DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Empire Bossé, L' (2012)
Claude Desrosiers

Flouer le spectateur

Par Jean-François Vandeuren
Les combines frauduleuses imaginées par les criminels à cravate pour s’en mettre plein les poches aux frais d’un peu tout le monde auront fait les manchettes plus souvent que nous l’aurions souhaité au cours des dernières années, en particulier en ces temps de crise économique. Comme quoi il y a rarement de fumée sans feu… D’honnêtes travailleurs de la classe moyenne auront ainsi perdu les économies de toute une vie aux mains d’hommes d’affaires qui ne se seront pas gênés pour abuser de leur crédulité. Des mises à pied massives auront été orchestrées dans différents secteurs économiques suite au déménagement de nombreuses usines dans des régions du globe où la main-d’oeuvre ne coûte pratiquement rien. Des subventions et des privilèges auront été accordés par les gouvernements à ces « grandes » entreprises avec lesquelles ils marchent main dans la main depuis beaucoup trop longtemps. Bref, la magouille est désormais chose du quotidien. À un point tel que plus personne ne semble être étonné par l’ampleur qu’aura fini par prendre cette réalité non moins enrageante. Devant la gravité, voire la profonde absurdité, de cette triste situation face à laquelle la population en général - le fameux 99% - a de moins en moins de recours, en serions-nous venu à accepter celle-ci au point de bien vouloir en rire plutôt que de continuer d’en pleurer? C’est du moins dans cet état d’esprit que le réalisateur Claude Desrosiers (Dans une galaxie près de chez vous) et les scénaristes Yves Lapierre, Luc Déry et André Ducharme auront décidé d’illustrer la montée fulgurante, et surtout peu scrupuleuse, de l’homme d’affaires Bernard Bossé (Guy A. Lepage) sur une période d’environ cinquante ans.

Évidemment, avec de tels artisans à la tête du projet, nous ne serons pas étonnés de voir L’empire Bossé adopter un ton strictement satirique et décalé, et ce, du début à la fin. Le problème, c’est que Desrosiers et ses acolytes auront façonné leur discours d’une manière si peu rigoureuse en plus de l’enrober d’un contexte humoristique aussi peu inspiré qu’efficace que l’exercice s’avère au final aussi négligeable à titre de divertissement comique que de film engagé cherchant par tous les moyens à brasser la cage de son auditoire. L’empire Bossé ratisse pourtant assez large à ce niveau alors que le personnage titre, à l’insu de son fidèle ami Coco (Claude Legault), dont les facultés intellectuelles auront été passablement amoindries suite à un incident survenu durant un match de baseball, aura été de la majorité des histoires d’enveloppes brunes ayant marqué le Québec au cours des dernières décennies, de la construction du Stade olympique au scandale des commandites. Des actes que les scénaristes sembleront étrangement vouloir excuser en les attribuant à l’échec d’un grand amour et aux manigances de la puissante « clique du Mont-Royal ». Les cibles visées par Desrosiers et ses scénaristes sont évidemment limpides et activeront aussitôt la mémoire d’un public ayant tendance à oublier trop rapidement ce genre d’histoires. Les auteurs auront d’ailleurs tenté de conférer quelques airs un peu plus tangibles au projet en entremêlant la trame principale du récit à celle d’un faux reportage - pour le bien duquel auront été interrogés George-Hébert Germain, Marcel Aubut, Gilbert Rozon et Lise Watier, jouant ici leurs propres rôles - portant sur la vie du businessman, alors sur le point d’être euthanasié après avoir été plongé dans un profond coma pendant sept ans suite à un accident de la route.

Mais au-delà d’un scénario rarement cocasse et étonnamment peu pertinent vue l’importance du sujet abordé, l’échec cuisant de L’empire Bossé repose en soi sur tout ce qui touche de près ou de loin à sa mise en scène. L’approche parodique et volontairement exagérée du cinéaste québécois en vient ainsi à empêcher le propos de son film - dans lequel rien n’a visiblement été pris au sérieux - d’avoir une quelconque résonance auprès de son public. Comme pour le caractère tragique de cette sombre réalité, il est difficile de déterminer si nous devons être consternés ou stupéfaits - d’une certaine façon - devant l’acharnement du réalisateur et de son équipe qui n’auront jamais lâché prise et auront continué de croire en leurs idées - aussi mauvaises puissent-elles être - jusqu'au tout dernier instant. L’insistance sur une couleur donnée selon l’époque et les plans-séquences transitoires « à la Podz » servant à marquer le passage du temps n’étant qu’un minuscule échantillon du vaste éventail d’effets de style aussi risibles que mal exécutés « agrémentant » l’abominable facture esthétique de L’empire Bossé. La réalisation de Claude Desrosiers ne vole d’ailleurs à peine plus haut que celle d’un film étudiant de piètre qualité avec ses cadrages déficients et ses interprètes mal dirigés prêtant leurs traits à des personnages avec lesquels ils ne sont visiblement pas à l’aise, embrassant comme ils peuvent cette idée de jouer gros et de « faire semblant ». Le film ne fait guère meilleure impression au niveau de l’emballage alors que la direction photo peu travaillée de Martin Falardeau et la trame sonore complètement désuète de Christian Clermont ne font qu’empirer le portrait déjà peu convaincant de cette production des plus gênantes.

Il s’avère toujours aussi désolant de voir la comédie populaire atteindre aussi rarement la cible au coeur d’un bout de pays dont la population fait pourtant part d’un appétit vorace pour tout ce qui tourne autour de l’humour, aussi bien sur scène qu’au petit et au grand écran. La cause de ce perpétuel constat d’échec, c’est que la formule exploitée a souvent fait son temps avec ses stratagèmes usés jusqu’à la corde qui ne font plus rire même les plus généreux des spectateurs. Personne ne semble vouloir tenter d’aller de l’avant d’une quelconque façon ou de revenir à des concepts beaucoup plus efficaces ayant malencontreusement disparus. L’empire Bossé, c’est donc une prémisse tout ce qu’il y a de plus prometteuse exécutée de la pire façon imaginable. Le tout au service d’un discours ne se contentant que d’énumérer des généralités de façon grossière sur les rouages du monde des affaires sans jamais chercher à aller au-delà de la courte manchette d’un quotidien gratuit. Une bavure qui se reflète évidemment dans une distribution d’acteurs de talent y allant ici de cabotinages à la limite du supportable, venant planter le dernier clou dans le cercueil d’une production à éviter, ou à oublier pour les plus téméraires. Il émane ainsi une grande ironie du film de Claude Desrosiers alors que, à l’image de son vilain patron avide de richesse, lui aussi aura floué ceux qui auront bien voulu investir dans ce projet comme les spectateurs qui débourseront leur argent durement gagné pour le visionner. La meilleure leçon que pourra tirer le public est de ne pas se montrer aussi dupe en ne mordant pas à l’hameçon et en se tenant le plus loin possible de cette arnaque cinématographique.
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Critique publiée le 16 mars 2012.