DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Event Horizon (1997)
Paul W.S. Anderson

Liberate Tuteme Ex Inferis

Par Maxime Monast
Du confort de mon salon, je me prépare quotidiennement à regarder un film. Que ce soit le soir ou le matin, la manie que j'ai développée, c'est de lire la description du classement du film. Systématiquement, j'essaie de lire ou même de décoder prématurément ce que le film dévoilera. Une activité qui s'avère, comme vous l'aurez deviné, très futile.

La description de la MPAA (Motion Picture Association of America, l'organisation responsable de la censure et du classement des films aux États-Unis) pour le film Event Horizon de Paul W.S. Anderson aura sauvagement piqué ma curiosité pour deux raisons. Premièrement, ce long métrage est doté du grand « R », pour le terme « Restricted ». Une cote que l'on accorde habituellement pour éloigner les enfants de la violence, de la nudité et/ou du langage vulgaire. Et souvent, on associe cette cote - du point de vue des studios - à la perte d’une certaine partie de la démographie : les adolescents. Et ça, c'est une chose que les producteurs n’apprécient guère. Deuxièmement, dans la description de la MPAA, l’organisme aura choisi d'inclure la mention de « brief glimpses of sodomy », que je traduirai fièrement par « de brefs aperçus de sodomie ». Après quelques secondes, j'analyse la phrase pour conclure que Paul W.S. Anderson a dû tourner de longues scènes de sodomie pour qu'elles ne soient présentées au final qu’en de brefs aperçus. Toute une promesse.

Suivant le succès que connut l’adaptation cinématographique qu’aura tirée Anderson du jeu vidéo Mortal Kombat, Event Horizon est né d’un désir d’élever le suspense et la violence à un autre niveau. Toujours en relation au classement de la MPAA (Mortal Kombat se voulait plus accessible avec son PG-13), les limites et la concession de ne pas pouvoir transmettre sa vision originale semblait oppresser le réalisateur anglais. Malheureusement, Anderson pousse trop loin la violence et l'horreur du scénario de Philip Eisner (qui fut réécrit en partie par le scénariste de Se7en, Andrew Kevin Walker), le film ayant été initialement classé NC-17, cote la plus élevée et poison brut au box-office. Anderson doit donc encore une fois charcuter son film malgré lui; lui et Orson Welles ont finalement quelque chose en commun.

Event Horizon, dans sa forme la plus pure, est un film d'horreur se déroulant dans l'espace. Aussi simple que ça : aucune prétention, aucune grande question. Chargé d'une mission secrète, l'équipage du vaisseau Lewis & Clark et son capitaine (Laurence Fishburne) doivent se rendre près de Neptune pour témoigner de l'état du vaisseau Event Horizon. Disparu depuis sept ans, le navire était muni d'une nouvelle technologie capable de dépasser la vitesse de la lumière. Inventé par le Dr. Weir (Sam Neill), qui fait aussi partie du voyage de sauvetage, cette mission devient une épreuve de survie contre une force que personne ne semble comprendre.

Comme plusieurs films de son temps, Event Horizon évite les grandes questions existentielles qui pourraient possiblement nous tracasser. Que ce soit l’espace infini, le futur de l’humanité ou le désir d’exploration, ces concepts sont laissés à ses prédécesseurs. Là où 2001: A Space Odyssey de Stanley Kubrick ou Solaris d’Andreï Tarkovski avaient su pousser leur discours et même projeter une vision métaphorique de l’exploration spatiale, le film d'Anderson choisit pour sa part d’utiliser l’espace comme un simple lieu, un simple décor, un endroit où l’horreur et l’action peuvent s'autosuffire et stimuler notre désir par ses pulsions démoniaques. Et c’est probablement le point fort de ce long métrage, cet endroit abstrait créé pour faire défiler des images sadiques, voire sataniques.

Étrangement, Event Horizon partage une petite poignée d'idées avec le chef-d’oeuvre de Tarkovski, à commencer par cette idée qu’une entité pourrait se nourrir de l’esprit et du subconscient d’une autre. Une forme de parasite qui se greffe à notre psyché. Ce sera, par exemple, une manière de comprendre l’autre et de l'analyser avec ses propres référents, ses souvenirs les plus intimes. Si, dans le film d’Anderson, les humains ne sont que de simples proies, une cible à démembrer et à torturer psychologiquement, on ne pousse jamais cette idée d’apprivoisement et d’analyse du subconscient aussi loin que le Solaris original écrit par Stanislas Lem cherchait à la mettre de l'avant. L’hypnose existentielle infligée par ce contact avec l’inconnu est présente, certes, mais demeure un artifice plutôt qu’une réflexion. Anderson emprunte très brièvement cette idée à des fins purement sadiques. Ici, ce sont des forces maléfiques qui contrôlent et attaquent les voyageurs. Le virus qu’est cette entité est simplement là pour les distraire avant leur éventuel massacre. Bref, Event Horizon suit une ligne directrice très mince en ne divergeant que très peu de sa succession d’atrocités.

Donc, en établissant une structure basée sur le divertissement pur et aucun désir de répondre à de grandes questions, nous pouvons finalement assister au vrai spectacle morbide que nous attendions. Un objet conçu pour nous divertir, pour stimuler nos émotions les plus primaires comme la peur, l’angoisse et les phobies en tous genres. Ces thèmes, Event Horizon cherche à les faire imploser chez son public, une affirmation qui peut facilement s’appliquer à toutes les productions de genre si l'on se prête à leur simplification. Pourtant, généralement, on y trouve une autre quête, un autre intérêt, une sorte de responsabilité à dépasser le genre retreint du film de parasites, à créer un quelque chose d'un peu plus unique. Que ce soit The Exorcist de William Friedkin - un exercice grotesque, mais qui fracasse tout autant notre perception de la religion et de l’occulte - ou le Alien de Ridley Scott - se nourrissant de l’espace, mais en parvenant à créer un univers et une mythologie profondément marquants -, la comparaison fait pâlir. Event Horizon ne marque en rien l'esprit : on en oublie ses scènes, ses explosions et ses protagonistes courant le long des corridors de ce vaisseau infernal, car ce qui ancre le film est purement artificiel, spectaculaire, et basé sur une satisfaction temporaire et finalement assez peu mémorable.

Finalement, et sans aucune surprise, Event Horizon me fait oublier ses défauts pendant ses 96 minutes. Il est fabriqué à partir d’un modèle et s’accroche à cette formule afin que son auditoire demeure toujours confortable malgré la violence omniprésente. Il remplit sa tâche première et c’est seulement le cinéphile en moi qui se pose ces questions d’éthique et de devoir cinématographique. Et c'est enfin avec une certaine paix d'esprit qu'on en vient à ces brefs aperçus de sodomie préservant l'intégralité de notre plaisir coupable, dérangé.
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Critique publiée le 2 juillet 2012.