DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Good, the Bad, the Weird, The (2008)
Jee-woon Kim

Il était une fois dans l'Est

Par Alexandre Fontaine Rousseau
Habile caméléon sautant avec aisance d'un genre à l'autre, le cinéaste sud-coréen Kim Jee-woon ne possède pas de style personnel, mais fait néanmoins preuve d'un indéniable savoir-faire technique qu'il applique habilement à chacune de ses réalisations. Ses films sont d'abord et avant tout des accomplissements visuels, et son premier « western » (ou devrait-on plutôt parler d'un « eastern » dans le cas présent?) ne fait pas exception à la règle. The Good, the Bad, the Weird, autour d'une banale prémisse bêtement esquissée, multiplie les séquences d'action à grand déploiement pour bien étourdir son public - glissant au passage quelques références faciles au classique de Sergio Leone dont il détourne le titre afin de donner à cette gigantesque opération de recyclage de vagues allures postmodernes. Mais au contraire du Sukiyaki Western Django de Takashi Miike, auquel il sera immanquablement comparé, The Good, the Bad, the Weird ne tisse par sa toile de références aucun discours - il se contente d'imiter, employant la citation comme s'il s'agissait d'une fin en soi. Il n'y a pas de « jeu » cinématographique possible : les excentricités sont figées, paralysées par la pression des conventions. The Good, the Bad, the Weird se contente d'être un bien commun blockbuster, dans un genre peu commun ; et c'est à son appropriation atypique parce qu'exotique d'un genre prisé que se résume son charme limité, bien vite épuisé.

La déception est d'autant plus forte qu'avec The Host, le cinéma coréen avait prouvé une certaine propension à repenser le film de genre avec ingéniosité dans un contexte grand public. Mais, tandis que le film de Bong Joon-ho développait un second degré humoristique à la limite critique de sa propre fiction, celui de Kim Jee-woon se contente de pimenter ses interminables séquences d'action de quelques gags puérils. Il y a humour en ce sens où le ton du film n'est pas sérieux, mais The Good, the Bad, the Weird se prend malgré tout beaucoup trop au sérieux : et, à force de compromis, il en vient à se neutraliser lui-même. Film sans exubérance, « cool » sans vraiment l'être, ce western se déroulant dans le désert de Mandchourie n'a malheureusement aucun sens du style. Exception faite de la brute de Lee Byung-hun, ses personnages manquent cruellement de charisme - et ses fusillades grisantes n'ont pas l'élégance des chorégraphies d'un Johnnie To, véritable héritier de ce sens du cinéma propre à Leone qui, avec l'excellent Exiled. avait quant à lui signé un authentique hommage à l'esprit du western spaghetti. Bref, l'exercice de style est grossier : les références faciles frôlent le calque, et l'exécution, quoique techniquement au point manque de finesse et d'élégance.

Plus maladroite encore est la tentative de tendre, dans la tradition de Leone, une toile de fond historique et politique en filigrane à cette aventure ; un processus parfaitement naturel chez l'Italien qui semble ici complètement forcé, en plus de mener directement à la dilution d'une tension dramatique déjà défaillante. L'arrivée de l'armée japonaise, dans le dernier acte du film, anéantit volontairement le dernier fragment de cohérence du récit ; mais Kim Jee-woon ne donne jamais l'impression de maîtriser ce chaos qu'il met en scène, se contentant de le déchaîner pour administrer un dernier électrochoc au spectateur qu'il tente par tous les moyens de combler. Déjà frénétique, le rythme du film dérape du côté du délire. L'action décrit alors une spirale qui ne mène à aucune conclusion convaincante. L'affrontement final est un pétard mouillé, reproduisant sans verve le mythique duel à trois de The Good, the Bad and the Ugly. Mais il faudrait plus qu'un simple jaillissement de pétrole pour que l'on puisse parler de « modernisation » du modèle.

Tout juste correct, The Good, the Bad, the Weird entretient l'intérêt sans vraiment l'alimenter, garde le spectateur éveillé sans réellement l'enthousiasmer. On pourrait parler d'un honnête divertissement, mais il faut pour cela modérer radicalement nos attentes. Car le film de Kim Jee-woon, loin d'être la tempête attendue, ne s'avère en réalité qu'un film d'action énergique - bien de son époque, un peu trop numérique - qui carbure aux effets spéciaux plutôt qu'à l'expression cinématographique pure. Et c'est à cet égard que le film tombe à plat : l'appropriation des conventions du western se fait en surface, servant de joli enrobage à une oeuvre au fond assez générique. Dépourvu du souffle épique et du cynisme mordant de ses inspirations séditieuses, cette grosse production assez peu audacieuse lorgne plutôt du côté d'Hollywood et ne cache rien de bien stimulant derrière sa photographie extravagante et ses séquences d'action généreusement mouvementées. Mais même ces dernières finissent par lasser, et la main d'habitude assurée du cinéaste coréen ne semble pas cette fois savoir ce qu'elle orchestre. The Good, the Bad, the Weird fait beaucoup de bruit pour rien, et se laisse aspirer par sa propre confusion ; un tel manque de contrôle étonne de la part d'un technicien aguerri tel que le réalisateur de A Tale of Two Sisters...
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Critique publiée le 15 octobre 2008.