DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Five-Year Engagement, The (2012)
Nicholas Stoller

L'allégorie du beignet

Par Jean-François Vandeuren
Autant Judd Apatow et ses divers protégés auront su apporter ce vent de fraîcheur dont la comédie américaine avait grand besoin, autant les nouveaux projets de ce groupe de comiques, certes, très talentueux, commencent à sentir la formule, continuant de puiser leur inspiration dans ce même registre de concepts humoristiques jadis très novateurs, mais qui, sept ans après The 40 Year Old Virgin, auront certainement perdu de leur lustre. Si ces derniers continuent de faire part d’idées comiques souvent délirantes, celles-ci se matérialisent à l’intérieur d’un cadre dramatique qui, pour sa part, semble se rétrécir un peu plus de film en film, ou refuse plutôt de prendre de l’expansion. The Five-Year Engagement de Nicholas Stoller (Forgetting Sarah Marshall, Get Him to the Greek) est probablement l’opus le plus symptomatique de cette tendance. D’abord, de par son titre faisant directement écho à celui du premier long métrage d’Apatow. Ensuite, car il s’agit d’une autre production tournant autour des thématiques du couple et - plus ou moins directement - de la cérémonie du mariage, et ce, presque un an jour pour jour après la sortie du Bridesmaids de Paul Feig. Après l’effondrement émotif du protagoniste de Forgetting Sarah Marshall suite à une rupture amoureuse pour le moins dévastatrice, The Five-Year Engagement, quatrième collaboration entre Stoller et l’acteur et scénariste Jason Segel, plonge de son côté au coeur de la vie de couple de deux individus semblant être faits l’un pour l’autre, mais dont les aspirations individuelles auront progressivement raison de la force de leur union.

Le présent exercice débutera sur une séquence typique du cinéma d’Apatow alors que Stoller s’immiscera dans un moment classique - et ordinairement peu banal - de la vie conjugale afin de souligner les travers et les maladresses que la magie hollywoodienne parvient habituellement à dissimuler. Dans cette scène, Tom (Segel) demandera Violet (Emily Blunt) en mariage dans des circonstances où tout ne se déroulera pas tout à fait comme le prétendant l’avait imaginé, mais qui convaincront néanmoins la jeune femme de répondre « oui » avec un enthousiasme débordant. Mais alors que la cérémonie semblera imminente, le couple décidera de repousser de nouveau les festivités après que Violet ait été acceptée au département de psychologie de l’Université du Michigan, poussant Tom à suivre sa fiancée et à laisser derrière lui une carrière de chef cuisinier des plus prometteuses dans la baie de San Francisco. Tom aura évidemment toutes les difficultés du monde à s’adapter à ce nouvel environnement, tandis que Violet accumulera les succès et embrassera sa nouvelle vie avec passion. Le tout mènera à une distanciation entre les deux amoureux, qui n’auront soudainement plus les mêmes ambitions. Du coup, Tom se résignera progressivement à faire un trait sur sa profession, adoptant par la même occasion un style de vie de plus en plus louche et déconnecté - menant à certaines des séquences les plus hilarantes du film. La suite des événements sera tout aussi prévisible, faisant tourner les rouages les plus classiques de la comédie romantique, mais d’une manière paraissant néanmoins suffisamment tangible et authentique.

L’une des caractéristiques ayant toujours défini cette « nouvelle » vague de comédies pour adultes à l’américaine - et expliquant par la même occasion ce relâchement contrôlé s’étant opéré dans le genre au cours des dernières années - demeure la manière aussi posée que spontanée dont ses artisans auront su extirper nombre d’observations et de dialogues savoureux d’un ensemble embrassant pleinement la simplicité du quotidien tout en se permettant quelques gags plus visuels le temps venu. Le tout en étirant la durée de certaines séquences afin d’accentuer un sentiment de malaise, les maladresses d’un personnage ou un effet de répétition. Comme Apatow, Stoller fait de même ici avec chaque acte du scénario, laissant la deuxième partie du film évoluer à un rythme comparable à celui de la première là où la comédie a plutôt tendance à accélérer les choses à mi-chemin dans le récit. Ainsi, les spectateurs dont la patience avait été mise à rude épreuve par les quelques 150 minutes de Funny People nageront de nouveau dans les mêmes eaux beaucoup trop calmes avec cet effort qui aurait lui aussi bénéficié de quelques coupures supplémentaires au montage. Certes, un tel étirement va de paire avec la prémisse même de The Five-Year Engagement, mais il nous confronte malgré tout à des moments s’éternisant sans devenir plus stimulants ou apporter une dimension supplémentaire à la scène comme à l’oeuvre dans son ensemble. Une cadence qui s’avère d’autant plus problématique ici étant donné le cycle narratif se répétant continuellement, auquel le duo Stoller-Segel n’ajoute rien de vraiment rafraîchissant.

La démarche des Stoller, Apatow, Feig et compagnie est axé bien souvent sur un détournement et une reformulation de certains des clichés les plus éculés de la comédie. L’inspiration est toujours là pour que cette démarche mène ici à de grands moments de comédie, mais dans une production qui, en un tout, ne réussit pas toujours à livrer la marchandise. De sorte que The Five-Year Engagement semble avoir été élaboré sur le pilote automatique, même dans son désir persistant de remettre les mécanismes du genre à neuf. Stoller livre néanmoins son discours sur l’état des relations amoureuses en ce début de XXIe siècle avec une sincérité qui saura certainement interpeler l’actuelle génération de trentenaires. Les intentions du film seront aussi parfaitement - quoique peu subtilement - résumées par l’entremise de cette expérience impliquant une boîte de beignets sur laquelle Stoller et Segel reviendront continuellement et à laquelle ils finiront par offrir une seconde interprétation saluant davantage l’idée de l’appréciation et du confort que de la patience. L’effort est aussi allègrement défendu par ses deux têtes d’affiche entretenant une superbe chimie à l’écran, tandis que le reste de la distribution campent avec énergie chacun des seconds rôles du film, eux qui s’avèrent toutefois beaucoup moins inspirés ou inusités que ceux dont jouissait Forgetting Sarah Marshall. Les comparaisons avec l’opus de 2008 demeurent inévitables et The Five-Year Engagement fait plutôt pâle figure au final. Stoller et Segel signent néanmoins une comédie distrayante en exploitant leurs valeurs sures avec juste assez de tact, mais en ne parvenant malheureusement pas à ajouter de nouvelles cordes à leur arc.
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Critique publiée le 3 mai 2012.