DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Amours imaginaires, Les (2010)
Xavier Dolan

Mile-End : Le Film

Par Jean-François Vandeuren

Revenons un an en arrière, avant que ne s’amorce la soixante-deuxième édition du Festival de Cannes. Pour la plupart des cinéphiles, Xavier Dolan(-Tadros) n’était à ce moment que l’un des bambins appelés à livrer une guerre sans merci dans l’ô combien épique La Forteresse suspendue de Roger Cantin, ou l’adolescent victime bien malgré lui de la vengeance meurtrière de la pauvre Lucie dans l’excellent Martyrs de Pascal Laugier. Puis, à la mi-mai, le jeune Dolan débarquait sur la croisette pour y présenter son premier film à titre de réalisateur, scénariste et producteur : le fameux J’ai tué ma mère. Un long-métrage qui allait permettre à son instigateur de rafler pas moins de trois prix dans la section Quinzaine des réalisateurs. Un exploit tout de même considérable pour un cinéaste qui n’était alors âgé que de vingt ans. Et ce n’était que le début d’un parcours pour le moins stellaire d’une oeuvre qui, malgré un accueil critique plutôt partagé, allait se mériter un nombre tout de même assez impressionnant de distinctions dans plusieurs festivals de réputation mondiale. La question était maintenant de savoir si notre jeune auteur national avait tout donné après un seul film, ou si le meilleur était toujours à venir. Ce dernier n’aura pas pris de temps pour répondre à cette interrogation, récidivant pratiquement un an jour pour jour après son entrée en scène avec Les amours imaginaires. Après avoir traité des relations tumultueuses unissant une mère et son fils, Dolan aborde à présent la question des rapports amoureux au sens large. Nous sommes introduits ici à Francis (Dolan) et Marie (Monia Chokri), deux amis de longue date qui tomberont simultanément en amour avec Nicolas (Niels Schneider). L’idée sera évidemment de savoir pour lequel des deux individus notre beau frisé éprouvera un sentiment réciproque. C’est alors que débutera un jeu de séduction particulièrement vicieux qui mettra rapidement en péril l’amitié entre les deux prétendants.

Nous pouvons évidemment nous douter de la tournure que prendront les événements en ne s’attardant qu’au titre du présent exercice. Dolan s’exprime de ce fait sur ces sentiments à sens unique en séparant justement les trois actes de son deuxième opus en fonction des différentes étapes qu’impliquent ce genre d’idylles, qui ne se matérialisent rarement en dehors de l’esprit du principal intéressé. Ces passions aveugles dans lesquelles aura été fondé tant d’espoir avant que l’être aimant ne finisse par frapper un mur et ne doive jongler avec cet inévitable retour à la réalité où tout sera éventuellement à refaire (pour le mieux, on l’espère). Une épreuve à laquelle tout le monde a déjà été confronté au moins une fois dans sa vie. Il faut dire que la stratégie du réalisateur québécois aura été jusqu’à maintenant de mettre en scène des situations dans lesquelles son public pourrait automatiquement se reconnaître. La façon dont Les amours imaginaires aborde cette problématique se révèle d’ailleurs d’une extrême simplicité. Le cinéaste n’aura en soi besoin que d’une image montrant les deux protagonistes côte à côte, discutant furtivement de leur nouvel objet de désir commun tandis qu’apparaîtra quelques instants plus tard le titre du film, pour que nous comprenions clairement de quoi il sera question ici. Dolan se servira également beaucoup du comportement impulsif de ses protagonistes pour accentuer la tension sous-jacente sur laquelle repose son récit. Mais le présent scénario n’a malheureusement qu’un nombre de tours assez limité dans son sac et finit par répéter le même cycle durant la majeure partie de son parcours. Nous serons ainsi témoins de l’accroissement d’une forte animosité entre deux amis se retrouvant constamment en compétition afin de déterminer qui est le mieux habillé, qui peut prétendre connaître la carrière d’Audrey Hepburn (actrice fétiche de Nicolas) sur le bout des doigts, qui offre le plus beau cadeau d’anniversaire, qui sait manger sa guimauve avec le plus de conviction, etc. 

Dolan cherchera également à enrichir son propos en parsemant son oeuvre de diverses entrevues menées auprès d’individus n’ayant aucun lien direct avec l’intrigue principale, invitant alors ceux-ci à discuter de leurs propres « amours imaginaires ». Il s’agit d’ailleurs du coup le plus senti du présent effort et celui où l’approche du cinéaste se révèle définitivement la plus sincère, même si nous aurions apprécié que la directrice de la photographie Stéphanie Weber-Biron y aille un peu plus mollo sur les zooms durant ces quelques intermèdes. Autrement, les aspirations artistiques de Xavier Dolan semblent vouloir s’enraciner volontairement entre deux époques. Un désir qui se fera d’abord sentir au niveau du choix des pistes musicales, passant de la reprise de Dalida de la chanson Bang Bang (My Baby Shot Me Down) à Jump Around de House of Pain (rien de moins) tout en se permettant une touche plus actuelle en pigeant, notamment, dans le répertoire des deux projets de la Suédoise Karin Dreijer Andersson, soit The Knife et Fever Ray. Les amours imaginaires s’impose ainsi comme un film résolument moderne, mais dont les bases cherchent tout de même tant bien que mal à se mêler à celles d’une conception antérieure du cinéma. Toute la gomme a d’ailleurs été mise ici sur le style avant tout autre chose. Mais comme sur le plan scénaristique, la facture esthétique du réalisateur québécois expose rapidement ses limites. On pense surtout à ces fameux ralentis, que ce dernier utilise de façon particulièrement abusive dans des situations qui ne requiert pas toujours un tel état d’apesanteur. Il en va de même pour ces longues séquences baignant dans un éclairage coloré, mais non moins sombre et froid, dans lesquelles Marie et Francis se retrouveront respectivement au lit avec un inconnu à usage unique, communiquant à ce moment toute leur déception de ne pas être en compagnie de l’homme qu’ils aiment réellement.

La principale force du cinéma de Xavier Dolan aura été jusqu’ici de toucher à des sujets universels d’une manière ouvertement naïve en visant toujours beaucoup plus le coeur que la raison. Mais s’il semble à première vue vouloir s’adresser à un assez large public, il devient vite évident que Les amours imaginaires a été conçu pour un bassin de population bien précis, de par le choix des lieux de tournage et des costumes ainsi que par l’attitude générale des individus qu’il met en scène qui, pour les bonnes et les mauvaises raisons, nous fera souvent grincer des dents. Ce deuxième opus constitue néanmoins une amélioration considérable par rapport à J’ai tué ma mère sur le plan visuel alors que la composition des différents cadres s’avère beaucoup plus travaillée, à l’instar d’un montage dont la progression se révèle ici beaucoup plus fluide et naturelle. Dolan se tire également mieux d’affaire en tant qu’acteur en offrant une performance moins excentrique et étonnamment nuancée. Évidemment, l’identité artistique de ce dernier reste encore à définir, les influences de l’auteur étant toujours très abondantes, et surtout facilement identifiables, lui qui ira d’ailleurs jusqu’à se citer lui-même. Si elle a ses mérites, cette suresthétisation nous donne néanmoins l’impression d’avoir affaire à une entreprise qui aura tout misé sur la forme afin de palier un manque au niveau de la matière, que le cinéaste n’explore finalement qu’à titre de simple observateur. Dolan a aussi tendance à se montrer quelque peu inconséquent par rapport à son propre récit, comme dans cette séquence où Marie reprochera à une pièce de théâtre ses dialogues trop littéraires alors que l’univers dans lequel elle évolue en est en soi bien rempli. Simple ironie? Difficile à dire. Autrement, Xavier Dolan signe une oeuvre dont nous faisons le tour assez rapidement, mais qui prendra pourtant un temps fou pour finalement boucler la boucle - avant, évidemment, de la défaire de nouveau.

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Critique publiée le 15 juin 2010.