Commotion cérébrale
Par
Jean-François Vandeuren
Depuis le début de sa carrière au cinéma, Mike Myers a sensiblement toujours répété le même cycle. Que ce soit avec son personnage de Wayne Campbell, d’Austin Powers ou même de Shrek, la stratégie du comédien se résumait à chaque fois à créer un personnage loufoque et un univers légèrement décalé dans lequel y plonger celui-ci pour ensuite en exploiter le potentiel humoristique jusqu’à ce qu’il n’y ait absolument plus rien de drôle à en tirer. Un phénomène qui explique en soi cette mauvaise habitude qu’a l’acteur de mettre la patience de son public à rude épreuve en ne se contentant bien souvent que de singer paresseusement les mêmes gags d’un épisode à l’autre - et même d’une franchise à une autre. Une telle prédisposition à la répétition est tout de même logique venant de l’un des gradués de l’émission Saturday Night Live, le parcours des alter ego de Myers ressemblant étrangement à celui de personnages de sketch. Dans les deux cas, l’objectif est simplement de donner à l’auditoire ce qu’il réclame jusqu’à ce qu’il n’en veule plus. Le tout aura d’ailleurs fonctionné à merveille pour le Canadien alors que ses projets auront toujours joui d’un succès considérable au box-office en plus de voir un certain culte se former systématiquement autour d’eux. De quoi mettre notre homme en confiance par rapport à tout ce qu’il entreprendrait par la suite. Mais c’est fort probablement ce même excès d’assurance qui aura poussé l’artiste à créer un personnage aussi insupportable que le gourou Maurice Pitka. De sorte que pour la première fois de sa carrière, Myers a frappé un mur, et un de taille, alors qu’il ne ressort pratiquement rien de bon, et ce, autant d’un point de vue comique qu’artistique, de cet affligeant The Love Guru.
L’une des rares qualités du présent exercice demeure son honnêteté, s’affichant dès les premières minutes comme une oeuvre de pure fiction en présentant les Maple Leafs de Toronto comme une équipe ne se trouvant plus qu’à quatre petites victoires d’une première coupe Stanley en plus de quarante ans. Pour ce faire, la formation devra d’abord venir à bout des Kings de Los Angeles et du redoutable gardien de but québécois Jacques « Le Coq » Grandé (Justin Timberlake). Le seul problème, c’est que ce dernier a récemment usurpé la copine du joueur vedette des Leafs Darren Roanoke (Romany Malco), le faisant sombrer dans une vie de débauche en plus de lui faire perdre ses moyens sur la glace. Pour remédier à la situation, la propriétaire de l’équipe torontoise (Jessica Alba) aura l’idée de recruter le gourou Pitka afin d’aider son as marqueur à remettre de l’ordre dans sa vie et ainsi l’aider à ramener le précieux trophée dans la Ville Reine. C’est donc tout un défi qui attend notre valeureux guide spirituel qui, de son côté, s’il parvient à réconcilier Roanoke avec sa femme, aura enfin la chance d’être invité à l’émission d’Oprah Winfrey et de devenir le nouveau Deepak Chopra. C’est à ce moment que débutera l’une des expériences comiques et cinématographiques les plus embarrassantes et indigestes de mémoire récente. Croyant visiblement dur comme fer qu’il a une recette gagnante entre les mains, Myers se donne bien corps et âme pendant un peu moins de quatre-vingt-dix minutes, mais finit malheureusement ici par faire un vrai fou de lui plutôt que de déclencher les rires de son public. Le comédien repousse du coup les limites du bon goût et du manque d’imagination en répétant sans cesse les mêmes farces grâces et insipides qui ne fonctionnaient déjà pas à l’origine.
Myers continue ainsi de marcher dans les traces d’Austin Powers en faisant d’une série de gags à caractère sexuel la principale ressource humoristique de son film, mais en gardant étrangement son jeu au même niveau que lors de la sortie du nettement supérieur International Man of Mystery de 1997. Le problème principal de l’acteur, c’est qu’il tente ici de plaire à un très vaste auditoire tout en cherchant à offrir un produit résolument vulgaire. Un style qui, au cours des dix dernières années, aura été perfectionné - dans tous les sens du terme - et exploité de manière beaucoup plus intelligente et efficace par des comédiens comme Will Ferrell et Seth Rogen, pour ne nommer que ceux-ci. Ainsi, tandis que Myers et son Love Guru s’entêtent à garder leurs bases à un niveau d’humour maintenant jugé préscolaire, la concurrence, elle, aura tout mis en oeuvre pour prendre la relève et satisfaire un public plus adulte. Par ailleurs, quelqu’un devrait aussi fortement conseiller à l’artiste canadien d’arrêter de chanter. Pour son premier tour sur la chaise du réalisateur, Marco Schnabel se tire correctement d’affaire en offrant une mise en scène on ne peut plus anonyme, dépendant entièrement du scénario et des simagrées de sa tête d’affiche - avec lesquels il ne pouvait évidemment pas faire de miracles. Il faut dire également que le présent effort démontre une compréhension extrêmement limitée du hockey sur glace alors qu’en comparaison, la trilogie The Mighty Ducks de Disney pourrait facilement passer pour du cinéma direct. Un match de final prendra du coup davantage les allures d’une partie d’exhibition au coeur du Air Canada Center. Quoiqu’encore là, les partisans de Toronto ont été privés pendant tellement longtemps d’une participation aux rondes éliminatoires qu’il se peut très bien qu’ils aient fini par oublier à quoi pouvait ressembler l’ambiance des séries d’après-saison…
Il n’y a pas à dire, Mike Myers aura vraiment atteint le fond du baril ici alors que The Love Guru se révèle être le projet d’un artiste ne semblant plus avoir le moindre tour dans son sac. De cette piètre machination cherchant désespérément à se faire passer pour un film, nous ne retiendrons au final qu’une seule réplique réellement désopilante et une séquence servie à la sauce Bollywood particulièrement réussie. Autrement, nous sommes confrontés aux tristes résultats d’une entreprise dont l’équipe de créateurs, en tentant par tous les moyens de rendre son projet un tant soit peu divertissant, aura produit à tout coup l’effet inverse. Ce n’est pourtant pas la performance ronflante de Jessica Alba, ni la caractérisation de la population québécoise passant ici par un Justin Timberlake obsédé par Céline Dion et poussant maladroitement l’un de nos plus célèbres mots d’Église à quelques occasions, ni même de voir deux éléphants de cirque s’envoyer en l’air avant un tir de punition décisif… C’est autre chose. C’est d’assister au triste spectacle d’un comédien perdant à son propre jeu et continuant de tomber toujours un peu plus bas sous nos yeux plutôt que de s’avouer vaincu. Il est probable que Myers avait déjà des idées de franchise pour son gourou. Heureusement pour nous, les sommes dérisoires amassées au box-office nous assure qu’un tel fléau ne se produira jamais. Il s’est évidemment fait bien pire en termes de comédies nord-américaines depuis le début du nouveau millénaire. Ce ne sont d’ailleurs pas les exemples de navets qui manquent. Mais c’est surtout parce que nous nous attendions à beaucoup plus de la part de Mike Myers que nous ressortons de cette « expérience » avec un goût aussi amer dans la bouche, abaissant ainsi The Love Guru au rang des productions les plus pitoyables de la dernière décennie.
Critique publiée le 9 octobre 2010.