DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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John Carter (2012)
Andrew Stanton

À des années lumières d'un récit enlevant

Par Jean-François Vandeuren
Le succès monstre du Avatar de James Cameron et la popularité toujours grandissante du jeu vidéo auront permis à un certain pan du cinéma fantastique et d’aventures de reprendre la place qu’il avait perdue depuis quelque temps au sein du divertissement de masse. Une tendance sur laquelle les studios Disney auront essayé en vain de surfer, au-delà des multiples épisodes de la très lucrative franchise Pirates of the Caribbean, avec le soporifique Prince of Persia: The Sands of Time de 2010. Convaincu du potentiel de sa formule, ou n’ayant toujours pas appris de ses erreurs, le géant américain aura de nouveau tenté l’expérience en prenant soin cette fois-ci de réunir tous les éléments qui, en théorie, devraient lui assurer un succès populaire retentissant. L’entreprise aura ressuscité pour l’occasion le personnage mythique du voyageur interplanétaire John Carter, créé par l’auteur américain Edgar Rice Burroughs il y a maintenant cent ans. Le film de science-fiction à grand déploiement était déjà susceptible de susciter davantage d’intérêt que la plupart de ses prédécesseurs de par la simple présence d’Andrew Stanton (WALL•E, Finding Nemo) à la réalisation et au scénario. Le cinéaste est d’ailleurs le deuxième en quelques mois à tenter sa chance à l’extérieur du cinéma d’animation après avoir laissé sa marque avec les studios Pixar - Brad Bird ayant relevé le défi avec fougue à la barre du très divertissant Mission: Impossible - Ghost Protocol. Si son homologue se sera frotté davantage aux épreuves liées à la production d’un film se déroulant dans un environnement réel, permettant notamment à sa star d’exécuter elle-même certaines cascades particulièrement périlleuses, Stanton, de son côté, ne se sera pas trop éloigné de son registre habituel en présentant un univers formé majoritairement d’effets numériques et de personnages de synthèse.

John Carter, c’est le bon vieux récit d’un homme au destin tout sauf ordinaire qui aboutira bien malgré lui au coeur d’un univers qui n’est pas le sien et qui fera dès lors tout ce qui est en son pouvoir pour retrouver le chemin de la maison. Le tout avant que ce dernier ne découvre évidemment une bonne raison de demeurer dans son monde d’adoption. Le présent exercice débutera au beau milieu de la guerre de Sécession. Après une séquence de poursuite à cheval qui aurait très bien pu faire partie du Cowboys & Aliens de Jon Favreau, notre héros (interprété par Taylor Kitsch) aboutira dans une étrange grotte d’où il sera téléporté sur Mars (ou Barsoom, dans le langage des habitants de la planète rouge) suite à des circonstances pour le moins chaotiques. Comme Kal-El sur Terre, Carter deviendra un surhomme dans l’atmosphère de Barsoom, lui qui sera désormais capable de franchir des distances vertigineuses d’un seul bond et d’assommer un adversaire d’un simple coup de poing. L’aventure de John Carter débutera lorsqu’il sera découvert au milieu du désert par un peuple de créatures verdâtres vivant en marge des civilisations plus évoluées se livrant une guerre sans merci, le chef d’un des clans ayant obtenu une arme puissante des mains d’une race supérieure se faisant passer pour des divinités. Au milieu de tout ce brouhaha, une princesse - calquée sur celle qu’interprétait Gemma Arterton dans Prince of Persia - dont la beauté n’a d’égal que le courage et l’intelligence cherchera à sauver son peuple et à se sortir d’un mariage arrangé avec l’ennemi. Celle-ci verra évidemment en John un sauveur potentiel, lui qui, pour sa part, ne sera pas tant intéressé à jouer les héros, la guerre ayant déjà emporté sa famille sur sa planète d’origine.

C’est sans surprise que John Carter prendra surtout la forme d’un collage assez peu inventif réunissant nombre d’éléments visuels et narratifs provenant de diverses productions du genre ayant vu le jour au cours des dernières années, mais sans réussir toutefois à les utiliser à meilleur escient. Le problème, c’est que le scénario d’Andrew Stanton, Mark Andrew et Michael Chabon ne fait trop souvent qu’enchaîner ceux-ci sans jamais chercher à en tirer un quelconque élément de nouveauté ou à leur conférer une identité propre. John Carter ne propose ainsi que très peu de concepts ou de moments réellement captivants, et ce, malgré tout l’arsenal technologique mis à la disposition de ses créateurs. Comme Avatar, Star Wars viendra également en tête comme source d’inspiration au niveau de la prémisse comme de l’essence et de l’exécution des séquences d’action. Si plusieurs idées auraient pourtant pu mener à des résultats franchement plus intéressants (les progrès de la science menaçant un pouvoir « divin »), celles-ci ne seront jamais suffisamment approfondies pour être d’une réelle utilité au récit ou finiront par être bêtement tassées du revers de la main. L’ensemble n’est guère plus convaincant au niveau de la mise en scène, où Stanton semblera complètement perdu entre le concret et l’illusoire, dans ses désirs de faire écho aux méthodes du passé à partir des conventions d’aujourd’hui, et des décors et des costumes souvent médiocres qui auraient été assurément mieux servis par une approche où le kitsch et l’esprit de série B du projet auraient été simplement assumés. John Carter produit malheureusement les mêmes erreurs que la plupart de ses contemporains en tentant plutôt de mettre en valeur ses attributs de blockbuster moderne et une manière de raconter qui semble toujours incapable de renouer avec l’authenticité et l’ingéniosité des divertissements d’antan.

Le principal défaut de John Carter demeure la façon beaucoup trop hermétique dont son parcours aura été imaginé, ne laissant au final que très peu de place au plaisir pur. De sorte que, malgré un nombre, certes, imposant de péripéties de tout acabit, allant des batailles opposant de gigantesques forteresses volantes à celle où notre héros devra combattre d’énormes créatures dans une arène de gladiateurs, le voyage proposé par Andrew Stanton et ses acolytes s’avère au final assez peu emballant. Le ton beaucoup trop sérieux du récit comme le caractère torturé de son protagoniste empêcheront d’autant plus l’ensemble d’intégrer une touche d’humour, voire d’autodérision, dont le manque se fera sentir du début à la fin. L’effort n’est pas aidé non plus par sa distribution, dont les membres offrent des prestations suffisamment fonctionnelles, mais n’arrivent pas à conférer un caractère plus tangible aux personnages unidimensionnels et insignifiants auxquels ils prêtent leurs traits pour que nous ayons réellement leur sort à coeur. Les artisans du présent exercice iront même jusqu’à tenter de lui conférer des airs de grand film épique en étirant la sauce durant plus de 130 minutes. John Carter se situe ainsi à l’opposé total du sublime WALL•E de 2008, pour lequel Stanton avait su faire preuve d’audace et d’une grande créativité au niveau narratif pour en faire l’un des bijoux de la déjà très riche filmographie des studios Pixar. Le cinéaste signe ici une production anonyme n’osant jamais prendre le moindre risque. Un autre exemple navrant s’ajoutant à la liste déjà exhaustive de spectacles ayant tout misé sur l’exploitation des technologies numériques sans que celles-ci ne permettent au résultat final d’être plus mémorable ou excitant. Du coup, John Carter sera sûrement oublié en moins de temps qu’il ne faut pour achever son visionnement.
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Critique publiée le 9 mars 2012.