Notre relation à la mortalité demeure un concept tangible et intime. Que ce soit notre propre mort ou celle d’un proche, l’impact qu’elle peut causer est très réel. Les sévices et les répercussions frappent notre esprit comme une idée. Elle pénètre notre cerveau et nous consomme. De l’immobilité à l’impatience en passant par l’instabilité, elle se métamorphose et emploie le temps d’une manière qui nous pousse à repenser le concept entièrement. Bref, une chose est sure : la mort est inévitable et difficile à accepter, et ce, malgré cette certitude.
C’est dans ces eaux qu’
Hideo Nakata fait vivre sa première forée dans le
J-horror depuis déjà quelques années.
The Complex est un récit traitant principalement de la mort, explorant l’important lien que les vivants entretiennent avec celle-ci. Nakata, mieux connu pour les oeuvres phares
Ringu et
Dark Water, tente ainsi de refaire ses preuves après une série de films peu marquants, dont l’horrible
Chatroom. Le but demeure de se servir des esprits et des fantômes pour faire sursauter l’auditoire. Mais ces apparitions ne sont pas la principale arme de Nakata. Ici, ils sont distractions et détours pour explorer un thème beaucoup plus complexe et personnel. Sa réussite est une question que nous allons étudier exhaustivement, puisque la symbiose entre le genre et ce thème précis mène souvent à de mauvaises créations.
Dans cette quête, la grammaire visuelle de Nakata demeure un atout important par rapport à son approche de la mise en scène de l’horreur, et
The Complex se révèle un exemple prime de la puissance de son oeil. Chaque scène est minutieusement établie afin que nous ne sachions jamais quand un fantôme fera son apparition. Plus spécifiquement, une technique visuelle particulièrement intéressante demeure celle de la transformation du regard de la caméra. Souvent, dans des moments de tension ou d’introduction, Nakata fait voguer sa caméra par-dessus l’épaule d’un personnage. Le simple fait de faire la transition vers le regard direct crée alors une tension supplémentaire. Notre champ de vision est restreint et ce qui se cache dans la noirceur devient beaucoup plus terrifiant. Parallèlement à ces choix de syntaxe, Nakata choisit souvent d’allonger la durée de ses plans d’une ou deux secondes, rendant le suspense encore plus palpable chez le spectateur.
Et c’est exactement avec cette préconception, ce désir de nous faire peur, que Nakata risque l’intégrité du principal sujet de son film.
The Complex ne dévoile sa vraie vocation qu’à la fin du récit. Durant la majeure partie de celui-ci, les thèmes explorés et les révélations subséquentes sont profonds et puissants. La tragédie et ces séquelles font temporairement de ce long métrage un vrai bijou, tant émotif que crève-coeur. Par contre, comme si le genre était un obstacle, il se sent obligé de faire dérailler sa progression pour tomber dans les cordes du
J-horror. Avec une finale si décevante, on se demande bien pourquoi Nakata prend tellement de temps à nous montrer la relation entre Asuka et la mort. Ce qui est intéressant dans tout ce développement, c’est l’anguille sous roche concernant le passé d’Asuka et sa relation avec sa famille. Que ce soit les scènes futuristes mystérieuses ou bien les incessants grattements venant de l’appartement voisin, ce sont ces brefs moments qui fonctionnement le mieux. En effet, lorsque nous sommes ancrés dans cette relation ou une version décalée de celle-ci, nous sommes intimement liés à la décente aux enfers d’Asuka. Malheureusement, nous sommes vite plongés dans les clichés et les faiblesses du genre.
C’est dans ces moments que l’on sent que le réalisateur perd la vision de son film. Ce long métrage est riche en mystère, comme la plupart des films de la même famille, et détient une histoire assez élaborée pour nous faire croire à la quête de son personnage principal. Par contre, contrairement à
Ringu, par exemple, Nakata utilise le paranormal pour justifier un récit personnel et une tragédie. Il répète la formule, mais n’emploie aucunement le bon dosage. Les meilleurs moments sont souvent ceux de grande tension et de suspense. Les éléments d’horreur ou d’activités paranormales nous paraissent superflus et font plus mal au récit que le contraire, un problème majeur qui, comme nous l’avons mentionné, est présent dans sa finale. Bref, ce problème cause une rupture au niveau du style, créant un dénouement qui ne semble pas avoir été conçu en fonction de la genèse du film.
Au final,
The Complex se révèle un film à deux vocations. L’une cherche clairement à explorer un concept complexe et hautement évocateur, tandis que l’autre semble plus occupée à vouloir donner des frissons temporaires à l’auditoire. Les deux ne sont pas mutuellement exclusifs, mais le tandem créé par Nakata ne parvient pas à relever cette histoire au potentiel pourtant énorme. Peut-être s’agit-il d’un autre cas d’« auteurisme » se perdant dans de simples pulsions. Pour un instant, la mort devient un conflit intérieur et grandement effectif entre les mains de Nakata. Par contre, ce sont les exorcistes et les dérivés de Damien Thorn qui n’ont aucunement leur place dans cette étape inévitable de notre vie. Après une telle expérience, on ne peut qu’imiter la jeune Asuka et refouler ce qu’on juge digne d’être oublié.