Il aura fallu attendre douze ans après que James Cameron ait pulvérisé tous les records au box-office avec l’excessivement oscarisé Titanic pour voir le Canadien revenir enfin à la fiction - après une incursion somme toute peu concluante dans le monde du documentaire marin avec Aliens of the Deep et Ghosts of the Abyss. Pourtant, le présent effort aurait pu voir le jour dès 1999. Mais pour des raisons essentiellement technologiques et budgétaires, la mise en chantier du projet aura sans cesse été repoussée. La situation est évidemment bien différente à présent alors qu’un simple écran bleu et quelques ordinateurs peuvent désormais permettre à un réalisateur d’amener son public à peu près n’importe où. Muni d’un budget de plus de 230 millions de dollars et de procédés spécialement développés pour les besoins du film, Cameron nous transporte finalement sur la planète Pandora, un lieu mythique où une corporation terrienne tente de conclure un marché avec une tribu na’vi dans le but d’extraire un minerai de grande valeur. Le problème, c’est que l’arbre gigantesque servant de village à la population locale se situe juste au-dessus du gisement de ce précieux métal. Afin de favoriser les échanges entre les deux espèces, un programme a été mis sur pied pour créer une entité mi-homme, mi-na’vi pouvant être contrôlée à distance par l’individu ayant soumis son code génétique à ce curieux exercice. Suite au décès de son frère jumeau, un marine ayant perdu l’usage de ses jambes (Sam Worthington) sera appelé à prendre le contrôle de l’un de ces géants au teint bleu. Un incident permettra ensuite à ce dernier de s’immiscer au coeur de cette culture dont il devra vite apprendre les moindres rudiments. Évidemment, le soldat finira par s’identifier davantage aux défenseurs de cet écosystème d’une richesse inestimable plutôt qu’aux vils représentants de cette vaste opération industrielle et militaire.
Il faut dire que peu importe ce que James Cameron proposerait pour son grand retour derrière la caméra, cet événement cinématographique serait pratiquement condamné à ne pas rencontrer les attentes démesurées des différents spectateurs. Les moyens déployés ici s’avèrent, certes, faramineux et nous devons bien reconnaître que d’un point de vue purement esthétique, le réalisateur canadien remporte son pari haut la main. Car Avatar est bel et bien habité par le même souffle épique ayant fait la renommée des précédents opus de Cameron, tandis que ce dernier se fait un plaisir de renouer avec ses manies et ses thèmes de prédilection qui font depuis longtemps partie intégrante de son imaginaire. On pense, notamment, à la grande force de caractère de ses personnages féminins - représentés cette fois-ci par Zoe Saldana, Michelle Rodriguez et l’incontournable Sigourney Weaver - et à ce traditionnel affrontement entre une force organique et une puissance technologique, comme c’était le cas dans Aliens, Terminator et même Titanic. Le problème, c’est que sur le plan scénaristique, Avatar n’affiche pas la moitié de ses ambitions techniques alors que le cinéaste ne semble jamais vouloir s’aventurer au-delà de sa zone de confort, nous livrant une fable écologique qui, malgré ses bonnes intentions, ne se contente que de suivre un parcours dramatique tout ce qu’il y a de plus convenu. Évidemment, les parallèles avec la situation actuelle au Moyen-Orient demeurent inévitables, tout comme ceux avec le sort réservé aux Amérindiens durant la conquête de l’Ouest, lesquels nous ramènent directement ici à la légende de Pocahontas et au fameux Dances with Wolves de Kevin Costner. Mais la façon dont Cameron intègre certains codes du western à son récit tout en faisant écho à une forme d’art émergente témoigne tout de même des talents d’un raconteur qui, à défaut d’être aussi novateur, semble toujours en pleine possession de ses moyens.
« You are not in Kansas anymore », lancera un colonel impitoyable (Stephen Lang) à ses nouvelles recrues. Un clin d’oeil assez peu subtil au célèbre Wizard of Oz de Victor Fleming qui illustre en soi parfaitement le contexte d’une histoire dans laquelle s’affrontent un univers fantastique vibrant de couleurs et une réalité terrienne décrite comme morne et sans vie. Ce nouvel environnement nous est d’ailleurs présenté au départ comme un monde de rêves, voire même comme un espace carrément virtuel. Il faut dire que par ses paysages féériques et son abondance de créatures plus étranges les unes que les autres, Pandora a déjà beaucoup plus de points en commun avec l’univers d’un jeu vidéo que celui d’une oeuvre cinématographique, du moins de mémoire récente. Une ressemblance qui est d’autant plus appuyée par le fait que les principaux personnages doivent se connecter à un réseau afin de pouvoir prendre le contrôle d’un autre corps - d'où le titre du présent exercice - et ainsi quitter leur réalité pour s’immiscer à l’intérieur d’une autre beaucoup plus excitante. Le tout mènera d’ailleurs à une séquence particulièrement cocasse, et surtout des plus révélatrices, dans laquelle une Sigourney Weaver extrêmement maternelle forcera le personnage de Sam Worthington à prendre son petit déjeuner avant de retourner « jouer ». L’initiative trouve également sa pertinence dans la façon dont Cameron orchestre cette immersion par le biais d’une série d’objectifs ayant pour but de faire progresser l’avatar du personnage principal. C’est d’ailleurs par l’entremise de cette progression narrative que le réalisateur justifie le plus la durée excessive de son film qui, malgré ses deux heures et demie, demeure fort captivant du début à la fin. Ce déploiement à la fois minutieux et patient confèrera aussi une valeur autrement plus significative à une dernière séquence de guerre déjà tout ce qu’il y a de plus spectaculaire.
Ce triomphe de la fantaisie comporte toutefois son lot d’ambiguïtés, à commencer par la façon dont il tente de faire l’apologie du divertissement vidéoludique, qui s’avère ici souvent hasardeuse, et même profondément pessimiste. En particulier dans un contexte où ce genre d’échappatoires - de plus en plus populaires - au quotidien ont déjà favorisé l’éruption de nouveaux comportements sociaux pour le moins inquiétants. Ainsi, outre le désir évident du protagoniste de retrouver sa liberté de mouvement, celui-ci finira également par afficher une volonté de se dissocier complètement d’une race humaine vouée à l’échec dans le but de se joindre à ce monde exotique de façon permanente. Autrement, cette soi-disant révolution cinématographique finit par prendre beaucoup trop les allures d’une simple peinture à numéro pour réellement mettre en valeur ses nombreux atouts technologiques. La qualité de la mise en scène dans Avatar demeure, certes, indéniable, tandis que chaque séquence d’aventure s’avère toujours des plus enlevantes - grâce au montage remarquablement fluide de Cameron et son équipe et à la sensationnelle direction photo de Mauro Fiore. Néanmoins, le présent effort ne se contente que de suivre à la lettre une formule déjà abondamment exploitée depuis dix ans en nous amenant à la rencontre de personnages on ne peut plus unidimensionnels tout en nous faisant suivre un parcours dramatique dont chaque revirement s’avère des plus prévisibles. Cameron nous offre tout de même en bout de ligne un spectacle diablement efficace, et peut-être le document le plus pertinent jusqu’à maintenant pour justifier l’émergence des nouvelles technologies 3D au cinéma. Il ne reste plus qu’à voir si Avatar réussira à s’imposer à long terme dans un registre de science-fiction comptant déjà plusieurs oeuvres autrement plus significatives du cinéaste canadien. Mais ça, c’est une tout autre histoire…