DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Voir la mer (2011)
Patrice Leconte

Nicolas et Clément

Par Jean-François Vandeuren
Une soirée comme les autres, dans une boîte de nuit parmi tant d’autres. Prudence (Pauline Lefèvre) est assise dans un coin, l’air maussade, tandis que les gens autour d’elle se trémoussent sur la piste de danse. À l’autre bout de la salle, Nicolas (Nicolas Giraud) observe la jeune femme, s’interrogeant à savoir pourquoi personne ne l’avait encore invitée à danser. Suivant les conseils de Max (Gilles Cohen), Nicolas prendra son courage à deux mains et ira finalement aborder Prudence. Or, il se trouve que Max est en fait le petit ami de cette dernière. Bref, l’expérience sera loin d’être concluante. Pourtant, en rentrant chez lui le lendemain, Nicolas trouvera Prudence assise à côté de la porte de son appartement, lui demandant de l’héberger, elle qui viendra tout juste de quitter Max. Du coup, la jeune femme s’immiscera dans le voyage de Nicolas et de son frère Clément (Clément Sibony), qui avaient prévu de se rendre dans la région de Saint-Jean-de-Luz afin de visiter leur mère malade. Clément sera peu réceptif au départ à l’idée que Prudence prenne part à ce périple, lui qui se sera fait larguer par sa copine quelques scènes auparavant. D’abord sur le pouce, puis au volant d’une petite roulotte dégotée en chemin, le parcours du trio sera vite parsemé de rebondissements. Dans un premier temps, un Max complètement désemparé les prendra en chasse et semblera toujours trouver le moyen d’aboutir au même endroit qu’eux. Par la suite, une inévitable tension sexuelle finira par s’installer entre Prudence et les deux frangins, elle qui sera toutefois incapable de se décider à savoir lequel elle préfère.

Patrice Leconte expliquera le dilemme de son personnage féminin par l’entremise d’une équation tout ce qu’il y a de plus simple : Prudence, orpheline sans la moindre attache, aura toujours recherché la figure paternelle qu’elle n’a jamais eue chez ces hommes plus âgés dont elle se sera amourachée. Séparés, les deux frères sont beaucoup trop jeunes pour rencontrer les standards de Prudence. Mais lorsqu’on les additionne, le compte y est. Ce sera du coup une insatiable quête de jeunesse que mettra en scène Voir la mer, même si les spectres des amours sans avenir, de la maladie et même de la mort sembleront toujours rôder en périphérie des trois protagonistes. Le tout rimera évidemment avec une volonté d’effectuer un retour vers l’innocence, vers une époque de simple recherche du plaisir, mais conjugué aux désirs de l’âge adulte. La courte séquence où les trois individus s’amuseront à découvrir les jouets cachés à l’intérieur de leurs oeufs en chocolat Kinder comme ce concours où ils tenteront de manger un certain nombre de biscuits en moins d’une minute en sont d’ailleurs de parfaits exemples. C’est pourquoi la relation partagée que proposera Prudence ne deviendra jamais une source de conflit entre Clément et Nicolas, mais plutôt un élément unificateur. Nous verrons alors les deux frangins s’échanger tour à tour l’affection de la jeune femme sans la moindre arrière-pensée, comme s’il s’agissait du comportement le plus naturel qui soit. Les sources de drame évoluant la plupart du temps à distance, celles-ci paraîtront ainsi incapables de perturber le bonheur naissant du trio, même si ce dernier finira bien par être rattrapé par la réalité.

Le réalisateur jouera d’ailleurs de finesse à cet égard en faisant surgir la plus importante tragédie de son film d’où nous nous y attendrons le moins tout en amenuisant peu à peu les malheurs qui avaient été le plus mis en évidence jusque-là. Comme quoi le temps possède peut-être bien, après tout, cette faculté d’arranger les choses. C’est cette légèreté pour le moins surprenante, et surtout intrigante, qui finira d’autant plus par distinguer Voir la mer de la majorité des récits tournant autour d’un triangle amoureux. Une insouciance qui se révélera caractéristique non seulement du ton conféré à l’effort, mais également de la démarche artistique du cinéaste dans son ensemble. D’abord à l’intérieur d’un scénario n’hésitant pas à jouer la carte du hasard de façon abusive et même à y aller de quelques incohérences pour assurer la progression de la trame narrative. Ensuite au niveau de la facture esthétique comme telle pour laquelle Leconte se sera judicieusement tourné vers la Nouvelle Vague pour dénicher une telle vitalité. Une inspiration qui est également perceptible dans des dialogues souvent inconséquents et livrées d’une manière légèrement détachée, mais aussi dans un montage visuel et sonore récupérant et trafiquant certains effets ayant émergé de ce mouvement figurant parmi les plus célébrés de l’histoire du septième art. Les parallèles entre Voir la mer et le Jules et Jim de François Truffaut s’avèreront du coup inévitables, et ce, aussi bien par rapport à la prémisse en soi qu’à ces jeux d’enfants menés par des adultes dont Leconte parsème son récit.

Les trois principaux interprètes se conforment d’ailleurs allègrement aux exigences d’une telle approche en y allant de performances on ne peut plus décontractées, tandis que Gilles Cohen gère avec retenue l’évolution émotionnelle de son personnage. Mais la majeure partie du charme de Voir la mer s’opère évidemment autour du personnage de Prudence, dont Patrice Leconte fera beaucoup plus qu’un simple objet sexuel en l’enveloppant d’une aura de mystère devenant vite ensorcelante. Sa caméra épousera délicatement la silhouette de la jeune femme dans une série de séquences d’une incroyable sensualité auxquelles le cinéaste conférera un caractère carrément onirique. Certes, l’histoire et les personnages de Voir la mer n’ont en soi rien de très spécial à la base. Mais il émane malgré tout entre les lignes de ce « road movie » somme toute assez convenu - dont la quête de renouveau n’est traitée encore là trop souvent qu’en surface - une fascination dont Leconte n’a aucune difficulté à exploiter. C’est d’ailleurs la manière dont ce dernier, à l’image de ses protagonistes, ne semble jamais se prendre la tête avec les détails qui fait de ce voyage estival une expérience cinématographique qui tient la route malgré nombre de moments un peu plus cahoteux. En même temps, ceux-ci traduisent jusqu’à un certain point les effets que doivent engendrer ce genre de parcours et qui sont souvent ignorés dans la recherche trop insistante d’un drame devant momentanément ramener les principaux concernés à la case départ pour le bien du spectacle. Sans être mémorable, Voir la mer se révèle au bout du compte suffisamment agréable pour nous faire apprécier le voyage.
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Critique publiée le 16 novembre 2011.