Le conte des frères Grimm a rarement reçu un traitement louable au cinéma. S'il s'était servi de leur univers pour élaborer un discours sur la lubie, Terry Gilliam n'avait, avec son
Brothers Grimm, que ratissé un sujet qui était rapidement tombé à l'eau sous le poids des attentes et d'un grotesque qui avait déplu à la majorité des cinéphiles. Pourtant, le film de Gilliam n'est pas étranger à la démarche du cinéaste coréen Yim Pil-Sung qui renoue avec les anciens récits germaniques dans l'espoir d'y fonder un discours contemporain sur l'enfance et ses mécanismes de défense (chose que Del Toro avait merveilleusement réussie avec son
Pan's Labyrinth). Ainsi, ce
Hansel & Gretel coréen raconte l'arrivée d'un adulte, Eun-Soo, dans une étrange maison. À la suite d'un accident de la route - il se dirigeait chez sa mère gravement malade - notre homme se réveille au creux d'une forêt inquiétante dans laquelle il se voit guider vers un refuge par une jeune fille à la robe rouge et à l'antique lanterne. Sorte de premier pastiche à l'univers des Grimm, le petit clin d'oeil annonce d'emblée l'entrée dans un monde complètement rose bonbon et au kitch extravagant. Peu après son arrivée, Eun-Soo rencontrera les deux autres enfants d'une famille drôlement accueillante (les parents sont tenus en esclavage par les enfants). Alors que tout cloche et rien ne semble légitime par cet excès de bonté et de classicisme folklorique (les beaux éclairages, les beaux costumes, les beaux maquillages, les beaux accessoires, etc.), Pil-Sung nous entraîne dans un conte de fées fondé sur le malaise et sur la reprise des grands canons de l'art de conter, et surtout de son rapport à l'enfance.
En effet,
Hansel & Gretel s'identifie rapidement comme le récit des enfants dans un monde où ceux-ci ne seraient jamais parvenus à sortir de la forêt. Pour faire vite, l'histoire des frères Grimm allait comme suit: deux enfants sont maltraités par leurs parents et par deux fois ils sont expulsés de la maison familiale. Une fois rendue en forêt, ils parsèment des petits bouts de pain derrière eux pour retrouver leur chemin (un animal mangera le pain), atterrissent ensuite dans la maison en pain d'épices d'une vilaine sorcière. La soeur est forcée à cuisiner pour faire engraisser le garçon qui, une fois prêt à être dégusté, sert d'appât à la sorcière qui tombe dans le panneau et termine brûlée dans son propre four. Fin. Pil-Sung commence cependant son conte en supposant que les enfants seraient restés prisonniers de la maison, encore incapables de retrouver leur chemin et ainsi, forcés à créer de toutes pièces un imaginaire familial qui leur permettrait de survivre et de rester jeunes par manque de parent (sans parent, ils ne peuvent trouver modèles, donc atteindre la maturité). Si le film joue incroyablement bien la corde raide de la quête parentale, c'est tout d'abord grâce à la remise en contexte de l'abandon des enfants dans le contexte contemporain des explosions de natalité en Asie. Orphelins parmi tant d'autres, les enfants font partie d'un orphelinat où des impressions de prostitution, d'esclavage et de torture infantile suggèrent, en fin de récit, un retournement des rôles en faisant des adultes le plus grand ennemi d'enfants-démons (puisque magiques et interprétés comme antagonistes à Eun-Soo tout au long du récit). Pourchassés par un curieux personnage (qui retient facilement les airs du curé-assassin de
Night of the Hunter - inutile cependant d'approfondir l'hommage uniquement narratif), ils trouveront l'occasion de prouver à notre héros bien méfiant leur bonté tout innocente et leur désir maladif d'avoir des parents honnêtes et aimants.
Cachés dans l'ombre lorsqu'ils reprennent leur véritable forme (donc l'âge adulte), ces vieux enfants craignent le regard de Eun-Soo et craignent son départ en espérant avoir trouvé en sa personne la figure paternelle qui leur aura toujours été refusée. Dissimulée derrière des rideaux de clairs-obscurs volontairement « artificialisé », une aura de kitch s'empare des scènes d'épouvantes ici renversées dans un conte pour enfants corrompu par l'unique regard - celui de la méfiance - que nous pouvons lui accorder. Parce que trop coloré, trop bien composé, interprété dans le seul registre du sourire et des politesses, Pil-Sung surfait l'esthétique de son film tourné dans une maison de pain d'épice esthétique bourrée de trouvailles et de gratuités cinématographiques « sucrées » tantôt plaisantes, tantôt forcées. Au fur et à mesure que le réel se réalise pour ces enfants, que les fantômes du passé les rattrapent et qu'ils affrontent ce désir de conserver à jamais l'enfantillage comme dogme, l'univers de
Hansel & Gretel vire au gris et à l'obscurité. La colère des enfants s'accentue, leurs colères s'avèrent de plus en plus mortelles (dont une curieuse métamorphose en poupée de porcelaine) et la mise en scène perd peu à peu de son lustre dynamique en s'ancrant dans des plans fixes déformés, visuellement tourmentés. C'est ainsi que les jeunes diables deviendront de vieux innocents, que les élans de
travellings et de zooms rapides ralentiront et resteront, à défaut d'être originale, les causes d'une finale mal bouclée et malheureusement moins rigoureuse sur le plan esthétique.
Puisque où la rigueur du kitch s'avère primordiale pour recréer à partir de l'irréel une très rapide croyance à l'improbable (en avouant ses mécanismes et ses ficelles, la narration s'avère tout à coup crédible sur une plus vaste étendue d'excentricités), la montée dramatique du dernier acte où les causes du cloisonnement sont enfin révélées rime difficilement avec l'inquiétante plénitude qui la précédait. Bref, le film se conclut trop lentement et tardivement dans un récit qui approche les deux heures, les aspirations féériques de Pil-Sung suivent correctement leur voie en se frappant de plein fouet à une conclusion qui se devait provocante, mais qui, par une transition mal effectuée entre le registre enfantin et l'atmosphère angoissante, ne parvient pas à complètement tenir la route. Les implications trop rares du fantastique lugubre et des atmosphères gothiques provoquées par la forêt animiste se voient finalement plus de l'ordre de la visée burtonienne de l'expressionnisme cinématographique qu'au film d'horreur asiatique contemporain. Sans que ce choix esthétique soit nécessairement une mauvaise décision,
Hansel & Gretel n'arrive justement jamais à atteindre les ambitions créatives qui motivent sa construction dramatique. Dans la mesure où l'imaginaire de l'enfance forcé à l'évolution qui y est démontrée n'atteint pas tout à fait la force de frappe dramatique que la sensibilité d'un tel sujet permet habituellement. Rappelant parfois les récits contemporains d'enfants-soldats, le paradoxe terrifiant de l'innocence devenue violente (le jeune enfant terroriste ou le jeune enfant aux pouvoirs dangereux), tire profit d'une réflexion sans cesse renouvelée sur les thèmes du libre arbitre, de la conscience et de la responsabilité qui posent la même question : la maturité sert-elle avant tout de borne contre les violences primaires? En donnant raison à cette thèse disciplinaire, les enfants (de)
Hansel & Gretel, chargés de pouvoirs illimités et tueurs de tout adulte remplissant mal son rôle d'« adulte » énoncent - on semble encore difficilement se lasser de ce genre de discours - que la vérité sort de la bouche des bambins.
Hansel & Gretel est ditribué au Québec par Evokative Films.
Lisez notre éditorial sur Evokative et les problèmes de la distribution au Québec :
Le public de qualité québécoise ou le syndrome des expos (novembre 2010)