Pipelines, pouvoir et démocratie (2015)
Olivier D. Asselin
Baleines blanches et or noir
Par
Olivier Thibodeau
Malgré la candeur de la caméra brandie par Olivier D. Asselin, qui observe subrepticement les activités de ses sujets, le contenu de son cadre est exclusivement militant. Fidèle à l’idée de subjectivité assumée si chère aux représentants du direct québécois, le réalisateur ne s’attarde qu’à l’envers du débat sur les oléoducs, faisant du treillis de leurs activités politiques une grande plate-forme pour le discours exalté et univoque des différents acteurs sociaux s’y opposant. Vecteur d’un appel très légitime à l’engagement citoyen face à de pressants enjeux environnementaux, son film s’empêtre malheureusement dans un manichéisme frisant la naïveté, telle que cristallisée par l’esseulement des trois mots de son titre lors du générique d’ouverture, berceau d’un clivage imaginaire entre démocratie (le bon), pipelines (la brute) et pouvoir (le truand).
Quatre intervenants écologistes se partagent ici la parole, la dérobant du coup aux puissants intérêts pétroliers tenus cois devant la caméra militante d’Asselin: Alyssa Symons-Bélanger (artiste et activiste pacifique), Mikaël Rioux (adepte de l’action directe), André Belisle (président de l’AQLPA) et Daniel Breton (ex-membre de l’AQLPA devenu député péquiste). Démarrant comme une série de portraits individuels visant à décrire de façon presque didactique les différentes tactiques d’interventions préconisées par ces quatre grands idéalistes, le film s’attarde bientôt à leurs rencontres de parcours et à leur collaboration circonstancielle au sein du mouvement. Malgré de légers désaccords procéduraux entre eux, on assiste alors à une certaine homogénéisation idéologique, fruit d’un objectif consensuel partagé avec la même passion bouillante. Malheureusement, cette miction progressive élimine non seulement l’illusion de différence suggérée lors de l’introduction des intervenants, mais elle révèle une certaine complaisance argumentative des deux côtés de la caméra.
Nonobstant les lacunes philosophiques de l’oeuvre, il s’agit d’un exercice essentiel de représentation. Se posant à hauteur d’homme, la caméra du documentariste y effectue à merveille son travail de contre-pouvoir, nous montrant le quotidien chargé de très nombreux militants dont seules les actions d’éclat parviennent généralement à se tailler une place au sein de la couverture effectuée par les grands médias d'information. Brossant entre autres un portrait exhaustif de la Marche des Peuples pour la Terre Mère entreprise le 10 mai 2014, Asselin parvient à cerner avec beaucoup d’acuité le sentiment de communauté liant les activistes, symbole indéniable d’une conscience globale nécessaire au freinage des dérives capitalistes. Plus intéressant encore, il parvient à humaniser le parcours politique de Daniel Breton, capté de l’intérieur afin d'en saisir les ramifications émotionelles souvent excise de la couverture grand public. Ainsi, l'espoir et la désillusion se font chair, éludant les pièges de la médiatisation au profit de l'expérience vécue.
Fidèle à la mission sociale du film, Asselin livre finalement une morale utopiste quant au pouvoir révolutionnaire de l'action sociale. Usant de diverses archives médiatiques triées pour mieux nous convaincre que la victoire des activistes anti-oléoduc à Cacouna est le fruit direct du travail accompli diégétiquement, le film bénéficie d'une touchante ouverture vers l'avenir, conservant du coup ses plus belles images pour l'épilogue. Leurs grands nez collés sur la caméra tapie dans leur pouponnière, on y voit de belles baleines blanches qui semblent remercier gaiment les activistes acharnés leur ayant empêché de s'empêtrer dans l'or noir, justifiant de leur seul majestuosité toute la démarche du réalisateur et de ses sujets.
Critique publiée le 10 décembre 2015.