DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Lesson of the Evil (2012)
Takashi Miike

Excès de spectacle

Par Alexandre Fontaine Rousseau
Dans la mesure où l'on espère de sa part un cinéma provocateur, c'est un Takashi Miike au sommet de sa forme que l'on retrouve avec Lesson of the Evil. Mais est-ce pour le meilleur ou pour le pire? Aussi inégal qu'il est prolifique, le cinéaste japonais semblait s'être assagi au cours des dernières années, réalisant notamment une série de remakes (13 Assassins, Hara-Kiri : Death of a Samurai) au style assez classique qui donnaient presque l'impression qu'il cherchait à obtenir une certaine forme de reconnaissance parmi les milieux cinéphiles plus traditionnels. Même ce fameux rythme de production effréné, véritable marque de commerce de l'auteur, avait considérablement ralenti depuis 2008, pour se stabiliser aux environs raisonnables de deux films par an.

Avec Lesson of the Evil, cependant, c'est sans contredit le Miike furieux des premiers temps qui débarque armé jusqu'aux dents pour réclamer son titre précieux « d'enfant terrible » du cinéma japonais. À un point tel qu'on est en droit de se demander si, en orchestrant un massacre adolescent d'une telle ampleur que le slasher moyen passe en comparaison pour un exemple de bon goût et de modération, le cinéaste n'a pas voulu, tout simplement, outrepasser ses propres limites, se battre à son propre petit jeu du cinéma choc et faire ravaler leurs mots à ceux qui affirmaient qu'il ne pourrait jamais faire « pire » que le Visitor Q de 2001.

Or, ce film conservait malgré ses innombrables excès un semblant de discours cohérent qui conférait à ses débordements, même les plus délurés, un certain sens. Lesson of the Evil, pour sa part, nous gave d'images cauchemardesques, capitalisant de manière assez perturbante sur la confusion inquiétante entre l'horreur pure et le ludisme déjanté, mais n'arrive pas à imposer ses idées au-dessus de la mêlée, à les départir clairement du chaos ambiant. Miike y est en définitive victime de son esthétique de l'extrême.

Le film débute pourtant d'assez belle manière, imposant avec une impassible cruauté un climat de violence étouffée qui rappelle à certains égards celui qu'établissait Tetsuya Nakashima dans l'excellent Confessions; et c'est avec plaisir que l'on retrouve, pour un temps, le Miike cérébral et méthodique d'Audition. La scène d'ouverture du film s'avère en ce sens des plus réussies, le cinéaste y prouvant par le biais d'une coupe franche à en glacer le sang qu'il peut hors de tout doute faire preuve d'une retenue exemplaire quand cela lui chante.

Mais ce sadisme posé, réellement terrifiant, est balayé du revers de la main au cours d'un troisième acte extravagant, à la limite obscène, où le cinéaste perd le contrôle de son propre film à force de chercher à faire jouir son auditoire. Après avoir calmement déployé son jeu, après avoir instauré un tension redoutable et fait culminer son film sur une scène de torture en soi assez sordide, voilà donc que Miike décide d'en rajouter, de suivre son inspiration morbide jusqu'au bout quitte à dépasser les bornes. La violence devient dès lors spectaculaire et, du même coup, résolument amorale.

Tout à fait conscient de l'ampleur de cette rupture de ton qui scinde son film en deux, Miike campe sa tuerie finale dans un décor de carnaval qui semble sortir de nulle part, créant ainsi un habile effet de distanciation qui sert en quelque sorte à légitimer intellectuellement l'outrance de ce ce qu'il s'apprête à mettre en scène. Mais ce simple clin d'oeil n'arrive pas à nous faire oublier que cette démonstration s'étire de manière interminable sans que cette durée ne soit réellement justifiée. Au bout de plusieurs dizaines de minutes, la seule raison d'être de cette séquence clé n'est plus que d'exciter et de satisfaire un public venu y chercher sa dose de violence extrême enrobée de couleurs criardes.

En faisant cohabiter ainsi des registres aussi drastiquement opposés, Miike fait certes preuve de cette fameuse audace sur laquelle repose, sans contredit, l'essentiel de sa démarche. Or, son film se bute au problème de son propre spectacle – maîtrisé, débauché, décadent, mais coupable au niveau de sa logique même d'une erreur de jugement capitale qui mine au bout du compte la pertinence de son propos. Un menaçant « to be continued », placé en guise d'avertissement final, cherche tant bien que mal à venir soutenir la thèse de l'auteur, qui semble croire que cette violence à laquelle il nous a confronté est inépuisable.

Mais c'est trop peu, trop tard. Miike a beau être conscient qu'il vient de réduire l'intolérable au niveau de simple jeu, comme le dit presque mots pour mots une survivante du carnage auquel vient d'assister le spectateur, il n'arrive pas à déconstruire de manière réellement convaincante la mécanique foncièrement perverse de sa propre représentation des événements. Tant et si bien qu'il devient difficile, voire impossible de déterminer si l'on vient d'assister à une démonstration abusive mais éloquente… ou à un vulgaire exercice d'exploitation.

En ce sens, Lesson of the Evil s'avère un film foncièrement troublant pour quelques bonnes raisons, ainsi qu'une pléthore de mauvaises – une oeuvre éclatée et schizophrène, glorieusement dérangée, qui s'écroule malheureusement sous le poids de ses contradictions insoutenables et de ses accumulations superfétatoires. Voilà qui, n'en déplaise à certains, en fait le film le plus intéressant de Miike depuis un bon moment. Mais pas pour autant le meilleur.
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Critique publiée le 20 juillet 2013.