Pour mieux comprendre la nature de cet humble hommage aux films d’épouvante des années 80, il faut d’abord comprendre l’étymologie du mot hommage, lequel décrivait à l’origine l’acte d’asservissement du vassal envers son suzerain. Ici le producteur Ted Geoghegan, qui s’improvise réalisateur pour l’occasion, s’abandonne à de nombreux maîtres. Les yeux rivés sur un passé révolu, il avance à reculons, accouchant d’une œuvre amusante, mais écervelée qui ressasse de trop nombreux lieux communs du genre pour véritablement transcender le sentiment écrasant de nostalgie qui sert de seul moteur à toute l’entreprise. Empêtrée dans un scénario banal qui parvient à gaspiller même la scintillante équipe réunie pour l’occasion (
Barbara Crampton,
Larry Fessenden et Karim Hussain à la direction photo), celle-ci risque de tomber dans l’oubli aussi sûrement que les goules cendrées à la barre du navire.
Malgré la courte durée du récit, ce dernier parvient quand même à sombrer dans la confusion, amenant le spectateur sur de fausses pistes si peu attrayantes qu’il finit par se laisser porter par la vague, languissant de désintérêt entre les quelques scènes de gore musclées qui seules parviennent à donner un souffle quelconque au film. Anne (Crampton) et Paul (
Andrew Sensenig) forment un couple meurtri par la mort de leur fils Bobby. Décidant un jour de retourner dans le chalet familial vacant afin d’exorciser leurs démons, ils se retrouvent bientôt en présence d’un spectre sulfureux terré dans les profondeurs du menaçant caveau qui abrite le réservoir d’eau chaude. S’agit-il de Bobby, dont l’âme errante tente de retrouver le contact avec ses parents? Ou s’agit-il plutôt d’une entité malfaisante avide de carnage? Les excentriques villageois rencontrés au hasard par le couple sauront certes fournir quelques indices à ce propos, mais rien qui puisse préparer le spectateur pour la conclusion tarabiscotée qui l’attend dans le détour.
Ce sont ici les paysages hivernaux de la Nouvelle-Angleterre qui servent d’ancrage au récit, somptueux panoramas d’une nature morte regorgeant de secrets enfouis sous la neige scintillante. Puis vient l’ennuyeux couple de protagonistes arpentant la grand-route dépouillée à bord de leur véhicule, mécaniquement isolés dans des plans individuels afin de mieux illustrer leur aliénation mutuelle. Ils nous gracient alors d’une laborieuse scène d’exposition qui laisse présager toute la pauvreté émotionnelle de l’œuvre et la banalité exemplaire des dialogues. Quoique démoralisante, cette séquence se révèle comme un excellent préambule à l’introduction des personnages de soutien qui, à défaut d’une personnalité propre, n’existent que par le truchement d’ennuyeuses phrases descriptives et de rigides codes archétypiques propres au genre. En cela, ceux-ci constituent à leur tour le reflet idéal du chalet cent fois visité où se déroule l’action, lequel est baigné d’un sentiment de nostalgie sans véritable attache diégétique, simple lieu de convenance dont les sofas vieillots, les toiles académiques, et le sous-sol en pierres suintantes ne font qu’emprunter leur pouvoir d’évocation à de trop nombreux prédécesseurs, dont c’est le seul souvenir qui accapare ici notre esprit.
Réalisateur néophyte et scénariste de quelques reluisants nanars tels que
Sweatshop (2009),
Don’t Wake the Dead (2008) et
Nikos the Impaler (2003) de Andreas Schnaas (la série
Violent Shit), Geoghegan succombe ici à sa propre ambition. Laissé à lui-même, il revisite candidement une panoplie de sous-genres à l’instar d’un apiéceur postmoderne, usant de leur ancrage solide dans la culture populaire afin d’artificiellement crédibiliser sa propre entreprise. Outre la présence de morts-vivants hyperactifs dont les puissants membres parviennent à étêter et éviscérer leurs victimes pour le plus grand plaisir de l’auditoire, il nous offre ainsi un pot-pourri de vignettes empruntées, nous gavant indistinctement de légendes villageoises, de séances ésotériques et de scènes de possession maladroitement ficelées dans un récit incongru qui se conclut de manière aussi abrupte qu’il débute. Dans son zèle référentiel, il étouffe en outre presque toute trace d’atmosphère anxiogène, ainsi que chacune des quelques scènes pittoresques dont il est capable dans un maelström d’effets d’épouvante éprouvés, faisant ainsi régresser la formule jusqu’à sa plus simple expression, soit celle de la simple expérience pavlovienne.
Idée de confirmer la nature brisée du scénario, le film se termine avec une longue séquence où défilent des coupures de journaux provenant de quotidiens d’époque, lesquels brossent par accumulation une biographie exhaustive de la demeure partagée par les protagonistes et les goules titulaires. Difficile de ne pas rester bouche bée devant l’emplacement discutable de cette séquence, laquelle aurait beaucoup mieux servi le récit en tant que pierre d’assise, permettant ainsi une contextualisation adéquate du massacre et un ancrage honnête dans la légende. Or, Geoghegan préfère ici l’obscurantisme à la transparence, aboutant une série d’indices obscurs destinés uniquement à emprisonner le spectateur dans un labyrinthe à gerboises dont il ne parviendra jamais véritablement à voir l’ensemble, usant bêtement de cette séquence révélatrice comme simple surplus d’informations.
Malgré la passion qui anime l’auteur,
We Are Still Here ne constitue rien de moins qu’un rendez-vous manqué. Les illustres Barbara Crampton et Larry Fessenden, dont l’héritage combiné semblait pouvoir rallier un auditoire éclectique d’amateurs de tous âges, se noient ainsi dans la fange primordiale d’un genre dont certains amateurs dédaignent toujours l’évolution, préférant l’observer à travers l’œillette d’un passéisme confortable qui saura indubitablement les protéger d’un avenir incertain.