DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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10½ (2010)
Podz

Jeter l'éponge

Par Jean-François Vandeuren
À peine quelques mois après avoir fait ses débuts au grand écran avec le très médiatisé Les sept jours du talion, le réalisateur québécois Daniel Grou (alias Podz) revient déjà à la charge avec un second long métrage : 10½. Si le présent effort expose un récit moins moralement ambigu que l’adaptation du roman de Patrick Sénécal, celui-ci se révèle néanmoins tout aussi dur, et ce, autant pour le coeur que les nerfs et la raison. Il est d’ailleurs clair dès les toutes premières images du film que le jeune Tommy (Robert Naylor), enfant négligé par ses parents évoluant dans un quartier défavorisé et ayant souvent affaire aux services sociaux, représente un cas particulièrement problématique. Après avoir été retrouvé sévèrement battu au milieu d’un parc, le jeune garçon sera envoyé au Tremplin, un centre fermé pour les enfants vivant une situation similaire à la sienne et ayant eux aussi de sérieuses difficultés d’apprentissage et de comportement. Il y fera la rencontre de Gilles (Claude Legault), un éducateur dans la quarantaine qui cherchera tant bien que mal à percer sa carapace afin de lui donner une réelle chance dans la vie. Ce dernier se heurtera toutefois à des crises violentes et injustifiées qui rendront l’atmosphère déjà tendue des lieux encore plus lourde et suffocante, et ce, autant pour les éducateurs que pour leurs élèves. Réalisant que Tommy n’a pas effectué le moindre progrès depuis son arrivée, les spécialistes du centre commenceront à s’interroger quant à leur capacité à pouvoir lui venir en aide et à savoir s’il ne devrait pas plutôt être pris en charge par le milieu psychiatrique. De son côté, Gilles sera bien décidé à ne pas jeter l’éponge trop hâtivement face à cette épreuve que plusieurs de ses collègues jugent pourtant insurmontable. Mais, comme les autres, Gilles a lui aussi ses limites…

Au premier abord, il pouvait être assez difficile d’imaginer le scénariste Claude Lalonde, responsable de l’écriture des comédies Les 3 p’tits cochons et Filière 13 de Patrick Huard, s’éloigner à ce point de son répertoire habituel pour s’attaquer à un sujet aussi délicat, et surtout d’une manière aussi froide et percutante. Il s’agit néanmoins d’un dossier que ce dernier connaît particulièrement bien, proposant ici un récit inspiré de son passé à titre d’intervenant en psychiatrie et en délinquance et exposant des événements dont il aurait très bien pu être témoin. Cela explique peut-être pourquoi l’essence du présent exercice se rapproche parfois davantage de celle d’une longue simulation, voire d’une vidéo d’information, que de celle d’une oeuvre dramatique à proprement parler. L’objectif visé par Lalonde était visiblement de communiquer et de faire vivre à son public le genre de situations avec lesquelles ces spécialistes sont appelés à composer sur une base journalière. La patience des spectateurs sera ainsi mise à rude épreuve alors que ces derniers devront eux aussi faire face aux nombreuses crises de Tommy, écarts de conduite s’étalant souvent sur de longues minutes à la limite du supportable. C’est ce perpétuel recommencement qui amènera inévitablement Gilles à frapper un mur alors que les moindres signes d’amélioration du jeune garçon seront toujours systématiquement annulés par un comportement discordant. La plus petite étincelle sera suffisante pour allumer un gigantesque incendie. Cette routine dans laquelle tout est continuellement à refaire justifie d’ailleurs jusqu’à un certain point que 10½ ne suive jamais de réelle progression dramatique. L’initiative obéit plutôt à sa propre logique. Car contrairement à ce que tente de nous faire croire la plupart des essais du genre, il ne suffit pas simplement de tirer sur les bonnes ficèles pour briser du jour au lendemain de mauvaises habitudes ancrées depuis des années dans le caractère d’un individu.

La facture visuelle de Podz colle évidemment parfaitement à ce genre de mises en scène alors que sa caméra, à l’image de ses protagonistes, semble constamment à la recherche d’une source de chaleur humaine à l’intérieur d’un univers où tout paraît pourtant si austère et impersonnel. Une idée qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler, dans un tout autre registre, la série Minuit, le soir. Un énorme fossé se creusera ainsi entre les parties mineure et adulte, même si ceux-ci doivent se côtoyer à longueur de journée. À cet effet, tout porte à croire que les éducateurs du Tremplin sont des plus dévoués à leur cause tellement plusieurs d’entre eux ne semblent rien faire d’autre dans la vie que de travailler au centre. Et si un certain malaise s’installe et perdure tout au long du film, Grou et Lalonde ont au moins le mérite de toujours chercher à demeurer équitable, même au cours des moments les plus difficiles, et ce, autant par rapport à l’attitude qu’au sort réservé aux deux factions. Ce qui étonne d’ailleurs dans l’approche esthétique de Podz, c’est à quel point celle-ci s’avère des plus épurées - en comparaison avec son travail pour la télévision - tout en demeurant extrêmement pesante et maniérée. Le réalisateur parvient ainsi à mettre en relief le caractère particulièrement étouffant, voire emprisonnant, des lieux dans lesquels se déroule la majorité des événements de cette histoire dont la laideur semble habiter les moindres recoins. Comme dans Les sept jours du talion, le Québécois refusa judicieusement d’utiliser toutes formes d’accompagnement musical pour appuyer les séquences plus dramatiques. Et si Podz réussit à s’effacer complètement derrière la caméra, le cinéaste fait néanmoins toujours sentir sa présence à titre d’observateur passif - en plus de la transposer chez le spectateur - de par ses choix de plans et la proximité à laquelle il nous amène de ses sujets.

Pour sa seconde réalisation pour le grand écran, Podz aura pu compter une fois de plus sur les talents de son collaborateur de longue date Claude Legault pour l’épauler devant la caméra, lui qui s’illustre ici grâce à une performance parfaitement nuancée dans un rôle détonnant de la plupart de ceux dans lesquels nous aurons pu le voir ces dernières années. Le jeu tout aussi intense et particulièrement physique du jeune Robert Naylor se révèle pour sa part troublant de vérité, isolant son personnage derrière une immense barricade formée de gestes souvent répréhensibles tout en réussissant malgré tout à attirer la sympathie du public. Un tel attachement passera évidemment par le personnage de Gilles, qui sera de plus en plus présenté comme une figure paternelle pour Tommy, touchant notamment à des domaines d’éducation relevant habituellement beaucoup plus des parents que des pédagogues. Autrement, c’est peut-être la trop grande rigueur scénaristique dont tente de faire preuve Claude Lalonde qui, si elle parvient, certes, à nous plonger dans le vif d’une telle mise en situation, finit malgré tout par restreindre le projet dans son ensemble. Trop d’énergies semblent ainsi avoir été concentrées sur ce désir d’offrir la représentation la plus exacte possible de cet univers au détriment de l’efficacité narrative et dramatique du scénario. Un acharnement qui s’avèrera d’autant plus étrange dans ce cas-ci étant donnée la note on ne peut plus pessimiste sur laquelle se terminera le présent exercice, suggérant que le retour d’un Tommy n’ayant plus nulle part où aller sera beaucoup plus annonciateur d’un cycle destiné à se répéter encore et toujours que d’un premier véritable pas dans la bonne direction. Une dernière scène à l’image d’un film capable de dépeindre une réalité sociale dans tout ce qu’elle a de plus repoussante, mais dans un contexte cinématographique où le sujet et les moyens pris pour l’aborder auraient dû, eux, tendre vers une certaine lueur d’espoir.
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Critique publiée le 22 octobre 2010.