Il était tout à fait normal que l’Homme araignée soit l’un des premiers super-héros de l’écurie Marvel à avoir droit au grand traitement cinématographique lorsque la plus récente vague d’adaptations de bandes dessinées déferla sur Hollywood au début des années 2000. Après tout, Peter Parker - et son alter ego - demeure le héros le plus connu du grand public qui soit sorti de l’imaginaire de la boîte américaine. Les temps étaient d’autant plus propices pour donner vie au tisseur de toiles alors que les technologies numériques étaient désormais suffisamment avancées pour permettre à ce dernier de se balancer comme bon lui semble entre les plus hauts immeubles de la ville de New York. La Mecque du divertissement rêvait évidemment depuis un bon moment de porter
Spider-Man à l’écran -
James Cameron planchait déjà sur un scénario au début des années 90. Après que
David Fincher, Chris Columbus,
Tony Scott, Jan de Bont et même
Roland Emmerich aient tous été pressentis pour prendre les commandes de l’ambitieuse production, c’est finalement le prodige de la série B
Sam Raimi qui aura su convaincre Columbia Pictures que son amour pour le personnage en faisait le candidat tout désigné pour mener le projet à terme. Le fanatisme du réalisateur pour le héros créé par Stan Lee et Steve Ditko au début des années 60 se fait bel et bien sentir d’un bout à l’autre du présent exercice. Cet intérêt est toutefois presque unilatéralement dirigé vers l’univers de la première mouture du personnage, occasionnant du coup certains décalages entre une manière de raconter vieille de plusieurs décennies et la réalité - comme les standards de production - des années 2000.
La trame dramatique de
Spider-Man demeure évidemment celle que nous connaissons désormais par coeur, celle du gringalet génie des sciences et photographe à ses heures Peter Parker (
Tobey Maguire) qui, après avoir été mordu par une araignée modifiée génétiquement - plutôt que radioactive -, aura désormais le pouvoir d’arpenter les surfaces les plus inclinées à bout de doigts et de tisser des toiles à sa guise. Le jeune adulte prendra conscience du rôle qu’il doit désormais jouer sur cette Terre lorsque son oncle, quelques temps avant d’être tué par un criminel que Peter laissa précédemment prendre la fuite, lui lancera l’inévitable «
with great power comes great responsability ». Un précepte nourri d’un sentiment de culpabilité qui inspirera Parker à faire le bien dans la grosse pomme en prêtant main forte aux forces de l’ordre. Inutile d’entrer davantage dans les détails, si ce n’est que pour mentionner la présence essentielle d’un antagoniste qui viendra donner passablement de fil à retordre au super-héros, ici le richissime scientifique Norman Osborn et son « Mr. Hyde » The Green Goblin (
Willem Dafoe). Raimi et le scénariste David Koepp seront donc demeurés très fidèles au récit original. Mais autant il s’agit d’une qualité que nous saluons d’ordinaire, autant l’ensemble apparaît ici comme un spectacle reniant sa propre époque à un moment où le blockbuster allait pourtant entamer un nouveau stade de sa mutation. Nous nous retrouvons du coup devant un film jouant beaucoup trop de prudence en ne faisant que le strict nécessaire pour satisfaire les aficionados du célèbre personnage.
Spider-Man s’affiche ainsi comme l’une des dernières manifestations d’une certaine façon de penser le divertissement populaire plutôt que de s’imposer comme le précurseur de celle qui allait suivre.
Une vision qui se fera d’abord sentir dans certains choix scénaristiques, tels la présentation d’une série de crimes commis par de petits brigands sortis du New York d’une autre époque, la personnification de J. Jonah Jameson (
J.K. Simmons, très énergique), dont le tempérament bouillant et les méthodes de travail s’avèreront quelque peu vétustes, et le traitement de l’action et des dialogues oscillant continuellement entre candeur et mièvrerie - difficile, par exemple, de comprendre pourquoi tous les personnages appellent May Parker « tante May ». Les mêmes qualificatifs s’appliquent à cette narration en voix off qui viendra ouvrir et clore le récit. Il émanera de ces idées un cycle dramatique suffisamment effectif, mais devenant tout de même vite redondant. Une façon de faire qui se reflètera également dans la facture esthétique comme la mise en scène de Raimi qui, encore là, laissera rapidement paraître quelques signes de vieillesse, notamment lors des séquences spectaculaires qui, en plus d’être souvent beaucoup trop brèves, ont tendance à manquer de dynamisme et de créativité. On pense à la manière dont certaines images se superposeront comme à certaines transitions évoquant la forme de la bande dessinée d’une manière tantôt fort convaincante, tantôt plutôt maladroite. Ces lacunes seront en soi résumées par la composition d’un antagoniste à la personnalité double et son costume d’une laideur impardonnable. Dafoe offre d’ailleurs lui aussi une performance en deux temps. Ainsi, si le visage de l’acteur et le ton employé lorsqu’il lance ses répliques classiques d’une manière allègrement maniaque illustrent parfaitement la dualité de son personnage, le jeu physique de ce dernier parvient difficilement à mettre en relief ces traits de caractère lorsqu’il se retrouve emprisonné sous l’armure du Green Goblin.
Les plus grandes qualités du film de Sam Raimi demeurent en somme le coeur et la sincérité qu’il aura su insuffler aux rouages d’un genre de productions que l’on accuse trop souvent de ne pas avoir d’âme. Le réalisateur orchestre ainsi d’une manière sentie, mais opérant par excès d’élans mélodramatiques, ce «
coming of age » typiquement atypique tournant autour d’un jeune héros devant faire face aux considérations de sa vie d’adulte, notamment son amour pour Mary Jane Watson (
Kirsten Dunst) et la rivalité qui en naîtra avec son meilleur ami - et fils de l’ennemi de son alter ego - Harry Osborn (
James Franco), qui gérera mal le fait que son père semble s’intéresser davantage à la vie de Parker qu’à la sienne. Le tout dans une histoire où les notions de choix et de responsabilités venant avec cette période de l’existence auront évidemment été amplifiées. L’Homme araignée se retrouvera alors dans une position où il aurait aussi bien pu décider de faire le bien que le mal, lui qui recevra une invitation à cet effet de la part de son adversaire au teint vert, dont le goût pour la violence et la destruction émanera d’une pulsion meurtrière allant de pair avec la volonté de survivre de l’industriel milliardaire. Si ces enjeux auraient dû être abordés d’une manière beaucoup plus significative, ils alimentent néanmoins un récit révélant bien en arrière-plan l’atmosphère régnant sur une Amérique sur le point d’entrer en guerre comme le poids exercé par Wall Street sur le mythe du self-made-man.
Spider-Man relève en bout de ligne adéquatement l’essence de son héros, dont les pouvoirs finiront par devenir autant une bénédiction qu’une malédiction, mais par le biais d’une démarche ayant malheureusement tendance à manquer d’assurance et de personnalité.