence dans un café où tous les clients sembleront hypnotisés par leur écran d’ordinateur, ne tolérant aucun bruit ambiant. Mais, comme tout le reste, cet amour romantique et ce sentiment de nostalgie qu’entretiendra Émilie pour cette ère révolue, elle qui, étant beaucoup trop jeune, n’aura pu y goûter que par l’entremise de l’imaginaire des autres, seront illustrés par Briand d’une manière tout aussi rudimentaire. La réalisatrice semblera effectivement croire qu’il ne suffit que d’appeler un chat Jack Kerouac, de copier la scène la plus célèbre du
Bande à part de
Jean-Luc Godard et de créer un leitmotiv autour de l’excellente chanson « Liverpool » de Renée Martel pour capturer l’essence d’une époque où tout paraissait beaucoup plus simple, et d’un cinéma qui se permettait davantage de flirter avec l’insolite, et qui parvenait du coup à des résultats beaucoup plus stimulants. Des cinéastes comme Godard et
Truffaut (
Tirer sur le pianiste) auront excellé à la mise en scène de ce type d’intrigues justement car ils auront su insuffler la même énergie à chaque couche de leurs scénarios tout en enrobant ceux-ci d’une facture esthétique aussi attrayante qu’authentique qui respiraient les convictions de leurs maîtres d’oeuvre.
De son côté, Manon Briand y va d’une réalisation beaucoup trop rigide et maladroite, frôlant parfois même l’amateurisme, pour réussir à imprégner son film de cette liberté que réclament inlassablement ses deux principaux personnages et à tirer profit, par la même occasion, de la direction photo plus que convenable de Claudine Sauvé. Il s’avère du coup assez difficile de se laisser convaincre par ce mélange de genres, entre le polar et la comédie romantique, tellement ceux-ci se fondent les uns aux autres d’une manière n’ayant rien de naturel, ou de simplement fonctionnel. Un manque de cohésion qui se reflète également dans des répliques parfois risibles et dans le jeu beaucoup trop hésitant des différents acteurs. La réalisatrice aura tout de même fait preuve de clairvoyance en proposant ce récit dénonçant le vrai visage de certaines initiatives environnementales, la corruption des gouvernements et l’essor des mouvements de masse à un moment évidemment plus qu’opportun. Mais, encore une fois, les méthodes de Briand frisent trop souvent le ridicule pour qu’un tel discours puisse être pris ici au sérieux. Tous les éléments garantissant généralement la réussite de ce type de projets sont pourtant réunis sous une forme ou une autre dans
Liverpool. Mais ce que nous propose la cinéaste se révèle au final un collage sans envergure ni signature de toute cette matière laissée malheureusement trop fréquemment à l’état brut. Certaines idées à peine développées manquent ainsi de finition, tandis que d’autres auraient grandement bénéficié d’un traitement beaucoup plus souple, rien pour nous persuader de nous laisser emporter par ce vent de folie qui aurait facilement pu être beaucoup plus invitant.