Nicholas et la machine à saucisse
Par
Olivier Thibodeau
Nicholas McCarthy devrait se spécialiser dans le cinéma d’action. C’est le constat qui s’impose après le visionnage de l’abominable At the Devil’s Door, copie conforme de son film précédent, dont le tueur en série est bêtement remplacé par un démon générique, fruit d’un pillage narratif de Curse of the Demon (1957) et Rosemary’s Baby (1968). Générant l’excitation du spectateur par ses seules scènes d’action à saveur paranormale, cette toute dernière œuvre se vautre dans une marre de clichés si nombreux qu’on pourrait facilement s’y noyer. Dépourvue des décors évocateurs et de l’héroïne inspirante de The Pact (2012), celle-ci sombre rapidement dans les abîmes de l’infamie au rythme de trop nombreux effets d’épouvante éculés et d’une quête d’indices mécanique menant à une conclusion abrupte et très peu satisfaisante du récit.
Comme dans The Pact, le film met en scène un duo de sœurs étrangères, l’une desquelles mourra à la mi-parcours pour laisser la place à la seconde, plus jolie, mais aussi plus sombre. Comme dans The Pact, ces deux sœurs seront confrontées à une maison hantée où l’horreur est circonscrite dans une pièce précise dont l’héritage mystérieux fera l’objet d’une enquête laborieuse. On retrouvera en outre les mêmes papiers peints atroces et les mêmes scènes de violence fantomatique que dans cette œuvre précédente. La seule différence est l’ajout d’un récit parallèle impliquant la jeune femme possédée ayant autrefois habité la maison. On assistera ainsi aux déboires de celle-ci dès la scène d’ouverture, alors que son amant lui suggérera de vendre son âme pour la modique somme de 500$. Convaincue surtout par l’amour candide qui l’habite, elle accompagnera le jeune homme dans une sombre roulotte au milieu du désert. S’ensuivra une scène tendue et excitante à la manière du Texas Chain Saw Massacre (1974) de Tobe Hooper, série de gros plans évocateurs ponctuée par une bande sonore râpeuse garante d’une atmosphère lourde et oppressante. Forcée de piger un item dans une malle de cuir à l’aspect douteux, la jeune femme sera ensuite conviée à participer au jeu des trois gobelets, scellant bientôt son destin en offrant son corps à une entité démoniaque qui souhaitera y planter sa graine. Il suffira ensuite de savoir combien de temps les deux protagonistes pourront résister aux influences démoniaques latentes après avoir hérité de la maison familiale de la jeune femme.
Outre la séquence d’ouverture, scène habilement ficelée et source constante d’une tension palpable, l’œuvre s’avère être une série ininterrompue d’effets d’horreur croupissants passés la décoloration jusqu’au stade de la moisissure. Non seulement le réalisateur revisite-t-il de bête façon tous les thèmes et motifs présents dans son film précédent, mais il revisite également toutes les images les plus éculées du cinéma d’horreur, portes grinçantes, voix off feutrées, jeunes femmes fantomatiques à la tignasse noire défraîchie, miroirs voilés, vacarmes soudains, engeances démoniaques manipulatrices, maquillages recyclés de Wishmaster (1997), toutes intégrées à une prémisse ronflante aux enjeux dramatiques inexistants. La répétition est d’autant plus évidente que les deux protagonistes devront tour à tour revivre les mêmes expériences traumatisantes au cœur de la maison, revisitant les mêmes lieux, retirant les mêmes draps sur les mêmes miroirs et combattant les mêmes entités éthérées, exposant ainsi la pauvreté d’une mise en scène qui ne fera que recréer ces événements en remplaçant les personnages. Le fiasco est tel qu’on finit par y voir la simple énumération de tous les lieux communs du cinéma d’horreur. Et bien que la qualité intimiste de la caméra contribue de façon efficace à l’emprisonnement symbolique des personnages, le film ne démontre aucun sens du rythme, écourtant systématiquement chacune des montées de tension au profit d’un effet surdéterminé (déclenchement soudain d’une alarme, coup de téléphone subit, grincement de porte…) qui viendra en casser le rythme. L’horreur ne parviendra donc jamais à prendre racine, faute d’un terreau fertile cultivé de façon adéquate. Le changement d’héroïne à mi-chemin du récit, mauvais pli pris par le réalisateur dès son film précédent, n’aide pas non plus la cause, invalidant soudainement tous les efforts de caractérisation déployés lors du premier acte, et diluant l’affect pourtant nécessaire à notre engagement au cœur du récit.
Bien que la nature convenue du récit constitue son principal défaut, l’absence d’une muse de la trempe de Caity Lotz, athlète et mannequin pulpeuse à la tignasse de feu, fait également très mal à l’œuvre. Si Naya Rivera, vedette de Glee et du Bernie Mac Show, s’efforce ici de camper un personnage tout aussi embryonnaire, elle ne possède ni la présence, ni les attributs physiques de son précurseur. Mais surtout, elle ne possède pas la passion fétichiste du réalisateur, dont la caméra s’intéresse trop peu à sa nouvelle héroïne pour bien nous la vendre. Artiste cafardeuse dont les toiles horribles se retrouvent miraculeusement accrochées aux murs d’une galerie lors d’un vernissage lui étant entièrement dédié, Vera n’a rien de l’excitante « bad girl » qu’était Annie, jeune beauté à moto dont la camisole et le short moulant faisaient de son corps un élément de spectacle aussi important que toute manifestation fantomatique. Or, si McCarthy nous offre un langoureux travelling sur son postérieur alors qu’elle arpente un corridor de motel dans The Pact, il évitera ici scrupuleusement de mettre en relief les charmes de sa nouvelle protagoniste, filmant chastement ses pieds lors d’un travelling semblable, et la reléguant aux ténèbres pour la majeure partie du récit. Cela dit, même si l’échec du film n’est pas entièrement imputable à l’absence des fesses sculpturales de Mme Lotz, celle-ci nous dévoile parfaitement la superficialité d’une filmographie dont il s’agit de l’un des principaux atouts, faute d’une atmosphère digne de ce nom, d’une créature intrigante ou d’une touche personnelle quelconque de la part d’un auteur qui semble ne vouloir s’en tenir qu’aux sentiers battus.
À une époque où il devient de plus en plus difficile de distinguer l’hommage de la copie comme la parodie du pastiche, certains cas ne laissent pas place à l’interprétation, comme At the Devil’s Door, œuvre d’un réalisateur dont le travail s’avère cruellement redondant après seulement deux long-métrages. Devant un tel ratage, film sans âme dont le cœur bat seulement par injection de vieux sang gâteux, il ne nous reste plus qu’à souhaiter que McCarthy puisse rapidement distinguer ses qualités de ses défauts, et finisse par s’adonner à son style naturel, soit l’action. Le recyclage narratif dont il fait preuve, son utilisation de nombreux lieux communs propres au genre, son style direct et sa prédilection pour les cascades spectaculaires y seraient beaucoup mieux intégrées, surtout que la superficialité de la caractérisation ici présente pourrait s’y transformer en force…
Critique publiée le 7 août 2014.