DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Blade Runner 2049 (2017)
Denis Villeneuve

Souvenirs d'une humanité perdue

Par Sylvain Lavallée
Dans Blade Runner (1982, Ridley Scott), pour distinguer un replicant, un androïde, d’un être humain, il faut passer le test Voight-Kampf, c’est-à-dire observer un individu à travers la lentille d’un appareil, lui poser des questions conçues pour provoquer un choc émotionnel, et établir un diagnostic en évaluant diverses réactions physiologiques (dilation de la pupille, rythme cardiaque, respiration, etc.). À la question « qu’est-ce qu’être humain ? », Blade Runner suppose que la réponse est parfaitement lisible à la surface de la peau : l’humanité se reconnaît, c’est-à-dire qu’un humain a le pouvoir (le devoir) de reconnaître ou non l’humanité des autres, et que ce faisant il met en jeu sa propre humanité. Quand Deckard (Harrison Ford) révèle brutalement à Rachel (Sean Young) qu’elle n’est qu’un replicant, qu’elle n’est donc pas « humaine », nous sommes frappés par son manque flagrant d’empathie, son indifférence devant cette femme qui est visiblement blessée par cette révélation, et par la manière qu’elle lui a été servie (à ce moment, Deckard ne passe pas le test Voight-Kampf, mais il faut plus qu’une question pour établir un diagnostic certain). À l’inverse, quand à la fin du film Deckard demande à Rachel si elle l’aime et lui fait confiance, la valeur qu’il accorde à ses réponses nous assure qu’il ne voit plus Rachel comme une replicant, ou du moins que cela n’a plus aucune importance, ses questions exprimant qu’il la reconnaît comme humaine, qu’il s’identifie à elle, et donc qu’il partage avec elle quelque chose que nous nommons d’ordinaire « l’humanité » (quand bien même ils seraient tous deux des androïdes).
 

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Dans Blade Runner 2049, comment différencier un être humain d’un replicant ? Le film fournit une fausse réponse : les êtres humains sont nés dans le ventre d’une mère. Pourquoi une fausse réponse ? Parce que dans l’original les replicants étaient troublés à l’idée d’avoir été créés artificiellement, et spécifiquement de ne pas avoir de mère (ils avaient leur père, leur créateur, Tyrell), alors pour un replicant, se découvrir une mère c’est se rapprocher de cette humanité que les êtres humains leur refusent. C’est du moins ainsi que nous pouvons interpréter la réplique de K (Ryan Gosling), un blade runner comme Deckard autrefois, d’emblée présenté comme un replicant, et bien au courant de sa nature mécanique, de ses souvenirs implantés : « l’âme vient à la naissance » dit-il. Il s’agit d’une réponse de robot à la question de l’humanité, mais K a besoin d’y croire puisqu’il ne trouve pas ailleurs cette reconnaissance dont il aurait besoin pour se convaincre d’être l’humain qu’il pressent qu’il est malgré tout. Et s’il ne la trouve nulle part, c’est que même la caméra de Denis Villeneuve n’est pas capable de la reconnaître, et sans doute, même l’interprétation de Gosling n’est pas capable de l’exprimer : comment un cinéaste au regard aliéné, habitué de filmer les hommes depuis la perspective d’un poisson mort, pourrait reconnaître l’humanité d’un acteur qui tend vers l’inexpressivité, qui joue des personnages se refermant en eux-mêmes pour éviter d’avoir à se frotter au monde ? Il paraît évident que cette conjonction entre ce cinéaste et cet acteur tentant d’adresser ces idées ne peut pas aboutir sur une œuvre aussi simple et limpide que l’original (simple dans sa proposition, vertigineuse dans ses implications).

Et en effet, dans Blade Runner 2049, d’un point de vue thématique, la confusion règne, comme si le film de Villeneuve restait coincé dans la supposée ambiguïté identitaire de Deckard (homme ou replicant, nous y reviendrons) et essayait de multiplier à n’en plus finir ce genre de questionnements creux — d’où une quête basée sur une fausse réponse, de faux souvenirs, de fausses pistes (une quête, pour résumer, partant de la découverte d’ossements enfouis, ceux d’une replicant qui serait semble-t-il morte en accouchant, K devant retrouver et tuer cet enfant miraculeux né dans le ventre d’une androïde, mais il se convainc peu à peu d’être celui qu’il cherche). Le film semble chercher le « vrai » dans ce monde de simulacres, ou plus exactement l’humain dans le simulacre, mais il n’offre aucun critère permettant d’effectuer cette distinction, ce qui est précisément le principe du simulacre (effacer les critères permettant de différencier l’original d’une copie), alors il ne reste que des questions, qui concernent moins les thèmes du film que la possibilité pour un tel film d’exprimer quoi que ce soit. Par exemple, est-ce que nous devrions nous identifier à la quête de K qui cherche à rejoindre le monde des hommes ? Cette quête peut résonner en nous (qui n’a jamais cherché la reconnaissance des autres pour se convaincre d’exister ?), mais comment savoir si un acteur qui cultive l’inexpressivité joue cette fois encore un personnage replié sur lui, ou s’il est simplement le robot que le scénario nous assure qu’il est ? Quand Joi (Ana de Armas), un hologramme corporatif programmé pour aimer son propriétaire, dit à K qu’il est « spécial », quand elle souhaite prendre une forme matérielle pour lui plaire, quand elle accepte sa destruction imminente pour aider K, est-ce qu’elle manifeste une conscience de soi, de sa mortalité, voire un altruisme, qui témoigneraient de son humanité ou de quelque chose qui ressemblerait à ? Est-ce un personnage tragique, qui, comme K, est enfermée dans les limites que le monde des hommes lui a assignées, ou ne fait-elle qu’obéir à sa programmation, à son obligation prédéterminée d’aimer et se dévouer à son propriétaire ? Comment trancher la question si Joi veut sortir de sa programmation seulement pour mieux lui obéir (prendre forme matérielle pour mieux aimer et plaire à K) ? De quoi témoigne cette ambiguïté ? De la difficulté, dans un tel monde, de distinguer un humain d’un simulacre d’humain, ou de celle des créateurs à penser et mettre en forme cette distinction ?

La mise en scène ne permet aucunement de régler ces questions, elle ne fait que les poser autrement : est-ce que la froideur de la mise en scène de Villeneuve se veut un propos sur le vide du monde qu’il filme, ou témoigne-t-elle d’une absence de regard sur le monde, une incapacité de lire et révéler ce monde ? Blade Runner présentait un monde surpeuplé foisonnant de vie, les rues grouillaient et les décors étaient emplis de détails signalant une présence humaine ; si, dans Blade Runner 2049, tous les lieux sont vides, aseptisés, et qu’il ne semble pas y avoir plus que cinq personnages, hommes ou androïdes, vivant dans cet univers, est-ce une manière, par l’image, de témoigner de l’incapacité de ce monde de voir l’humanité, ou est-ce une incapacité, de la part des créateurs, d’imaginer et mettre en scène quelque chose qui ressemblerait à ce qu’autrefois nous aurions appelé un monde ? Est-ce pour la même raison que tous les lieux de Blade Runner 2049 semblent complètement déconnectés des uns et des autres, et qu’il est à peu près impossible de comprendre comment peuvent exister dans un même espace, relativement peu étendu en toute logique, les grandes fermes de la séquence d’ouverture, les bureaux aseptisés où travaille K, l’immense tas de ferraille servant d’orphelinat, l’hôtel inhabité dans un désert ou la mystérieuse digue du climax, impossible à situer dans un espace cohérent ? Ces lieux très marqués, individualisés, chacun avec leurs couleurs particulières et leurs architectures spécifiques, à un point tel qu’ils pourraient tous appartenir à des films différents, nous renvoient-ils à l’absence de connexion entre les êtres, à leur isolement, ou est-ce, encore une fois, les créateurs qui ne savent plus comment construire un espace-temps crédible à l’écran ? Comme le film ne fournit aucune indication de temps qui pourrait nous suggérer la distance entre tel et tel lieu, qui nous ferait ressentir les déplacements de K, qui pourrait nous faire comprendre qu’il voyage d’un lieu à l’autre plutôt que simplement apparaître dans le cadre au moment où le scénario l’exige, doit-on voir là un commentaire sur la dématérialisation de ce monde, avec ces hologrammes qui se croient vivants, ou est-ce le film lui-même qui ne sait pas relier des images entre elles pour nous faire comprendre leurs relations ?

Ou, en une question : est-ce que Villeneuve expose dans Blade Runner 2049 le vide de ses images et de son cinéma, pour tenter de les animer et les remplir de vie, ou ne fait-t-il que répéter ce vide dans un film qui porte précisément sur ce sujet ? À partir de quelle(s) base(s) trancher cette question ?
 
 

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Dans Blade Runner, si Deckard peut en arriver à reconnaître l’humanité d’un replicant, c’est parce qu’un autre replicant, Roy (Rutger Hauer), lui a démontré ce qu’est l’humanité : au départ, Roy pense pouvoir devenir égal à l’homme en prolongeant sa durée de vie limitée à quatre ans, mais finalement il devra apprendre à accepter sa finitude, et c’est en léguant cet apprentissage à Deckard qu’il deviendra l’humain qu’il a toujours été sans le savoir, c’est-à-dire en montrant à Deckard qu’ils sont semblables (en le faisant souffrir, comme Deckard a fait souffrir les replicants, et en le suspendant au-dessus de l’abyme de son existence), en demandant donc à Deckard (et au spectateur) de reconnaître tout ce qu’ils partagent. L’humanité n’est pas quelque chose de donné, prédéterminé, c’est plutôt quelque chose qui se révèle, qui se révèle à soi par la conscience de sa mortalité, et qui se reconnaît chez les autres dans des gestes, des expressions, des tics, des paroles, dans tout ce qu’un corps peut exprimer. Et l’une des choses qui peut révéler l’humanité, c’est le cinéma, un appareil à lentille qui permet d’observer des individus, de les scruter pour déterminer ce qui fait d’eux des hommes.

Pour Scott, un habile faiseur d’images qui est rarement plus qu’un habile faiseur d’images, ce questionnement était particulièrement personnel, comme s’il testait ses limites de cinéaste, peinant à insuffler de l’humanité à ses créations artificielles. Et la réussite de son film tient à ce qu’il a su être fidèle à l’enseignement moral de Roy, à l’instar de Deckard il a su au final reconnaître l’humanité et il en a révélé la nature grâce à sa caméra conçue comme un test Voight-Kampf, ce qui implique que son film emprunte un point de vue humain, que Scott reconnaît ce qu’il partage avec Deckard et Roy, et qu’il s’adresse au spectateur pour lui demander d’en faire autant. La réflexion engagée par le film dépend de ce point de vue, de cette caméra qui reconnaît l’humanité d’un personnage pourtant défini comme une machine, ce qui était pour le moins audacieux à une époque où les ordinateurs commençaient à peine à entrer dans nos foyers (on se rappelle que Scott réalisait deux ans plus tard la célèbre publicité « 1984 » pour annoncer la venue du premier Macintosh d’Apple, qui promettait, justement, un ordinateur plus « individualisé » que celui « conformiste » d’IBM).

C’est aussi pourquoi l’ambiguïté sur l’identité de Deckard est sans intérêt pour les thèmes du film : se demander si Deckard est un replicant ou non, c’est ignorer ce vers quoi tend le film, c’est-à-dire à effacer cette distinction entre ce qui est par nature organique, que nous avons l’habitude de nommer « humain », et ce qui est par nature mécanique. Le film ne présente pas une dystopie où la machine serait devenue plus humaine que l’homme, il nous montre plutôt que l’homme peut feindre d’être une machine, qu’il peut voir ses semblables comme une machine, et qu’en ce sens il n’y a aucune raison de refuser l’humanité aux replicants puisque leur nature mécanique ne fait que matérialiser une des possibilités de l’humain – et par conséquent, puisque l’humanité n’est pas donnée, il faut porter la responsabilité de l’humanité que nous exprimons et/ou que nous reconnaissons chez les autres, hommes ou replicants. (Bref, aucun des acteurs de Blade Runner ne jouent des robots : l’aspect dystopique, qui se rapporte au présent autant qu’au futur, provient du fait que les hommes traitent leurs semblables comme des esclaves.) Et le cinéma, par sa nature mécanique, parce qu’il a la possibilité de nous mettre en présence de ce que l’on pourrait aussi appeler des simulacres d’humanité (dans la mesure où le cinéma est capable de susciter notre empathie envers l’image projetée d’acteurs qui nous sont en réalité absents), est un art particulièrement apte à exprimer ces idées.

 

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Qu’est-ce que le cinéma dans Blade Runner 2049 ? K va à la rencontre d’Ana Stelline (Carla Juri), la spécialiste des souvenirs fabriqués implantés aux replicants. Le souvenir sur lequel elle travaille nous apparaît comme une série d’images en mouvement, comme une scène de film : le cinéma serait donc, pour Villeneuve, comme un souvenir qui, une fois recueilli en nous, a le pouvoir de changer notre perception du monde, voire de nous convaincre de notre humanité partagée, comme le souvenir d’enfance de K le lance dans sa quête de reconnaissance (ou comme, dans Arrival des taches mouvantes sur un écran blanc bouleversaient la protagoniste qui en venait à partager la perception du monde des extra-terrestres). Voilà qui en dit long sur le point de vue du film, car qui est Ana Stelline ? Une femme coupée du monde, vivant littéralement dans sa propre bulle, fabriquant des images d’un monde qu’elle est incapable de connaître, et essayant, à travers son art, d’aider les replicants à voir leur humanité ; une femme, aussi, et là on ne se gênera pas pour les spoilers, qui se trouve à être l’enfant de Deckard et Rachel, une enfant de Blade Runner qui tente de partager ce que ses parents lui ont légué. D’un côté, cette idée est particulièrement belle, émouvante, elle témoigne d’un véritable amour pour le cinéma, et à travers elle, Villeneuve, comme Scott autrefois, se montre conscient des limites de son cinéma : il est lui aussi un habile faiseur d’images, travaillant en retrait du monde, depuis le 32 août sur Terre pouvons-nous penser, partageant avec nous des souvenirs de cinéma. En même temps, cela met en lumière les limites étroites du film, le fait par exemple qu’il est impossible de comprendre les thèmes de Blade Runner 2049 sans une connaissance préalable de ce qui animait Blade Runner, sans le souvenir du film de Scott — car qui serait porté à penser que les androïdes et les hologrammes de 2049 sont possiblement dotés de vie s’il n’y avait pas Blade Runner dans le titre ?

Ainsi, alors que Scott nous demandait de s’identifier (ou non) aux émotions que ses acteurs expriment (ou non), de s’attarder à ce qu’ils font, comment ils bougent, quelle est leur intonation de voix, pourquoi ils réagissent ainsi, qu’est-ce qui peut bien les motiver, etc., alors qu’il nous demandait de regarder son film comme un test Voight-Kampf, Villeneuve nous demande tout simplement de se rappeler du film de Scott en regardant le sien. Il est absolument inutile de tenter de jauger l’interprétation de Gosling à travers des critères répondant à une définition de l’humain qui reposerait sur l’empathie, il suffit de savoir qu’il est un replicant, et que les replicants, dans Blade Runner, n’étaient pas moins humains que les humains. Autrement dit, même s’il joue un androïde, l’âme de Gosling lui est donnée d’emblée, tout simplement parce qu’il joue dans une suite d’un autre film — alors cette idée d’une âme qui vient à la naissance n’est pas si fausse puisque l’âme de K lui est octroyée dès sa naissance dans les images de Villeneuve, indépendamment de l’interprétation de Gosling, et de notre regard sur celle-ci. Ce qui, en retour, devient la meilleure manière pour Gosling et Villeneuve de se libérer de toute responsabilité : le premier n’a pas besoin d’exprimer l’humanité, il peut se contenter de jouer un robot, le second n’a pas besoin de révéler cette humanité puisque celle-ci est donnée, léguée par le souvenir du film de Scott. D’où, au final, la confusion d’un film qui présente l’humanité comme quelque chose d’évident, en même temps qu’il est évident (du moins à mes yeux) qu’il n’y a pas une trace d’humanité dans ce film (sauf chez ce brave Harrison Ford, qui, en quelques répliques mordantes, nous rappelle qu’il sait encore, lui, ce qu’est le cinéma).

Après, tout découle de là, de ce point de vue stérile, incapable d’engendrer de l’humain, ou de réfléchir à cette perte de l’humain ; ou plutôt, ce point de vue stérile finit par devenir éloquent malgré lui puisqu’il témoigne d’une incapacité à saisir l’humain dans des images cinématographiques. De par cette espèce de fausse autoréflexivité qui tente de s’ériger en conscience de soi, comme s’il suffisait de consciemment filmer le vide par le vide pour combler ce néant, Blade Runner 2049 finit par fournir inévitablement toutes les métaphores parfaites pour le décrire : Blade Runner 2049 est un replicant sans vie de Blade Runner, c’est un replicant qui tente de se convaincre de son humanité à travers de fausses réponses parce qu’il est incapable de formuler une vraie question, c’est un hologramme qui aimerait être vivant mais qui reste prisonnier de sa programmation (des nécessités commerciales de la franchise), c’est la reproduction numérique, bien lisse et propre, d’une manière de pratiquer le cinéma à peu près éteinte aujourd’hui, ou encore, si l’on se sent plus généreux, Blade Runner 2049 se lamente sur une humanité perdue qui n’existe plus qu’en souvenirs, un simulacre de cinéma rêvant à un cinéma passé qu’il se sait incapable de ressusciter, un aveu mélancolique de son propre vide.

On pourrait bien se plaindre des lacunes du scénario (l’enquête de K, qui n’en est pas une puisqu’il se contente de circuler d’un lieu à l’autre jusqu’à ce qu’il tombe par hasard sur un indice qui le dirige vers le prochain lieu, ou les invraisemblances, comme ces deux personnages qui se font assassiner sans problème et sans conséquence en plein poste de police, ou les scènes qui semblent là uniquement pour construire un univers étendu à venir, comme cette armée souterraine de replicants qui apparaît le temps d’une scène parfaitement inutile), du personnage de Jared Leto, qui délivre les dialogues les plus insipides avec une outrance théâtrale des plus désagréables, du fait que ça fait déjà trois fois, mine de rien, qu’on ressuscite un personnage célèbre d’Harrison Ford pour le confronter à ses enfants, de la lenteur pompeuse de la mise en scène, une pose d’auteur qui ne semble servir qu’à étirer le vide le plus longtemps possible, alors que la musique d’Hans Zimmer (moins insupportable qu’à son habitude, mais tout de même) fige tout sur place, comme si les acteurs devaient attendre que les notes s’éteignent avant de recommencer à bouger – mais ce sont là des moindres maux. Plus problématique seraient l’aspect rétrograde de cette idée de mère androïde qui, au lieu d’amener plus loin l’audace de l’original, la ramène en terrain familier avec cette insistance sur l’importance d’une naissance « naturelle », dans le ventre d’une femme, et la représentation pour le moins douteuse des personnages féminins, mais d’autres se sont déjà très bien chargés de ce point (de toute façon, dans un film incapable de mettre en scène l’humain, il va de soi que toutes les femmes apparaîtront comme des objets, d’autant plus si elles jouent pour l’essentiel des robots obéissant à leurs maîtres masculins et des hologrammes esclaves sexuels).

 

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À la fin de Blade Runner (dans l’un des nombreux director’s cut), Rachel et Deckard rentrent dans un ascenseur, la porte se referme sur eux, et le film prend fin brusquement. Aucun dialogue, rien qui pourrait nous donner une indication de leur avenir, si seulement ils en ont un : mais le film, à ce moment, n’a pas besoin de dialogue puisque tout a déjà été dit, la relation qu’ils ont construite ensemble a été parfaitement établie par le scénario et la mise en scène. À la fin de Blade Runner 2049, Deckard court rejoindre sa fille qu’il avait abandonnée à la naissance, et lorsqu’il pose sa main sur la vitre le séparant d’elle, le film prend fin brusquement. Aucun dialogue entre eux, rien qui pourrait nous donner une indication de leur avenir : mais cette fois, rien n’a été dit, et l’absence de mots apparaît plutôt comme une incapacité, de la part des scénaristes, de concevoir ce qui aurait pu être dit à ce moment, d’imaginer ce qu’un père pourrait bien dire en retrouvant sa fille. L’aspect ouvert de Blade Runner nous laissait en suspens sur la plus essentielle des questions : qu’est-ce que l’humain ? Puisque l’humanité se révèle, se reconnaît, puisqu’elle peut être perdue, retrouvée, il faudra toujours reformuler cette question, la renégocier, en incluant, par exemple, de nouvelles données, comme les androïdes. Mais l’ouverture à la fin de Blade Runner 2049 sert au contraire à escamoter l’humanité en nous laissant sur la plus banale des questions, une simple considération narrative : mais que lui dira-t-il ? De longs débats en perspective.
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Critique publiée le 22 novembre 2017.