Tusk est possiblement le meilleur mauvais film des dernières années. Il y a même quelque chose d’étrangement maîtrisé dans la manière dont celui-ci joue avec nos attentes, feignant pour un long moment d’être un film d’horreur vaguement conventionnel avant de sombrer définitivement dans le ridicule absolu. Mais
Tusk était surtout totalement inattendu : rien ne pouvait vraiment préparer le spectateur au mélange unique de farces plates sur le Canada, d’hommes transformés en morses et de
Johnny Depp avec un faux accent québécois qu’il proposait.
Le principal défaut de
Yoga Hosers, par-delà le fait qu’il ne s’agit pas d’un très bon film, c’est qu’il ne peut tout simplement pas bénéficier du même effet de surprise sur lequel reposait en bonne partie « l’expérience
Tusk ». Nous allons le voir en toute connaissance de cause, sachant pertinemment bien qu’il s’agit du deuxième épisode d’une trilogie se déroulant au Canada, peuplée de personnages et de motifs récurrents.
Yoga Hosers, pour le meilleur et pour le pire, est la suite de
Tusk.
Contrairement à ce film,
Yoga Hosers ne tente jamais de cacher son jeu : il s’agit d’emblée d’une comédie d’horreur évoquant avec affection les
creature features les plus ridicules de l’ère VHS, à commencer par
Ghoulies (1984) et ses innombrables suites. C’est un
Critters (1986) du pauvre dans lequel de petits hommes-saucisses allemands (tous interprétés par Smith) sèment la panique à Winnipeg, un hommage improbable à tous ces déchets de la culture populaire des années 1980 que l’on regarde avec un plaisir coupable sans trop comprendre pourquoi.
En ce sens, nos attentes ne peuvent qu’être basses et
forcément satisfaites. Après tout, un long métrage dans lequel Vanessa Paradis parle du
führer canadien Adrien Arcand avant que celui-ci ne soit montré à l’écran dans un flashback où il est interprété par
Haley Joel Osment ne peut qu’être divertissant. Dans une certaine mesure, du moins. Pareillement, le concept même de petits hommes-saucisses baragouinant deux ou trois mots d’allemand tout en tuant des gens est en soi assez amusant pour nous faire sourire durant les 88 minutes que dure le film. On ne s’ennuie jamais devant
Yoga Hosers. On pousse tout au plus quelques soupirs.
Mais cette idée même que le film est par définition mauvais encourage
Kevin Smith à ne plus faire la différence entre le bon mauvais et ce qui est réellement mauvais. Complètement décomplexé,
Yoga Hosers carbure à la médiocrité assumée, proclamant avec une certaine complaisance que toute inspiration aussi douteuse soit-elle est bonne à suivre. Il s’agit à la fois de la plus grande qualité du film et du pire de ses défauts : aucune idée ne nous est épargnée, aucune blague non plus.
Yoga Hosers, d’une certaine manière, est le pur produit d’une liberté totale — une sorte de premier jet bancal plaçant sur un piédestal ses bons coups et ses pires intuitions.
Libéré des contraintes du bon goût et de l’ambition, Kevin Smith s’amuse ainsi à faire tout ce qui lui passe par la tête, à ne jamais se remettre en question. Il ne prend pas la peine de peaufiner sa prémisse, d’affiner son humour ; et les dialogues, autrefois la force de son cinéma, en souffrent inévitablement. Au fond, il ne reste plus du Kevin Smith de
Clerks et de
Mallrats que quelques indices, quelques références un peu précipitées — et son cinéma est désormais à l’image de ce moment où il fait répéter à sa fille
Harley Quinn Smith la réplique culte «
I'm not even supposed to be here today. »
Tout est ici réduit à l’état de
punchline. Plus rien n’a de consistance. Tant et si bien que l’on en vient à se demander si le film lui-même n’est pas que la finalité d’un gag, le coup de cymbale faisant suite à un roulement de tambour que le cinéaste entend dans sa tête et tente tant bien que mal de partager — palliant à son manque de savoir-faire en capitalisant, une fois de plus, sur ce lien privilégié qu’il entretient avec ses fans les plus dévoués. Plus que jamais, le cinéma de Kevin Smith est une
inside joke à laquelle on accepte ou non d’adhérer.