DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Terminator Genisys (2015)
Alan Taylor

Le triomphe des machines

Par Sylvain Lavallée
He’s back, comme il nous l’a promis tant de fois, mais difficile de ne pas sentir une certaine lassitude derrière ce retour incessant de la star au rôle qui l’a vu naître. Il ne manque pourtant pas d’enthousiasme, notre Arnold (Schwarzenegger, s’il faut le préciser), mais cette fois il fait face à un adversaire de taille : Terminator Genisys, le film lui-même, une œuvre vide, sans ambition, si peu inspirée que même la recette pour recycler notre nostalgie a été elle-même recyclée, piquée au Star Trek de J.J. Abrams (établir une nouvelle ligne temporelle parallèle aux événements des films du passé), avec une touche de Back To The Future part II (revisiter les scènes du premier film sous un nouvel angle).
 
Comment cacher sa déception : de toutes les franchises hollywoodiennes, Terminator était sans doute l’une des plus urgentes à revisiter, afin de mesurer la distance entre hier et aujourd’hui, entre le monde numérique que le T-1000 du Terminator 2 : Judgment Day nous laissait entrevoir et celui dans lequel nous vivons effectivement aujourd’hui. Et en principe, le remixage auquel s’adonne à cœur joie Genisys était un moyen parfait pour y parvenir : Judgment Day révélait les possibilités du compositing, l’intégration fluide d’images de natures hétéroclites en un même espace cohérent et réaliste (le T-1000 de synthèse dans l’image photographique), une technique, donc, qui a facilité ce remixage caractéristique du cinéma hollywoodien actuel. Or, qu’est-ce que Genisys, sinon un déploiement à plus large échelle de ce compositing, autant d’un point de vue narratif (rabattre des éléments de Judgment Day sur le premier Terminator)qu’au niveau des effets spéciaux et de la post-production? La possibilité de poursuivre les thèmes des deux premiers films était donc à portée de mains, mais en l’absence d’une autoréflexion sur ses propres moyens, semblable à celle qui faisait la grandeur de ces films, il ne reste qu’un copier-coller des images de James Cameron, vidées de toute substance. Aucune conscience ici de l’ironie de produire un film technophobe avec les effets spéciaux les plus évolués de l’heure, aucune trace d’idée sur ce remixage, accompli mécaniquement, parce que c’est dans l’air du temps, ni sur notre relation contemporaine à la technologie, qui n’est plus la même, il va sans dire, qu’en 1991. Ou pour être exact, il y a bienune redéfinition de Skynet, autrefois à l’image du Star Wars de Reagan, un système de défense automatisé qui se serait retourné contre l’homme, Skynet devenant aujourd’hui Genisys, une application universelle qui relie tous nos appareils électroniques les uns aux autres, mais tout le potentiel de cette idée demeure latent.
 
De toutes ces variations superficielles sur des motifs connus, la plus éloquente concerne John Connor (Jason Clarke) : symbole de la résistance de l’homme dans les films précédents, Connor défend maintenant les machines, une sorte d’inversion de l’inversion dans Judgment Day (le Terminator devenu allié; Connor devenu antagoniste). Éloquente, parce que comme Connor dont l’apparence humaine cache une nouvelle sorte de Terminator, Genisys essaie de représenter une énième fois la résistance de l’homme, mais impossible d’y voir autre chose que les rouages d’une machine mercantile. Au fond, Genisys est l’accomplissement même du futur appréhendé naguère à travers la figure du T-1000 : un univers de synthèse imitant la réalité (le cinéma plutôt), duquel l’homme serait évacué. Du moins, ni Jay Courtnay (qui interprète Kyle Reese), ni Emilia Clarke (Sarah Connor) peuvent nous convaincre de leur humanité, lui parce qu’il est le plus impersonnel des acteurs (le scénario ne lui laisse pas de chance non plus), elle parce qu’il est désespérant de voir son personnage relégué au stéréotype de la dame en détresse, insolent affront à Sarah, l’une des rares héroïnes du cinéma d’action, qui n’a jamais eu besoin de la protection de qui que ce soit auparavant.
 
Mais heureusement, il y a Arnold.
 
Arnold, oui, qui montre bien comment faire battre le cœur d’une machine, comment exprimer son humanité malgré les exigences commerciales qui le ramènent encore et encore au même rôle, une leçon qui aurait pu servir d’exemple au film tout entier. Car le défi pour Schwarzenegger est semblable à celui que doit relever les suites d’un film à succès : il faut à la fois honorer l’œuvre originale (le Terminator, puisque c’est ce rôle qui a défini son image plus que tout autre) tout en s’en distanciant (c’est un rôle passé qui ne lui convient plus aujourd’hui). Il faut donc trouver, à chaque film, la différence dans la répétition pour éviter d’être réduit à un rôle unique, une identité figée, comme chaque nouvelle entrée d’une franchise doit apporter des variations signifiantes sur une formule connue pour éclairer l’ensemble d’une lumière nouvelle. Pour Schwarzenegger, rien n’illustre aussi bien ce jeu de variations que son fameux I’ll be back : d’abord une menace, dans le premier Terminator, et encore dans Commando et The Running Man, Schwarzenegger commence à détourner sa phrase type avec Total Recall lorsqu’il la prononce avant de se faire implanter de faux souvenirs, comme une promesse qu’il restera le même malgré cette opération. Or, à ce moment de sa carrière, Schwarzenegger commence à changer son image, son nouveau I’ll be back nous indiquant ainsi que malgré la distance qu’il prend avec son passé, il restera toujours le même Schwarzenegger, ce qu’il confirme à la fin de Kindergarten Cop avec un I’m back! affirmant qu’il sera dorénavant un bon flic qui protège sa classe de maternelle. Dans Judgment Day, son film suivant, la menace fait place à une promesse qu’il reviendra, qu’il sera toujours là pour protéger les personnages, complétant ainsi l’inversion du I’ll be back original.
 
Dans Rise of the Machines, le troisième Terminator, Schwarzenegger joue sur les deux fronts : She’ll be back, dit-il à propos du nouveau T-1000 féminin, dont il vient de repousser la menace, et I’m back, lorsqu’il revient protéger les héros après avoir été corrompu par la T-1000, qui l’avait ainsi obligé à redevenir le Terminator meurtrier du premier film. Clairement, pour Schwarzenegger, la menace est la machine, qu’elle soit extérieure ou intérieure, c’est-à-dire que quand il combat le (ou la) T-1000, il combat aussi sa propre image de machine, à chaque film il tente d’humaniser un peu plus son personnage. D’où le déshonneur qui lui est fait dans Terminator Salvation alors qu’un Schwarzenegger entièrement numérisé, représentant le Terminator original, attaque John Connor, comme si on avait voulu effacer tout ce que la star a investi dans ce rôle.
 
Le temps d’une scène jouissive (la seule), Genisys permet à un Schwarzenegger en chair et en os d’anéantir ce traître numérique et donc de reprendre implicitement le contrôle sur son individualité. Le film poursuit ensuite cette réappropriation du rôle par sa star en définissant le Terminator comme « vieux, mais non désuet », en le surnommant « Pops », et pendant quelques scènes Genisys peut se maintenir en vie grâce à Schwarzenegger, tant il est fascinant de le voir toujours aussi à l’aise dans un rôle pourtant des plus contraignants, capable de trouver une nouvelle variation sur un personnage des plus monolithiques. Plaisir de courte durée : le « vieux, mais non désuet » sera répété jusqu’à en devenir lassant, Schwarzenegger lance un mou I’ll be back qui n’apporte rien de neuf (une promesse de revenir comme dans Judgment Day), qui sonne cette fois comme une marque de commerce obligée, et en conclusion il se retrouve « amélioré » par un bain de métal liquide le transformant en hydride de T -1000. Pas question finalement d’assumer le « vieux, mais non désuet », un thème qui avait pourtant été bien exploité par les Expendables, il faut se redonner un petit coup de jeunesse à grand renfort de CGI – et voilà de quoi réinterpréter le sourire forcé de Schwarzenegger : non celui d’une machine tentant d’imiter l’homme, mais bien celui d’un homme qui doit se résigner à la machine, regrettant peut-être, cette fois, d’avoir tenu sa promesse.
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Critique publiée le 10 juillet 2015.