Le premier long métrage de fiction de
Tara Johns est une coproduction pancanadienne. Du Québec au Manitoba, de notre Macha Grenon à leur Gil Bellows et Julia Stone,
The Year Dolly Parton Was My Mom a tout d’une production tatouée de la feuille d’érable, d’un petit film « indie » comme ceux auxquels la cuvée annuelle de Sundance nous a tant habitués. Et ça n’a rien de péjoratif. Elizabeth (Stone), petite fille des grandes plaines manitobaines, découvre que ses parents ne sont pas ses parents, que sa meilleure amie n’est peut-être pas sa meilleure amie et que les vraies femmes ont des menstruations alors qu’elle n’en a toujours pas. Le monde de l’enfant s’effondre, craque de partout alors qu’elle désire des idoles sur lesquelles sa vie pourrait se calquer; la mère de sa meilleure amie, une activiste féministe, renforcera l’impression d’abandon ressentie auprès de parents à la fois mous et conservateurs (on y reconnaîtra une Macha Grenon en mère au foyer réservée, voire frigide). Elizabeth a le teint pâle, elle est faible, abandonnée de l’intérieur par un patrimoine qui lui échappe. Sans parents, elle n’a pas d’identité, pas d’amarres dans cette plaine où le vent risque de l’emporter au loin.
Fondamentalement canadien, ce mal-être aspire du protagoniste la joie des premières séquences, rend morne un film dynamique, rend chancelant ce qui était stable dans le cadrage jouant lui aussi de ce jeu de contraire. La mère d’Elizabeth, pour lui avoir raconté à chaque anniversaire un récit s’avérant complètement faux, celui du jour de sa naissance, fait s’écrouler le mythe entretenu comme un Père Noël trahi par la logique de l’enfant. Rien n’y changera, l’inévitable choc fera dévier la maturité de l’enfant, lui fera remettre en question l’origine de son corps, de ses traits, jusqu’à ce qu’elle voit en son idole, la chanteuse Dolly Parton, une possible mère. Elle lui ressemblerait, elle chanterait dans ses balades country des odes à une fille abandonnée depuis une dizaine d’années. Pour Elizabeth, son manque d’histoire se confondra avec l’idolâtrie : en Parton, elle verra non seulement une fierté, mais aussi une unicité, la possibilité de se détacher d’un lot de jeunes filles ayant déjà eu leurs règles et leurs premières courbes féminines.
Elizabeth, enfant sur le point de devenir adulte, part vers les États-Unis où elle sera en quête de sa possible mère. Partie visiter le rêve américain alors qu’elle ne se savait plus canadienne, qu’elle ne pouvait plus concevoir de l’être, elle serait ce non-dit bien d’ici, cette peur de n’appartenir à aucune histoire sinon celle des laissés pour compte - au Québec, on aurait dit d’un personnage qu’il aurait été élevé par un seul parent, voire que l’un de ses géniteurs serait décédé dans sa petite enfance, ce qui, au-delà de la petite métaphore nationale, arrive plus souvent qu’on le pense dans un scénario d’ici. Elizabeth la déracinée se fixera en tête d’aller aux États-Unis pour trouver son identité (nationale). Ainsi, charmée par ces voisins du Sud, elle fera demi-tour une fois happée par une terrible vérité : l’uniformisation de la culture américaine, bloc monolithique terrifiant, indécodable, entouré de mille autres fans de Dolly Parton parmi lesquels la petite fille, habillée depuis une bonne heure de métrage en cowboy, ne fait figure que de fanatique parmi tant d’autres. Arrachée à sa personnalité, Elisabeth rentrera donc au Canada, se rendant enfin compte que si ses parents sont bel et bien des « faux », ils définiront au moins sa culture…
Le tout-Canada y est, dans ses hauts et ses bas, terre d’accueil des abandonnés, vaste plaine au centre desquelles Elizabeth ne peut trouver mieux que de perdre son regard au loin à regarder l’orge onduler au vent. De son odyssée, sa mère l’ayant pourchassée, puis enfin rattrapée, apprendra à communiquer avec sa fille, à lui raconter la vérité sur le mythe mensonger. Démythifiée, la filiation entre la mère et la fille dépassera la simple descendance des gênes pour se conforter dans l’idéal de la « famille », idéal visant à unir différents individus en dépit de leurs origines, qu’elles soient génétiques, culturelles ou ethniques - on vous laissera à vous, lecteurs, l’occasion de voir en quoi cet idéal rejoint celui du fédéralisme, de Trudeau à Harper en passant par tous les autres.
Cela dit,
The Year Dolly Parton Was My Mom n’est pas un film répréhensible pour autant. Trame sonore contreplaquée en Dolly Parton, performances justes, le récit est taxé par un parcours enfantin, rose bonbon, renchéri par une recherche de cadre trop poussée. C’est-à-dire que Johns, réalisatrice dotée de bonnes idées, cherche le cadre balancé, la ligne de fuite parfaite. Elle organise l’espace comme on organiserait un monde parfait, mais le fait est que l’univers d’Elizabeth, pour exister, doit avoir des accrocs, des moments plus éloignés de la publicité que peuvent l’être certains de ces plans où la petite parcours un réel si composé qu’on le dirait décor. Emprisonnée de sa maison de Barbie, l’héroïne, comme sa réalisatrice, raconte en fait la vacuité canadienne, l’errance dans les plaines, le fait de toujours rouler dans la même direction sans jamais savoir où l’on s’arrêtera. L’idée est belle, très belle, mais le tout manque de tonus, d’épaisseur dans l’écriture des personnages entourant Elizabeth (comme cette féministe complètement écartée du récit après une vingtaine de minutes), plombe le résultat final et nous laisse, trop simplement, sur le récit d’une petite fille à vélo. Et, justement, si l’on parle d’un éloge de la maturité et du cheminement vers la vie adulte, il manque à
The Year Dolly Parton Was My Mom un souffle cinématographique mature, une manière distanciée d’observer un personnage trop fort (à ce titre, l’interprétation de la jeune Julia Stone est remarquable) qui entraîne avec lui l’oeuvre entière. Nous attendrons donc cette évolution, cette maturité, celle de Tara Johns, qui s’annonce pour le moins prometteuse.