DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Youngblood (1986)
Peter Markle

La dureté du mental

Par Jean-François Vandeuren
Aussi étrange et improbable que cela puisse paraître, le trépidant parcours de Dean Youngblood (Rob Lowe) débutera sensiblement de la même façon que celui de Luke Skywalker dans A New Hope. Ainsi, après nous avoir offert une petite séance de patinage en solitaire en guise de séquence d’ouverture, le jeune hockeyeur américain informera sa famille de son désir de quitter le nid familial afin de pouvoir prendre part à un camp de recrutement devant avoir lieu sous peu à Hamilton au Canada. Le père de la famille se montrera toutefois quelque peu hésitant face à une telle requête étant donné tout le travail qui aurait normalement attendu son fils sur la ferme. Le film de Peter Markle (réalisateur qui connaîtra énormément de succès par la suite à la télévision) passera évidemment par-dessus les histoires de meurtres, d’achats de droïdes et de guerre intergalactique et le cadet du clan Youngblood pourra aussitôt partir tenter sa chance avec les Mustangs, une équipe cherchant à mettre la main sur un bon joueur offensif afin de débuter le tournoi de la coupe Memorial sur la meilleure note possible. C’est sans surprise que Dean obtiendra le poste tant convoité, lui qui aura ensuite la chance de compléter le trio du capitaine Derek Sutton (Patrick Swayze) - avec qui il connaîtra rapidement beaucoup de succès. Mais le périple du jeune espoir dans la ligue canadienne sera également parsemé d’embûches, dont certaines assez significatives. Une série d’épreuves qui feront progressivement réaliser à la future vedette que le hockey n’est pas seulement une question de savoir compter des buts et qu’il lui faudra aussi être en mesure de faire preuve de caractère lorsque la situation l’exige.

Un film sportif se déroulant dans les rangs juniors, en particulier à cette époque, signifiait que nous aurions forcément droit à plusieurs séquences d’excès, qui auraient lieu autant sur la surface de jeu qu’à l’extérieur de la patinoire. Nous pouvions donc nous attendre à voir ces jeunes hockeyeurs déjà jouer les superstars en se croyant tout permis dans divers contextes où le quotient intellectuel du groupe serait appelé à s’effondrer sous nos yeux. Lors de son arrivée, Youngblood aura d’ailleurs droit aux services d’un sympathique comité d’accueil qui lui rasera les parties génitales avant de le pousser à boire de façon abusive la veille de son premier entrainement avec sa nouvelle formation. Youngblood proposera évidemment son lot de blagues à caractère sexuel on ne peut plus juvéniles dont Markle soulignera pleinement la stupidité, mais sans nécessairement réussir à justifier entièrement leur présence à l’écran. Le tout tandis que Keanu Reeves, dans sa deuxième apparition au grand écran, se permettra de porter un chandail moulant sur lequel nous pouvons lire « Laval » en plus de s’exprimer dans l’un des faux accents les plus grinçants de l’histoire du cinéma, lui qui excellait d’ailleurs réellement à titre de gardien de but dans les rangs collégiaux. Le cinéaste prendra au moins suffisamment les choses au sérieux pour tenter d’édifier une réflexion un tant soit peu substantielle sur cette étape cruciale dans la vie de tout athlète. À un moment où les contrats professionnels devenaient de plus en plus lucratifs, le joueur devait réfléchir à savoir s’il avait encore la passion nécessaire pour embarquer sur la patinoire jour après jour et donner le meilleur de lui-même, lui qui n’aura jamais été aussi près de son but, même si une blessure pourrait soudainement tout changer…

Ce sera d’ailleurs un incident de la sorte qui sera à l’origine de l’inévitable abandon du protagoniste quelques jours avant la partie la plus importante de toute sa carrière. Derek Sutton sera alors victime d’un coup salaud asséné par un malabar sorti tout droit de l’excellent Slap Shot de George Roy Hill - film dont Youngblood récupère en soi plusieurs éléments. Dean effectuera donc un retour sur la ferme familiale, au grand dam de son frère aîné qui donnerait tout pour être à sa place. Youngblood en profitera pour faire le point sur son existence tout en se rendant bien compte qu’il n’a absolument rien d’un fermier. C’est à ce moment que nous aurons enfin droit à notre glorieux montage de scènes d’entraînement devant faire le pont entre cette période des plus tumultueuses dans la vie de la recrue et son retour triomphal juste à temps pour disputer la finale du tournoi. Une séance de perfectionnement qui n’aura évidemment pas pour objectif ici d’améliorer ses talents de buteur, mais plutôt de lui permettre de pouvoir éventuellement jeter les gants face au bourreau de son capitaine. Si la mise en scène de Peter Markle ne tire pas spécialement son épingle du jeu au cours des séquences plus humoristiques et dramatiques, le réalisateur n’aura pas hésité à employer d’innombrables ralentis et l’énergie de la bande originale afin de souligner les moindres prouesses de ses patineurs dans le feu de l’action. Le problème cependant, c’est que l’utilisation de plans beaucoup trop rapprochés rend parfois la lecture du jeu carrément impossible, nous donnant l’impression que les joueurs ne font que tourner en rond sur la glace avant de soudainement marquer un but.

Ce spectacle des plus palpitants prendra évidemment fin au terme d’un tir de pénalité dramatique qui sera décerné à notre héros à peine quelques secondes avant la fin du troisième engagement, lui qui aura alors la chance de donner la victoire à son équipe. Mais les célébrations ne pourront, certes, pas avoir lieu avant que l’as marqueur ait pu se faire justice en provoquant son rival en duel. À l’instar de tels clichés, Youngblood se révèle un drame sportif sans surprises, mais pas forcément sans saveur. Nous passerons par-dessus le manque total de naturel des acteurs au cours des séquences les plus émotionnelles, en particulier celles impliquant Rob Lowe et Cynthia Gibb (interprétant ici l’intérêt amoureux de Dean Youngblood) entre qui il ne se crée aucune chimie. Autrement, le film de Peter Markle aura vraisemblablement voulu profiter du succès grandissant de ses deux têtes d’affiche en leur donnant l’occasion de se retrouver dans la peau d’athlètes dont le talent n’a d’égal que la force de caractère. C’est d’ailleurs sans retenue et avec un plaisir plus qu’évident que Patrick Swayze s’acquitte ici de sa tâche. Comme plusieurs films du genre, Youngblood prend beaucoup plus les traits d’un simple plaisir coupable que d’une oeuvre réellement respectable pour ses qualités. Ainsi, plusieurs séquences de Youngblood possèdent à présent une valeur kitsch inestimable alors que Markle et ses acolytes font preuve d’une exubérance dont nous pouvons autant nous délecter qu’elle finit par nous faire douter du bienfondé de ce type d’entreprises. Exploitant à fond de train le côté maladroit de son héros ayant encore tant de choses à apprendre tout comme le caractère saugrenu de bon nombre de ses péripéties, le réalisateur américain n’aura visiblement reculé devant rien, même au risque de se couvrir de ridicule.
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Critique publiée le 20 novembre 2010.