DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Dennis Rodman's Big Bang in PyongYang (2015)
Colin Offland

Plus grand que nature

Par Alexandre Fontaine Rousseau
Certaines anecdotes surréalistes se prêtent si bien à l'exercice documentaire qu'elles peuvent aisément prévaloir sur un traitement formel quelque peu lacunaire. Prenez celle-ci : en 2013, l'ancienne vedette de la NBA Dennis Rodman se rend en Corée du Nord, à l'invitation du magazine Vice, et devient « l'ami » de Kim Jong-un – grand amateur de basketball et, accessoirement, dictateur à la poigne de fer. Dans un élan d'inspiration inusitée, l'excentrique athlète décide d'organiser une joute opposant des joueurs américains à l'équipe nationale nord-coréenne pour célébrer le prochain anniversaire du leader suprême. Jusqu'alors peu conscient des potentielles retombées politiques de l'événement, Rodman découvrira petit à petit que ce n'est pas tout le monde aux États-Unis qui voit d'un bon œil ce cadeau de fête inattendu.
 
Si l'on prenait The Interview d'Evan Goldberg et Seth Rogen et que l'on remplaçait James Franco par un Dennis Rodman vieillissant, carburant dès dix heures du matin à la vodka, on aurait un résumé plutôt approprié de ce Big Bang in PyongYang complètement délirant. Improbable comédie de situation entretenant les malaises les plus insoutenables, étrange satire politique où s'entremêlent propagande d'État et sport professionnel, le film de Colin Offland relate une histoire si spectaculaire qu'on lui pardonne sa construction formatée, ses quelques maladresses sur le plan du montage et sa narration trop appuyée. Car, somme toute, le film navigue adéquatement le formidable champ de mines qui lui sert de théâtre.
 
Entre les limites établies par le régime, l'imprévisible démesure de son principal protagoniste et la nature hautement volatile de la situation qu'il documente, Dennis Rodman's Big Bang in PyongYang se contente parfois de relater, du mieux qu'il le peut, les événements tels qu'ils se déroulent. Mais il arrive tout de même à dégager de la mêlée les grands enjeux que soulève ce cirque fascinant, exposant par la même occasion les contradictions inhérentes aux discours diplomatiques dominants. Bien accidentellement, le bouffon Rodman court-circuite en effet l'embargo officiel imposé par son propre pays, participant un peu malgré lui à une vaste opération de propagande orchestrée par le régime. Sauf que le film défend, de manière un peu plus articulée que son titulaire héros, l'idée que les habitants de la Corée du Nord souffrent de cette isolation culturelle à laquelle les soumet non seulement le Parti mais aussi la communauté internationale.
 
À quelques reprises, le film d'Offland a certes des allures de vaste blague orchestrée aux dépends du principal intéressé. Il faut dire que, quand vient le temps de déraper, Rodman ne fait vraiment pas les choses à moitié. On tente tant bien que mal de survivre aux cérémonies officielles qui déraillent. On assiste un peu pantois à la fameuse entrevue donnée 24 heures avant le match sur les ondes de CNN. Mais, au final, le cinéaste fait preuve d'assez de sympathie à l'égard du pauvre Rodman, visiblement dépassé par l'ampleur de la situation, pour que l'exercice ne relève pas de la méchanceté à proprement parler; et, s'il capitalise sur la nature foncièrement hilarante de certains impairs commis par la star américaine, il ne perd jamais de vue l'importance des plats dans lesquels celui-ci vient de mettre les pieds.
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Critique publiée le 12 octobre 2015.