DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Pineapple Express (2008)
David Gordon Green

L'auteur roulé

Par Alexandre Fontaine Rousseau

La comédie pour « stoner » est un genre consacré, avec ses classiques (Up in Smoke et Fast Times at Ridgemont High) et ses conventions (la marijuana comme moteur de l'action) ; mais force est d'admettre que, plus encore que tout autre genre, c'est un créneau qui n'a pour des raisons évidentes jamais été pris très au sérieux. À la limite, le célèbre Dazed and Confused de Richard Linklater s'est mérité un respect s'étendant au-delà des cercles gagnés d'avance à sa cause - en partie parce que la drogue s'y avère accessoire... Il s'agit cependant d'une exception, confirmant une règle on ne peut plus stricte. On peut donc s'étonner de voir le nom de David Gordon Green au générique de ce Pineapple Express bien enfumé des juvéniles productions Apatow : le réalisateur de George Washington et All the Real Girls, l'un des cinéastes américains les plus prometteurs de sa génération, accepte avec ce cinquième long-métrage de se prêter à un jeu plutôt risqué le plaçant directement dans le collimateur des critiques de cinéma « respectables ». Avec l'excellent Undertow, Green a prouvé qu'il pouvait prendre un genre donné - en l'occurrence le thriller - pour l'adapter à son style intimiste et contemplatif. Le cas Pineapple Express, toutefois, diffère dans la mesure où il s'agit d'un film de commande - et plus encore d'une production utilisant le prétexte de la comédie pour offrir au public un film d'action. « Un Bad Boys où tout le monde est gelé », pour reprendre l'expression de Judd Apatow. Les explosions se multiplient donc, et c'est dans un nuage de leur boucane que se perd notre auteur alors que l'on s'attendait surtout à le voir naviguer dans des effluves plus herbacées.

À cet égard, la seconde moitié du film étonne d'ailleurs par son degré de violence très au-dessus de la moyenne pour un film du genre. Ce virage brutal aura tout pour désarçonner le spectateur croyant avoir affaire à une rigolote ballade en compagnie de deux hurluberlus fumant des joints à la chaîne. Remarquablement bien tournées, dans la mesure où elles parodient de manière informée un style de réalisation propre aux années 90, les multiples fusillades et autres séquences d'action de Pineapple Express constituent un noyau problématique dont on peut condamner « l'inutilité » apparente, mais qu'il s'avère pertinent d'analyser plus sérieusement. Car, dans l'optique où le film traite de la drogue d'une manière moindrement articulée, ces manifestations de violence s'inscrivent dans un discours sur la criminalisation du cannabis qui prend forme dès la première scène du film - tournée en noir et blanc - où un haut-gradé de l'armée, flasque de whisky à la main, déclare la marijuana illégale suite à une série de tests incongrus. La couleur arrive en même temps que le présent et nous rencontrons Dale (Seth Rogen), « poteux » chronique et en apparence bienheureux, alors qu'il s'insurge sur les ondes d'une ligne ouverte contre le statut légal de sa substance préférée qui « rend tout plus agréable ». La suite des événements contredira cette affirmation, la vie de Dale se transformant du jour au lendemain en une funeste course-poursuite dans laquelle il entraînera son étourdi fournisseur (James Franco, franchement drôle en gentil paumé).

Évidemment, le film ne peut s'empêcher d'associer la drogue aux problèmes de ses protagonistes et d'offrir en guise de morale une critique bonasse de leurs habitudes de consommation. Mais, en filigrane, le scénario affirme aussi de façon assez brumeuse que les problèmes liés à la marijuana découlent avant tout du fait que son commerce est laissé entre les mains de criminels. Et la violence caricaturale de la finale devient alors paradoxalement réaliste dans la mesure où elle démystifie cette image qu'a la marijuana d'être une drogue « propre » par opposition aux autres narcotiques : socialement, ses vertus apaisantes sont ruinées par sa prohibition hypocrite qui en fait l'objet d'un trafic lucratif et dangereux. L'ironie suprême du scénario est donc de situer l'apex de son carnage dans le même lieu où des autorités prétendument compétentes ont décrété le pot illégal, la boucle étant bouclée et les deux incohérences apparentes du film (le flashback d'introduction et la violence de la conclusion) se réunissant dans leur absurdité commune. Ailleurs, la drogue n'a en soi rien de mauvais: Rogen et Franco jouent à saute-mouton dans la forêt lors d'une belle séquence nous rappelant surtout que David Gordon Green sait filmer la nature de manière inspirée, leurs personnages respectifs n'étant après tout que des enfants naïfs perdus dans des magouilles qui les dépassent.

C'est d'ailleurs à cet égard que Pineapple Express s'inscrit le plus clairement dans la filmographie de son exécutant : ces adultes refusant l'âge adulte demeurent après tout des versions unidimensionnelles de ceux qui peuplaient le village d'All the Real Girls. Qu'un réalisateur plus sérieux s'intéresse à cet archétype de la comédie populaire américaine n'est pas pour nous déplaire. N'empêche qu'il manque à l'ensemble cette touche de rigueur grâce à laquelle il aurait pu transcender ses origines pour le moins givrées et immatures. Gordon Green a beau faire preuve d'enthousiasme derrière la caméra, il ne peut malheureusement pas sauver un scénario qui s'éparpille, oublie ses préoccupations initiales, puis emploie une violence excessive pour masquer ses incohérences et son absence de résolution humaine convaincante.

Buddy movie dans l'âme, Pineapple Express centre l'essentiel de sa progression narrative sur l'amitié fleurissante entre ses deux camarades d'infortune - une formule classique exploitée maladroitement par le scénario du tandem Rogen/Goldberg. Ici, l'évolution de la relation entre les deux personnages semble à la limite dépourvue de toute logique psychologique ; les conflits naissent et sont résolus arbitrairement, englobés par la masse d'action grouillante qui constitue la seconde moitié du film. Ainsi, s'il fait bien rire lors de ses séquences les plus inspirées, Pineapple Express s'essouffle en fin de course en se lançant dans une exacerbation au sous-texte incertain des conventions de ce genre et du film d'action. Ici, c'est surtout Seth Rogen qui se perd en tentant fort probablement de se divertir lui-même ; et, sans l'aide d'un cinéaste habile, il y a fort à parier que cette farce assez grossière se serait écrasée sous le poids de ses propres erreurs. Mais, dans le genre, on a vu bien pire et Pineapple Express, à défaut d'autre chose, demeure une comédie pour stoner bien au-dessus de la moyenne - tournée avec assez de spontanéité pour provoquer quelques rires francs et divertir son auditoire cible.

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Critique publiée le 19 janvier 2009.