DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Seeking a Friend for the End of the World (2012)
Lorene Scafaria

La fin du début

Par Jean-François Vandeuren
Imaginez un instant que Bruce Willis et toute la bande de foreurs et d’astronautes que mettait en scène le mémorable Armageddon de Michael Bay n’aient pas réussi à se rendre jusqu’au gigantesque astéroïde pour le détruire, celui-ci ayant ensuite poursuivi son chemin jusqu’à la planète bleue pour faire de la race humaine une espèce disparue. Voilà la prémisse de ce premier long métrage de Lorene Scafaria qui, en cette année de supposée fin du monde, aura décidé de nous faire vivre les derniers jours de l’humanité du point de vue d’un individu tout ce qu’il y a de plus singulier. Seeking a Friend for the End of the World débutera un peu moins d’un mois avant le cataclysme alors que nous retrouverons Dodge (Steve Carell) au volant de son véhicule, rangé sur le bord de la route, écoutant l’animateur radio annoncer la mauvaise nouvelle au monde entier avant de retourner à la programmation habituelle de la station musicale. Homme de nature réservée, Dodge n’aura dès lors rien d’autre à faire qu’attendre l’inévitable. Ce sera du moins le cas jusqu’au jour où il mettra la main sur une lettre provenant d’une ancienne flamme qu’il aura perdue de vue depuis des années et qui lui déclarera de nouveau son amour. Aidé de Penny (Keira Knightley), une jeune voisine excentrique, Dodge parcourra plusieurs états afin de retrouver la femme en question et ainsi quitter ce monde en bonne compagnie. En échange, Dodge promettra à Penny de la conduire chez une connaissance possédant un avion qui pourrait lui permettre à son tour de rejoindre ses proches.

Le principal stratagème humoristique exploité par la cinéaste (à qui l’on doit également le scénario de Nick and Norah’s Infinite Playlist) tourne évidemment ici autour des différentes réactions que l’annonce de la fin du monde pourrait engendrer au sein de la population mondiale. Car, effectivement, si une telle catastrophe venait à être annoncée juste assez longtemps d’avance pour donner la chance à tout le monde de se faire à l’idée, l’agenda de ces derniers jours serait probablement bien différent d’un individu à l’autre. Et à cet effet, la réalisatrice frappe très fort avec un premier acte on ne peut plus jouissif au cours duquel elle questionnera l’attachement au plus banal des quotidiens tout en présentant en contrepartie l’attitude de diverses personnes cherchant à goûter à tous les interdits avant qu’il ne soit trop tard, notamment lors d’une séquence de « dernier party » absolument délirante. Scafaria propose d’ailleurs dans l’ensemble une approche plutôt équilibrée entre la recherche de quiétude des uns et le désir de faire le plus de vacarme possible des autres. Une opposition qui sera personnifiée, jusqu’à un certain point, par ce duo typique de ce genre d’exercices, réunissant l’homme un peu coincé et une nouvelle complice qui lui apprendra à approcher la vie avec un peu plus de désinvolture. Une rencontre fortuite qui se révélera à l’image de celle entre les deux personnages titres qui parcouraient les bars les plus branchés de la grosse pomme dans l’opus de 2008, laquelle mènera évidemment à des résultats tout aussi similaires sur le plan relationnel.

Ainsi, le personnage campé par Steve Carell, comme celui qu’interprétait Michael Cera dans Nick and Norah’s Infinite Playlist, sera lui aussi appelé à faire un trait définitif sur une relation passée, voire sa façon d’approcher la vie en général, pour se permettre de se tourner finalement vers l’avenir, ou du moins ce qu’il en reste. Malheureusement, c’est à partir du moment où la réalisatrice se concentrera de plus en plus sur l’évolution de cette histoire d’amour tardive entre deux voisins qui ne se seraient probablement jamais parlé dans d’autres circonstances que Seeking a Friend for the End of the World perdra considérablement de son attrait initial. L’Américaine abandonnera alors presque totalement l’humour noir, déjanté et vulgaire qu’elle avait pourtant su installer à merveille en début de parcours pour sombrer petit à petit dans une guimauve à laquelle elle n’arrivera jamais à conférer une once d’originalité, voire de personnalité, et ce, même dans une mise en situation aussi insolite. La cinéaste parviendra tout de même à situer adéquatement ces élans dans ce contexte tout ce qu’il y a de plus fataliste, même si le récit semblera progresser sur le pilote automatique à partir du deuxième acte, comme si Scafaria s’était elle aussi résignée à n’avancer que pour se rendre à la fin - de son film -, accumulant les clichés et les bons sentiments tournant autour d’une inévitable recherche de paix intérieure et d’une ultime raison d’être pour une existence qui n’aura visiblement jamais été pleinement vécue.

Évidemment, la fin du monde alimente d’ordinaire des récits beaucoup plus sombres et spectaculaires se laissant guider par les codes et les objectifs du cinéma de genre. L’idée - excellente en soi - d’aborder une telle prémisse à partir d’un moule scénaristique beaucoup plus conventionnel aura tout de même déjà été abordée par le Canadien Don McKellar dans le Last Night de 1998. Une prémisse que Lorene Scafaria n’arrive toutefois pas de son côté à mener à bon port de façon satisfaisante, et ce, malgré un départ canon. La cinéaste finira ainsi par emprunter les avenues les plus éculées de la comédie sentimentale avec un manque de rigueur qui nous poussera même à nous questionner à savoir si le projet n’aurait pas changé de mains en cours de route. Il en va de même pour cette relation père-fils des plus houleuses à laquelle l’Américaine n’arrivera pas à insuffler la moindre force dramatique. L’effort est néanmoins adéquatement défendu par une Keira Knightley y allant d’une performance aussi touchante qu’enjouée et un Steve Carell reprenant d’une manière tout aussi sentie son personnage de sympathique blasé. La mise en scène d’une sobriété des plus à propos de Scafaria se révèle ainsi à l’image du film dans son ensemble : parfaite pour rythmer les séquences humoristiques, trop mièvre pour appuyer celle à teneur plus dramatique. Espérons malgré tout que ce premier film ne se révélera pas prophète de malheur et que la réalisatrice aura la chance de se reprendre, elle qui affiche un talent certain pour un genre d’humour de plus en plus dominant sur la scène américaine.
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Critique publiée le 22 juin 2012.