DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Fair Game (2010)
Doug Liman

« DO I NEED TO TELL YOU WHAT THE F*** YOU CAN DO WITH AN ALUMINUM TUBE? »

Par Maxime Monast
Mise à part la couverture médiatique on ne peut plus intense et les gros titres dans les journaux, mon premier vrai contact avec le scandale Plame-Wilson fut des plus inusités. Sans le savoir, ma confrontation la plus marquante avec l’affaire dont traite le Fair Game de Doug Liman aura eu lieu par l’entremise d’un sketch de l’émission « Chapelle’s Show » intitulé « Black Bush ». L’humoriste américain nous donnait alors sa version des faits dans une mise en situation où le président des États-Unis était un homme de race noire. Des plus savoureuses, ces cinq minutes assuraient un survol des événements politiques ayant récemment frappé la nation : de la guerre en Irak à la crise du pétrole en passant par le mariage gai. Mais ce qui nous intéresse plus particulièrement dans ce cas-ci, c’est lorsque le numéro expliquait que l’Irak s’était procuré des tubes en aluminium et du « yellowcake » et que ces achats devaient servir à la fabrication d’armes nucléaires. Des ADM qui pourraient être utilisées contre la population américaine. À la fois très vulgaire et satirique, la force du sketch résidait dans la façon toute simple dont il exposait combien il pouvait être facile de convaincre une nation sous un faux prétexte.

Des années plus tard, longtemps après que la poussière soit retombée, nous sommes maintenant en mesure de calculer l’ampleur de cette magouille politique. Et c’est ici que Fair Game débute sa course. Le livre de Valerie Plame (tout comme celui rédigé par son mari Joe Wilson - The Politics of Truth) traitait avec une grande attention aux détails de la recherche d’informations faite par la CIA, des différentes sources nécessaires pour offrir un jugement éclairé, de l’attention médiatique dont son couple fut l’objet et, finalement, de la déception politique ayant découlé de ce scandale. Oeuvres coup de poing, les deux bouquins furent écrits après des mois de combat acharné pour regagner ce que l’administration Bush leur avait enlevé : leur crédibilité.

Valerie Plame (Naomi Watts) est analyste pour la CIA. Elle travaille d’arrache-pied afin de déterminer si l’Irak représente un danger imminent en ce qui a trait à l’armement nucléaire. Son mari, Joe Wilson (Sean Penn), était jadis ambassadeur pour les États-Unis au Niger. Afin d’enquêter sur la vente possible d’uranium par le Niger à l’Irak, Wilson est envoyé par l’agence au coeur de l’Afrique afin d’analyser la situation. Il en revient bredouille. Rien ne suggère une activité suspecte : les faits sont incontestables. Mais malgré de telles révélations, l’administration Bush altère les données. Le rapport de Wilson n’empêche pas les joueurs puissants de Washington, Scooter Libby et Karl Rove (sous la juridiction du vice-président Dick Cheney), de nourrir le public américain d’une peur de l’étranger. Fair Game revient donc sur cette histoire en agissant comme référence. Une tâche qu’il accomplit peut-être sur papier, mais en ne suscitant que peu d’intérêt d’un point de vue cinématographique.

La question la plus importante demeure à savoir s’il était réellement nécessaire de produire un film sur ce scandale en particulier? Le sujet et les événements qui l’entourent prirent, certes, des proportions considérables et l’idée derrière une telle adaptation est fort compréhensible. S’affichant comme un thriller politique dans la même veine que les All the President’s Men d’Alan J. Pakula, Three Days of the Condor de Sydney Pollack et, plus récemment, la série télévisée Rubicon, ce genre demeure peut-être le plus difficile à articuler. Il ne peut être captivant qu’avec une appropriation d’un récit et une ligne directrice clairement définie. Sans ces deux éléments, ou avec l’aide d’une astuce narrative, l’intérêt se dissipe rapidement. Une certaine clarté est nécessaire pour bien transmettre la complexité narrative d’un sujet comme celui de Fair Game. Avec tellement d’informations, de qui a dit quoi à qui, qui a démenti quoi, l’auditoire peut souvent être confus. D’autres opus, comme ceux de Stephen Gaghan, ont su utiliser des moyens innovateurs, ces trames narratives entrecroisées, pour unir des pistes aussi complexes. Dans le présent effort, avec ses quelques dates ou ses images d’archives, Liman esquisse un parcours extrêmement linéaire qui devient vite sans intérêt. Non pas par son récit, mais bien par l’émotion qui s’en dégage. Le rythme nous paraît faux. Et contrairement au film de Pakula mentionné plus haut, aucun engouement ne se crée autour de ce rassemblement de faits. L’exercice progresse ainsi avec une nonchalance aberrante - la finale était plus intéressante sur C-SPAN.

Il est clair que Doug Liman n’était pas le chef d’orchestre idéal pour organiser les harmonies d’une telle symphonie. Bêtement, il approche la matière de son film avec peu de vision. Hybride entre un film d’action et une page Wikipedia, son travail est celui d’un technicien. Une tâche qui ne lui va même pas bien : une scène dans une voiture entre Penn et Watts en est un bon exemple. Sa caméra a de la difficulté à suivre ses personnages (un défi que d’autres directeurs photo comme Emmanuel Lubezki ou Wally Pfister auraient été capables de surmonter). Bref, nous voyons et sentons très vite que l’essentiel de ce récit est dicté en faits stériles. Ils y sont tous, mais le coeur n’y est pas.

Vénéré comme des acteurs de haut calibre (et avec raison), Watts et Penn sont probablement le premier argument (le deuxième étant l’intérêt pour le sujet) qui attirera un public pour Fair Game. Malheureusement pour nous, la chimie entre les deux interprètes ne se crée jamais, contrairement aux rôles qu’ils incarnaient dans le 21 Grams d’Alejandro González Iñárritu. Et la situation ne s’améliore pas lorsqu’ils ne sont pas en compagnie l’un de l’autre. Dénué d’émotions depuis son entraînement de la CIA, le personnage de Watts ne réussit pas à s’attirer la sympathie du public. Son mur émotionnel nous pousse loin d’elle et la garde dans un cadre de professionnalisme exemplaire. Ce choix, probablement plus factuel que narratif, la rend peu accessible. Même si les événements et les magouilles sont terribles, tout ce qui lui arrive est presqu’un processus normal : par exemple, son congédiement paraît quasiment juste et nécessaire. De son côté, Sean Penn se révèle comme le plus frivole des deux. Il n’a pas la langue dans sa poche. Et cette langue est méthodique et sérieuse. Il est peut-être déchaîné, mais son opinion est concrète. Son personnage, ce « seul contre tous », est plus atteignable que sa femme. Il mène ce combat car il se sent trahi par le système. Nous comprenons vite ses sentiments. Par contre, Liman met l’emphase sur leur relation et cela devient néfaste pour le film. Leur froideur et leur distanciation finissent par avoir un effet nocif sur l’auditoire.

En somme, le contrôle et l’exécution nécessaires pour faire de Fair Game un film potable ne se manifestent jamais. Le désir d’explorer justement cette partie de l’histoire américaine devient la seule quête de Liman. Le désir de rendre un récit mémorable ne passe pas à table. Cette situation n’ajoute rien de plus au cas Plame-Wilson. Heureusement, il y aura toujours les bouquins des deux principaux concernés pour nous guider à travers l’affaire. Des documents demeurant beaucoup plus intéressants que ce thriller politique raté.
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Critique publiée le 8 novembre 2010.