Une jeune femme atteinte du syndrome de Williams est aidée par sa sœur aimante. Une maison d'accueil veille à ses bons soins. Ses parents, ni absents, ni présents, flottent dans les parages, entretenant des non-dits dont l'abcès ne sera jamais crevé. Au centre de cette « bonne nouvelle TVA », Gabrielle Marion-Rivard incarne Gabrielle, son propre rôle à travers lequel réel et fiction se flouent habilement; sa chorale doit faire un concert aux côtés de Robert Charlebois et pour ces handicapés intellectuels comme pour le public, la scène finale relève du miracle dominical. Le « Je suis un chanteur populaire » de Bob devient « Je suis un film populaire ». Le cinéma est ici au service du réel. C'est une belle idée, sans équivoque, sans taches et même la direction photo entérine cette ambiance. Tout est plus blanc que blanc – c'est l'Immaculée Conception.
Et a priori, à l'image de la parabole chrétienne,
Gabrielle ne veut que faire le bien. Ses intentions sont bonnes et ses moyens le sont tout autant. Bien qu'on puisse lui reprocher un style uniformisé, jamais ne pourrait-on l'accuser d'un quelconque manque à gagner technique. Le moindre cadrage, la moindre coupe reposent sur une esthétique sentimentaliste qui est là pour raconter tout en satisfaisant. Les sentiments sont purs, les dialogues étonamment fluides et le manque de nuance dans cet amour entre Gabrielle et Martin (une brillante interprétation d'
Alexandre Landry) n'en souffre pas, car tout deux handicapés, la simplicité de leur affection jouit du contraste établit avec les familles qui les entourent. Peu encline à ce qu'il consomme cette passion, la mère du jeune homme le couve jusqu'à lui interdire toute relation sexuelle. À coup de rencontres parentales et de disputes avec le couple, le drame humain que met en scène
Louise Archambault étaye une situation où l'empathie du public l'emporte sur la confrontation entre les personnages.
Gabrielle est un film sur l'amour difficile à vivre entre deux voix silencieuses de la société, une oeuvre où les problèmes (médicaux, familiaux et institutionnels) sont d'ores et déjà réglés.
À bien y penser, à bien regarder à travers son verre constamment moitié plein,
Gabrielle est aussi l'un de ces rares films où le handicap n'est pas un moyen discursif.
Contrairement à
Carcasses où les images provocantes d'autistes imposaient une certaine tyrannie de
Denis Côté à l'égard de son sujet, Archambault n'exploite aucune « qualité » esthétique, aucune étrangeté de ces personnages qu'elle filme. Ils sont là tels qu'ils sont, certes sublimés par l'esthétique et le montage qui gomment minutieusement les côtés les moins reluisants de leur condition, mais jamais n'a-t-on l'impression de voir une version malhonnête de leur quotidien. D'abord parce que tous les choristes, sauf Martin, sont réellement handicapés; ensuite, parce qu'aucun d'eux n'entrave le fil conducteur du récit. Au lieu de considérer le handicap comme l'antagoniste du film, Archambault attend qu'il soit accepté au point de susciter le bonheur.
Au sujet de cet optimisme bien pensant, le texte éclairé de Bruno Dequen cible avec justesse l'universalisme homogénéisant des productions micro_scope. Bien qu'on ne peut que seconder l'observation, c'est la critique qu'elle implique qu'on adopte avec un peu plus de prudence (et particulièrement dans ce cas de figure). En fait, cette remise en question formulée
ici comme
ailleurs impose à chaque reprise une question rhétorique : qu'est-ce que l'histoire de
Gabrielle – autrement dit le synopsis inspiré du sort de ces individus – nous laissait espérer?
La critique du bonheur de
Gabrielle au nom de la conscience sociale se suffit difficilement : voici un
feel-good movie qui sublime les conditions de vie et qui s'efforce de manipuler le profil de ses personnages au point où l'enjeu dramatique est complètement recentré autour du spectacle final (à l'image de
Sister's Act,
School of Rock et
Les choristes). Le bonheur de Gabrielle, Martin et les autres est exalté par l'art à l'image du film qui aborde l'expérience cinématographique comme un baume apaisant et non comme un moteur du changement (qu'il soit esthétique ou populaire).
Le personnage incarné par
Mélissa Desormeaux-Poulin est emblématique de cette posture. Hésitant à rejoindre son copain en Inde, un professeur de musique qui enseigne à de jeunes enfants pauvres (Sébastien Ricard), elle souhaiterait tout de même demeurer au pays pour épauler sa sœur Gabrielle. Si elle reste, on excusera sa décision par amour familial. Si elle part, on se rassurera en se disant qu'elle aidera de jeunes bambins tout aussi dans le besoin. Dans les deux cas, c'est une sainte à laquelle on demande de choisir entre deux bienfaisances. Le mélodrame fonctionne parce que la mise en scène « sentimentalise » le réel et parce que les performances, toujours justes, font croire à un dilemme doucereux. À l'image de la morale des films de Sundance, tout est un
win-win dans
Gabrielle, et ce, seulement parce que le pari d'Archambault est de rendre hommage à des chanteurs passionés: pas à des handicapés rejetés. Dans cet ordre d'idées, il est fort louable qu'elle refuse d'éprouver ses personnages-acteurs.
Capable de conjuguer les enjeux sociaux et les préoccupations qui entourent ses sujets, Louise Archambault réussit donc où
Philippe Farlardeau échouait dans
Monsieur Lazhar. La cinéaste tempère les angles les plus racoleurs de son film en concentrant partout où elle le pouvait l'énergie de sa jeune interprète. Si
Gabrielle « sauve » le quotidien des choristes en leur donnant ce beau projet, c'est bien Gabrielle Marion-Rivard qui sauve le film, y insufflant assez d'amour, assez de sincérité pour qu'on puisse regarder ces largesses émotives comme un appel limpide au bonheur. La troupe des Muses de Montréal, habillées toutes de blanc, rappellent les chorales de l'église et confirment l'aspect bienheureux de l'oeuvre, genre de catéchisme de la société québécoise idéelle où la religion aurait graduellement cédé le pas à une éthique populaire – « Le Québec love, c'est ça mon bag » disait l'autre.