Pas qu'une question d'argent
Par
Jean-François Vandeuren
Que ce soit au hockey ou dans n’importe quel autre sport professionnel, la question des salaires et des conditions de vie des athlètes n’est plus une préoccupation depuis déjà plusieurs décennies. Il n’est d’ailleurs plus rare (en particulier dans les grands sports américains tels le baseball, le football et le basketball) de voir les joueurs les plus talentueux accepter des sommes astronomiques pour endosser l’uniforme d’une organisation donnée. Car même s’il ne lui garantit pas forcément une chance d’accéder aux grands honneurs, la simple présence d’une vedette au sein d’une équipe sportive est en soi suffisante pour faire vendre des billets, et ce, même dans les plus petits marchés. Une notion que les propriétaires ont assimilée depuis belle lurette. Mais la situation n’a pas toujours été aussi rose pour les athlètes professionnels. Et c’est à cette problématique que s’intéresse principalement ce Net Worth du Canadien Jerry Ciccoritti. Le réalisateur revient ainsi sur la saison 1956-57 de la Ligue Nationale de Hockey, laquelle aura été marquée par une première tentative de la part des joueurs de former une association afin de faire valoir leurs droits auprès de propriétaires souvent trop gourmands. Une initiative qui sera lancée par le joueur étoile des Red Wings de Détroit Ted Lindsay (Aidan Devine) après qu’il ait tenté en vain de venir en aide à l’un de ses comparses récemment licencié par l’organisation. Le but premier de cette entreprise sera de permettre aux hockeyeurs de gérer eux-mêmes leur fond de pension. Une requête qui sera évidemment refusée par les patrons de cette ligue qui, selon leurs dires, ne serait pas suffisamment lucrative. Lindsay se tournera alors vers les services de l’avocat Milton Mound (R.H. Thomson) qui, pour sa part, démontrera qu’une franchise comme celle des Red Wings est en soi plus rentable qu’une équipe de baseball aussi prestigieuse que les Yankees de New York.
S’il y a une chose qui n’a pas changé avec le temps, c’est que la rémunération octroyée aux athlètes professionnels aura toujours été largement suffisante pour permettre à ces derniers de vivre une existence tout ce qu’il y a de plus aisée. L’opinion publique aura d’ailleurs toujours été passablement divisée face à ce phénomène - aujourd'hui plus que jamais alors que le salaire d’un joueur se chiffre à présent en millions de dollars. Une nouvelle réalité qui aura fini par faire de ces sportifs les véritables institutions de ces disciplines au coeur desquelles le sentiment d’appartenance à une formation se sera peu à peu estompé au fil des ans. De sorte que, de nos jours, l’avenir financier d’un joueur sans contrat de travail sera toujours assuré pour plusieurs années. L’ère dont Net Worth dresse le portrait est évidemment bien différente alors qu’un hockeyeur sans emploi pouvait rapidement se retrouver à la rue. Les exemples de ces travailleurs « ordinaires » devant faire face à la pauvreté sont d’ailleurs nombreux dans ce téléfilm basé sur le bouquin du même nom des auteurs David Cruise et Alison Griffiths - qui participèrent également à l’écriture du scénario. Ces derniers cherchent ainsi à dévoiler, à travers le combat de Lindsay, le vrai visage des dirigeants d’une ligue faisant tout ce qui est en leur pouvoir pour contrôler la totalité de leurs sources de revenus, allant jusqu’à exploiter la naïveté et le bon vouloir d’une vedette de la trempe de Gordie Howe (Kevin Conway) afin de l’amener à signer pour un salaire bien en dessous de sa valeur réelle en tant qu’athlète. Une situation qu’exposera habilement Ciccoritti lors d’une séquence où les porte-couleurs des Wings passeront tour à tour dans le bureau d’un Jack Adams (Al Waxman) particulièrement sournois, et toujours amer de la défaite subie face au Canadien de Montréal lors de la dernière finale de la coupe Stanley.
Comme nous avons affaire ici à une oeuvre produite pour la télévision, nous pouvions évidemment nous attendre à ce que le fond prenne beaucoup plus de place que la forme - à laquelle il manque souvent passablement de finition dans ce genre d’exercices. En particulier à une époque où le médium ne s’était pas encore doté des moyens qu’il possède aujourd’hui et qui lui permette à présent de rivaliser avec la qualité des grandes productions hollywoodiennes. Certes, une telle approche est loin d’être de mauvais augure, même si elle se traduit parfois par un jeu d’ensemble peu convaincant et un traitement plutôt grossier des thèmes abordés. Mais dans ce cas-ci, nous devons bien reconnaître que la mise en scène de Ciccoritti réussit à dépeindre avec intelligence et un certain sens du spectacle cet affrontement entre David et Goliath au terme duquel ce sera toutefois le géant qui aura le dernier mot cette fois-ci. Si les artisans de Net Worth n’avaient pas forcément la latitude - ou même la vision - nécessaire pour arriver à des résultats de grande envergure, le réalisateur démontre tout de même une réelle volonté de mener le projet à bon port et de ne pas faire les choses qu’à moitié. Nous passerons d’ailleurs facilement par-dessus un montage dans lequel nous ressentirons toujours les coupures devant mener à une pause publicitaire. Le tout grâce, entre autres, à la surprenante direction photo de Barry Stone qui, par l’entremise d’une palette de couleurs légèrement délavées, de quelques plans obliques et d’images superposées, aura su recréer avec un certain cachet le style visuel propre aux productions de l’époque représentée. Quelques dérapages sont néanmoins observables lorsque Ciccoritti et Stone tente de nous transporter dans le feu de l’action en optant pour une facture plus contemporaine afin de recréer le rythme endiablé d’une partie de hockey, menant à une série de décisions esthétiques qui ne produisent malheureusement pas toujours les effets escomptés.
Évidemment, Net Worth demeure avant tout un film sur les aspects humain et financier du hockey plus que sur la discipline en tant que telle. Il n’est donc pas surprenant de voir aussi peu d’images de jeu défiler au cours de son visionnement. Ciccoritti et ses acolytes savaient néanmoins comment faire plaisir aux amateurs durant ces passages, notamment lors de cette longue séquence d’ouverture nous donnant la chance d’assister à la première journée du camp d’entraînement des Red Wings de cette année-là. Net Worth se révèle ainsi un document plus que pertinent sur les coulisses d’un milieu dont les travailleurs auront dû eux aussi s’unir afin de reprendre ce qui leur était dû des mains de leurs dirigeants. Ce regard acerbe sur la situation passée de ces derniers prend, certes, une tout autre signification lorsque nous tenons compte de l’état actuel des choses. Mais comme le soulignera Ted Lindsay en cherchant à faire valoir son point auprès de ses collègues et de ses adversaires, la majorité des hockeyeurs adorent leur sport et accepteraient de le pratiquer tout à fait gratuitement, mais pas lorsque les propriétaires, eux, réclament l’argent des amateurs désirant les voir à l’oeuvre. Ce qui est en soi la logique de toutes activités financières. Nous pourrions évidemment reprocher au présent effort un certain manque de nuances et le manichéisme avec lequel il a tendance à présenter les athlètes face à la partie patronale dans un duel où celle-ci se permettra vraiment tous les coups. Cette approche mènera néanmoins à une savante, et non moins désolante, pointe d’ironie alors que sera exposé le sort peu heureux de certains héros du passé ayant tourné le dos au projet de Lindsay. Le tout à la fin d’un parcours qui aura révélée la vraie nature de tous ces hommes d’affaires qui, de leur côté, allaient plus tard donner leur nom aux trophées individuels les plus convoités de tout le hockey professionnel.
Critique publiée le 7 octobre 2010.