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Flick / Dr. Frankenstein on Campus (1970)
Gilbert W. Taylor

Made in Canada

Par Anthony Morin-Hébert

Le cinéma canadien mit bien du temps à produire sa propre adaptation du célèbre mythe de Frankenstein. L'industrie de nos voisins du sud s'était appropriée le monstrueux récit depuis belle lurette (Frankenstein, J. Searle Dawley, 1910), et la créature avait déjà fait la tournée des studios de l'Italie (Sexy proibitissimo, Marcello Martinelli, 1963), du Mexique (The Hell of Frankenstein, Rafael Baledón, 1960), du Japon (Frankenstein vs. Baragon, Ishirō Honda, 1965), de la Turquie (Killing vs. Frankenstein, Nuri Akinci, 1968) et de l'Égypte (Ismail Yassin Meets Frankenstein, Isa Karamah, 1954), sans oublier sa résidence amorcée en 1957 à la Hammer, en Angleterre, où elle avait renouvelé sa popularité en gagnant le cœur d'une nouvelle génération de spectateurs et de spectatrices. Misant sur la fascination d’une jeunesse assoiffée d'histoires de monstres et de science-fiction, l'opportuniste et nullissime Flick, sorti en 1970, aussi connu sous le titre Dr. Frankenstein on Campus, renouvela les mésaventures du savant mégalomane en le plaçant sur les bancs d'une université canadienne. Expulsé d'un établissement de sa Transylvanie natale, le jeune Viktor Frankenstein y poursuit ses recherches sur le cerveau humain et peine à s'intégrer à la vie étudiante faite d'insouciance et d'excès. Nanar s'il en est, ce seul et unique long métrage réalisé par Gilbert W. Taylor vaut le détour pour sa maladresse technique et le ridicule portrait qu’il dresse de la contreculture des années 1960.

La liste de ses bévues est longue : la mise en scène et les plans sont peu inspirés, le montage accumule les coupes hâtives qui scindent l’action et celles, tardives, qui laissent les personnages désœuvrés, ces derniers s’avèrent désagréables dans leurs mauvais stéréotypes et les acteurs qui les incarnent, fort peu convaincants. On pardonne néanmoins l’insipidité de leur jeu lorsqu’on considère le scénario auquel ils ont affaire — extrêmement verbeux, celui-ci remplit bien mal les promesses que la promotion et les prémisses du film faisaient miroiter à son public, qui était en droit de s’attendre à de sordides expérimentations scientifiques, à un minimum d’effets spéciaux et à des scènes de body horror. Or, la science du film passe presque exclusivement par de désolants dialogues expliquant vaguement le fonctionnement du cerveau et les manières par lesquelles on pourrait le contrôler ; la télécommande et les implants cérébraux conçus par le personnage éponyme nous sont dévoilés après coup, une fois leur développement complété. « There it is. And I made it », dit Frankenstein à sa concubine avant de lui annoncer qu'il a préalablement implanté des électrodes dans le crâne de ses animaux de compagnie, gâchant le potentiel d'une scène scabreuse qui aurait pu être captivante. S'ensuit une démonstration de son invention durant laquelle il contrôle le schnauzer nain et le chat siamois de sa dulcinée pour les pousser au combat, et où l'on distingue à quelques reprises le fil de pêche employé pour exciter (ou torturer ?) les deux bêtes. À grands coups de pattes, le félin tue son pauvre adversaire qui ne porte mystérieusement aucune trace de lacération, puis sa maîtresse au visage impassible énonce son horreur en couvrant son amant de sévères remontrances : « You're so strange at times! » Frankenstein réitérera l'expérience sur quatre étudiants, jetant son dévolu sur son ami expert en taekwondo qu'il contrôlera pour éliminer ceux et celles qui lui ont nui. Là encore, les démonstrations de sa technologie n'ont rien de palpitant. Apparaissant de temps en temps dans un coin du cadre, télécommande à la main et sourire sardonique au visage, le protagoniste reste immobile alors que l'ami attaque ses victimes sans qu'aucun maquillage, costume ou trucage autre que des gestes à l'allure machinale ne révèlent sa condition. Si le procédé a le mérite d'être économe, il devient vite emmerdant ; seul le meurtre d'une photographe noyée dans le bac de laboratoire d'une chambre noire est réussi, et l'efficacité de la séquence tient moins à ses ramifications technologiques qu'à sa simple excentricité. 

Outre les émotions et frissons qu'elles suscitent, les œuvres de science-fiction encapsulent les préoccupations qu'entretient la société qui les a produites à l'égard du progrès technique ; Flick nous ramène à cette époque où le contrôle de l'esprit et les messages subliminaux inquiétaient la population, qui n'avait pourtant pas encore appris l'existence de MK-Ultra, ce vaste projet de la CIA où LSD et autres drogues furent notamment testés à Montréal comme outils de manipulation mentale. Aux sinistres potentialités du bidule inventé par le descendant des Frankenstein, qui rendent compte des dangers que l'on pouvait attribuer aux avancées de la neurologie, des ondes et des réseaux, s'ajoutent les manifestations étudiantes mises en scène par le réalisateur. Campées dans cette œuvre saugrenue, les récriminations dirigées contre l'informatique et le transhumanisme surprennent par leur justesse et nous renvoient à nos propres enjeux contemporains — le technicisme débridé comme menace pour le bien-être collectif. Mais là s'arrête la pertinence du film, qui finit par diluer son propos tant il accorde d'attention à charmer et critiquer son public cible : la jeunesse. Le militantisme des baby-boomers est ainsi ridiculisé par la facilité avec laquelle cette génération est manipulée, tandis que sa propension à faire la fête est continuellement dénigrée par le personnage principal et par la narration. L'hédonisme s'enfle pour accaparer des scènes entières représentant des fêtes orgiaques où l'on écoute du rock, fume l'infernale marijuana et avale des litres d'alcool, se french kiss à grandes lampées et se tripote en public. Ces longues séquences parées de formes et couleurs psychédéliques ont sans aucun doute été pensées pour séduire un public masculin d'adolescents et de jeunes adultes, tout comme l'ont été la tentative ratée de restituer leur argot (qui en devient ringard), la garde-robe provocatrice des belles figurantes et le corps trop souvent dénudé de la petite amie de Frankenstein. La grossièreté de la mascarade est telle qu'elle en devient dérisoire, d'autant qu'on y lit très clairement la condescendance de ses créateurs envers le public qu'ils devaient appâter. Pour rajouter à l'insulte, Dr. Frankenstein on Campus se clôt par un improbable deus ex machina qui cherche à frapper l'imaginaire, mais qui réussit uniquement à susciter le rire et l'exaspération avant de laisser place au soulagement apporté par l'arrivée du générique. L'un des fiascos du cinéma canadien vient de prendre fin, et avec lui le brainwashing abrutissant mais ô combien hilarant auquel on a été soumis·e.

 

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Critique publiée le 18 juillet 2023.