La tendance est de plus en plus au réalisme dans la mise en scène de récits fantastiques. Le but visé étant évidemment de faire vivre au public une expérience cinématographique sortant de l’ordinaire de la manière la plus viscérale qui soit. Cela aura été particulièrement le cas dans le cinéma d’horreur avec la popularité grandissante du «
found footage movie », qui nous aura donné les franchises
Paranormal Activity et
[Rec] comme l’ignoble
The Devil Inside, pour ne nommer que ceux-ci. Même le vétéran
George A. Romero aura tenté sa chance avec un
Diary of the Dead qui aura passablement divisé les fans de la série. À l’opposé de ces exercices jouant généralement la carte du minimalisme de façon unilatérale, le
Cloverfield de
Matt Reeves aura su pour sa part exploiter des valeurs de productions beaucoup plus imposantes à partir de cette même approche cherchant à imiter la facture d’une caméra amateur. Une vision à laquelle adhère le nouveau venu
Josh Trank avec ce récit tournant autour de trois adolescents ordinaires qui, du jour au lendemain, acquirent des pouvoirs extraordinaires. Il s’agit certainement du genre de concepts pouvant aussi bien donner une production aux qualités impressionnantes qu’un véritable désastre cinématographique. La bonne nouvelle dans le cas de
Chronicle, c’est que malgré quelques faiblesses difficilement évitables pour un type de projets dont les ambitions dépassent souvent largement les moyens, le réalisateur parvient à prouver rapidement toute la pertinence de son essai. Ce dernier orchestre du coup un spectacle typiquement atypique atteignant des sommets étonnamment vertigineux, en plus de nous donner une première impression de ce à quoi pourrait potentiellement ressembler une adaptation filmée du fameux
Akira de Katsuhiro Otomo.
Chronicle débutera alors que le jeune Andrew Detmer décidera de marcher dans les traces de Thierry Guetta (le Mister Brainwash de l’excellent
Exit Through the Gift Shop de
Banksy) en s’équipant d’une caméra dans le but de filmer les moindres frasques de son quotidien. Une initiative qui semblera d’abord avoir pour objectif de tenir à l’écart son père alcoolique et violent - Andrew n’étant visiblement pas non plus l’étudiant le plus populaire de son école. Comme le cinéma fait souvent bien les choses, nous verrons ensuite notre homme à la caméra, son cousin Matt et un autre étudiant nommé Steve s’aventurer dans une étrange crevasse au milieu d’une forêt au bout de laquelle ils découvriront un immense cristal qui aurait très bien pu provenir de la planète Krypton. Par la suite, les images captées par Andrew prendront la forme d’un journal relatant la familiarisation du trio avec les habiletés extraordinaires qu’ils auront acquises lors de cette nuit étrange, telles bouger des objets par la pensée et être ultimement en mesure de voler. Nous n’aurons donc pas affaire ici à un cas où il sera tant question des responsabilités venant avec de tels aptitudes plus que de leur exploitation dans un quotidien banal par de simples adolescents en quête d’émotions fortes. Mais les échecs personnels dans la vie d’Andrew comme sa situation familiale épineuse tournant autour de sa mère gravement malade verront la manifestation de ses pouvoirs être de plus en plus motivée par la rage, poussant ce dernier à enfreindre les règles établies par le trio, notamment de ne jamais s’en prendre aux êtres normaux, ce qui créera soudainement une division au sein du groupe entre la lumière et la noirceur.
Là où Josh Trank frappe très fort, c’est dans la façon dont il prouvera progressivement que son stratagème tournant autour de l’utilisation de la vision subjective et de la caméra à l’épaule n’est pas qu’un simple exercice de style, mais alimente également un discours savamment articulé sur le sens des images dans le cinéma - et les médias - d’aujourd’hui et la façon dont elles sont fabriquées. Car nous vivons à une époque où des films sont désormais tournés avec des appareils photos et des téléphones portables et c’est autour de cette multiplication des images - et donc des points de vue - et notre exposition à celles-ci que l’Américain édifie sa mise en scène. Trank ne capte donc pas l’action de son film qu’à partir de la caméra d’Andrew, passant également par celle d’une blogueuse, par des systèmes de surveillance, des cellulaires, des tablettes électroniques… bref, tout ce qui peut désormais servir à rapporter une histoire aussi inhabituelle en cette dite ère de la démocratisation de l’information. Le cinéaste se servira d’ailleurs du comportement de plus en plus bouillant et égocentrique de son protagoniste pour offrir quelques plans « à la troisième personne » plus conventionnels, lui qui finira par se mettre lui-même en scène dans son propre document en faisant léviter sa caméra autour de lui. Un rendu qui, inévitablement rappellera à l’occasion le jeu vidéo. Le résultat s’avère des plus stimulants, et surtout étonnamment équilibré entre l’état plus brut de certains plans et la précision des autres, menant à plusieurs séquences à couper le souffle, notamment celles de vols au-dessus des nuages et cet inévitable affrontement final prenant la forme d’un véritable spectacle de destruction massive.
C’est d’ailleurs lors de cette ultime séquence que les parallèles entre le film de Trank et l’oeuvre d’Otomo ressortiront le plus alors qu’un Andrew en tenu d’hôpital, ayant été gravement blessé à la suite d’une tentative de braquage, créera une pagaille sans précédent dans les rues de Seattle comme Tetsuo avait pu le faire dans celles de Neo-Tokyo il y a bientôt vingt-cinq ans. Une scène de démolition pour le moins soudaine étant donnée l’inclinaison assez tardive dans la courbe dramatique du scénario de Max Landis (le fils du réalisateur
John Landis), lui qui ne s’étale d’autant plus que sur un peu plus de quatre-vingt minutes. Nous n’avons néanmoins pas affaire à une oeuvre dont la raison d’être se retrouve uniquement dans les dernières minutes. Nous suivrons, certes, les trois adolescents tandis qu’ils apprivoiseront ces nouvelles habiletés dont ils ont encore de la difficulté à expliquer la provenance durant la majeure partie du récit. Mais l’exercice ne devient jamais redondant, créant plutôt une grande fascination autour de cette idée que Trank et Landis appuient d’autant de touches d’humour que de moments plus sentis sur le plan dramatique. L’escalade a ainsi sa raison d’être vue la façon dont le personnage d’Andrew et ses sources de frustration auront été préalablement mis en relief. Évidemment, Chronicle demeure toujours en terrains connus en explorant ces maux propres à l’adolescence à partir de personnages typiques du plus banal des récits du genre, mais rend l’ensemble intriguant de par la façon dont il mêle l’anodin à l’insolite et vice-versa. Le tout au coeur d’une démarche créatrice et narrative surprenant par sa consistance, et compensant largement pour quelques effets visuels peu convaincants par la puissance et le caractère unique de plusieurs des images composant cette expérience exaltante menée avec autant de doigté que de suite dans les idées.