DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Hard Core Logo II (2010)
Bruce McDonald

La nature meurtrière de la caméra documentaire

Par Alexandre Fontaine Rousseau
Des films cultes canadiens, il n'en existe qu'une poignée; et le premier Hard Core Logo fait partie du lot. L'idée que, quatorze ans plus tard, le réalisateur Bruce McDonald ait décidé de pondre une suite à celui-ci est donc, à tout le moins, intrigante. D'autant plus que, dans la plus pure tradition punk, la finale du classique de 1996 ne laissait planer qu'un retentissant « no future » en guise de mot de la fin. En un coup de feu, Joe Dick coupait court à l'histoire. La caméra « documenteuse » de McDonald captait le suicide du chanteur, geste discutable sur le plan éthique confirmant que le film, plus encore qu'une fiction sur le rock, était une réflexion sur l'intégrité, sur le rapport entre le cinéma et le réel. Quatorze ans plus tard, l'inclusion controversée de cette séquence revient hanter le cinéaste qui, ici, se met en scène : Bruce McDonald, le réalisateur de Hard Core Logo, jouant Bruce McDonald le réalisateur de Hard Core Logo. Comme si l'auteur, s'en voulant d'avoir « assassiné » son personnage, remettait en question cette décision par l'entremise de l'alter ego qui avait « capté » le moment de sa mort. En ce sens, Hard Core Logo II s'avère une suite originale, parfois maladroite, mais foncièrement intéressante, qui offre un complément pertinent au premier film à défaut de l'égaler.

Soit, la prémisse est pour le moins particulière - pour ne pas dire bigarrée. Devenu célèbre suite à la sortie du premier film, le documentariste Bruce McDonald a fait sa fortune en tournant une série télé évangélique à la sauce western pour le compte de la droite chrétienne. Mais lorsque la vedette du feuilleton à succès est arrêtée en Thaïlande pour les raisons que l'on suppose, Bruce décide d'opérer un « retour aux racines » en allant tourner un documentaire sur Care Failure - chanteuse du groupe Die Mannequin qui affirme être possédée par l'esprit de Joe Dick. Bientôt, le cinéaste se retrouve dans son Ouest canadien natal pour filmer l'enregistrement du troisième long-jeu de la formation, produit par nul autre que Bucky Haight, idole du défunt chanteur de Hard Core Logo. Rapidement, McDonald tombe sous le charme de la chanteuse : passionnée, torturée, elle lui rappelle effectivement Joe Dick même s'il demeure sceptique quant à l'idée qu'elle soit réellement habitée par le fantôme de celui-ci. Au final, c'est plutôt le cinéaste, obsédé par le souvenir de ce suicide qu'il a exploité à des fins somme toute opportunistes, qui est hanté depuis par l'esprit du chanteur.

Si McDonald explicite ici les enjeux éthiques qui se cachaient sous la surface du premier Hard Core Logo, c'est non seulement en se demandant si « il » a tué Joe Dick, mais aussi en étudiant la nature de sa relation à Care Failure, autre figure autodestructrice que sa caméra fixe avec une fascination morbide. Sa réflexion sur le regard documentaire se conjugue au passé et au présent par l'entremise des parallèles dressés entre Failure et Dick. La nature de l'objectif est-elle d'alimenter une mise en scène de soi? Son influence peut-elle dérégler le réel? Sa présence peut-elle devenir néfaste? Avec un décapant cynisme autocritique, le cinéaste se place sur le banc des accusés et se mitraille lui-même des pires accusations comme si son intégrité même était en jeu. Le tout tourne parfois en rond, les longs monologues en voix off par lesquels il exprime le fond de sa pensée revenant sans cesse sur les mêmes questions, les mêmes idées, sans nécessairement les approfondir. Heureusement, le tout ne se prend pas trop au sérieux et lorsque McDonald décide de faire parler un lynx, devenu par la force des choses (et sous l'influence de la drogue) son « guide spirituel », il devient évident que le cinéaste s'amuse aux dépens du mysticisme lysergique généralement associé à l'univers du rock.

Plus encore que son prédécesseur, Hard Core Logo II est un film sur le cinéma d'abord et sur la musique ensuite - comme en atteste cette touchante finale où le cinéaste imagine une vie après la mort par l'entremise du septième art. Voilà qui nous permet dans la mesure du possible d'oublier la musique de Die Mannequin, réel point faible du film de McDonald auquel le spectateur ne peut malheureusement pas échapper complètement. Le rock corporatif contemporain du groupe de Floride, ennuyeux au possible, justifie mal que la caméra du cinéaste s'attarde avec une telle attention à ses nombreuses prestations en studio. Et voilà, somme toute, qui résume bien le problème avec Hard Core Logo II : alors que le premier film était une oeuvre uniformément accomplie tant sur le plan de la forme que des idées, cette suite plus surréaliste, plus éclatée, nous force à en prendre et à en laisser. Sorte de carnet de notes dans lequel aurait été griffonnée une infinité de pistes, il s'agit d'une petite expérimentation à ciel ouvert que le cinéaste se permet sous le couvert de la « suite » - une proposition ingénieuse, parfois fascinante, qui saura plaire à ceux qui auront la patience nécessaire pour faire le tri entre le bon et le moins bon.
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Critique publiée le 31 octobre 2011.