DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Wailing, The (2016)
Na Hong-jin

L'horreur règne

Par Alexandre Fontaine Rousseau
Ça ne tourne pas rond dans le petit village de Goksung. Les meurtres sordides se multiplient à un rythme affolant et tout porte à croire que ceux-ci sont d'origine surnaturelle, bien que l'on parle officiellement d'une intoxication aux champignons qui rendrait les gens violents. Les rumeurs pullulent, prolifèrent et s'emparent même de l'écran – tant et si bien qu'éventuellement, le spectateur ne sait plus trop comment distinguer ce qui est vrai de ce qui est faux, ce qui est raconté de ce qui s'est réellement déroulé. Mais Jong-gu (Kwak Do-woon), un agent de l'ordre peu dégourdi, est encore plus dérouté que nous; et c'est à son interprétation des événements que nous devons, paradoxalement, nous fier.

The Wailing utilise à bon escient une figure classique du septième art, le policier empoté, afin de désamorcer la tension qui s'installe progressivement dans sa communauté isolée. L'horreur, dans un premier temps, n'y est pas menaçante; elle est une source d'étrangeté, une anomalie qui provoque l'incrédulité bien plus que la terreur à proprement parler. Na Hong-jin met en scène la première partie de son film comme s'il s'agissait d'une comédie absurde; et le glissement vers la noirceur se fait tout naturellement, presque insidieusement, jusqu'à ce que la lumière ait complètement disparue de l'écran.

On pourrait parler de fluidité chromatique : la succession parfois imperceptible des tons, des teintes qui colorent l'action crée une harmonie surprenante entre ces « blocs » dissemblables qui composent l'ensemble. The Wailing accumule les dissonances, mais évite cependant la rupture brusque; son atmosphère fluctuante  épouse une suite de variations harmonieuses, dérivant jusqu'à ce territoire sinistre où les corps sont possédés et les nuits hantées. Le film absorbe le spectateur, l'engloutit; il le guide petit à petit vers cette caverne obscure où habite le Diable en personne, l'éloigne du sentier de la raison en brouillant ses repères.

L'horreur se déploie ici dans la durée. Elle investit chaque transition, se loge dans ces temps morts qui s'emplissent d'appréhension. Le film s'enlise, se perd dans ces gouffres sombres qui ponctuent son déroulement. Il alimente l'incompréhension, puis dévoile finalement sa solution sous la forme d'une révélation – à ne pas confondre avec une résolution. Car The Wailing n'en offre aucune. Il laisse planer le mystère, admettant seulement l'existence d'un complot diabolique, d'une machination infernale qui a eu raison du calme illusoire, de cette normalité fragile qui devait exister quelque part avant le film.

L'après, quant à lui, ne semble pas exister. Il y a quelque chose d'infiniment apocalyptique dans ce dernier plan, dans la manière dont la noirceur inexorable ronge l'image et se resserre sur le visage de Jong-hu comme une asphyxie engourdissant les sens. Lente incubation de cette étrangeté initiale, le film « mérite » pourtant sa finale; car le mal s'est enraciné, étendant son emprise tout en étouffant l'espoir. Il a gangrené un réel qui, après avoir basculé dans le régime de la superstition, ne peut plus récupérer de cette lente dissolution. Le mal a gagné. L'horreur règne.
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Critique publiée le 19 juillet 2016.