DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Sarah préfère la course (2013)
Chloé Robichaud

Points de suspension

Par Jean-François Vandeuren
Dans un marché comme celui du cinéma québécois, nous pourrions croire que l’opportunité de réaliser un film serait pour tout cinéaste une occasion de tout donner comme s’il n’y avait pas de lendemain, quitte à craindre de ne plus avoir rien à dire par la suite. La tendance que nous observons actuellement va toutefois à l’opposé d’une telle pensée, notre cinéma d’auteur se définissant de plus en plus par une esthétique minimaliste et un travail d’écriture plus émotif que dramatique, comme si ses artisans cherchaient à tout prix à éviter les finalités de la fiction comme ses rouages narratifs les plus communs. Trop souvent au cours des dernières années nous aurons été introduits à ce personnage prisonnier de sa coquille, avare de mots, incapable de faire face à la réalité du monde moderne - d'où cette coupure de plus en plus nette entre la ville et la campagne. Cette démarche à mi-chemin entre langueur et contemplation - qui nous aura certainement donné plusieurs oeuvres de marque - paraît d’ailleurs davantage intéressée par l’engourdissement psychologique de ses protagonistes que par l’évolution du récit comme tel. Il s'avère en ce sens assez difficile de déterminer si Sarah préfère la course, premier long métrage de Chloé Robichaud, se veut symptomatique de cette tendance, ou s’il ne s’agit que d’un simple concours de circonstances. La jeune cinéaste nous propose un premier récit à saveur autobiographique témoignant de façon imagée de son propre parcours professionnel. Un film porté par les performances d’un naturel confondant d’une distribution efficace, mais néanmoins limitée par la retenue parfois excessive dont peut faire preuve la réalisatrice.

La prémisse du film de Robichaud est en soi parfaitement résumée par son titre. À l’aube de ses vingt ans, Sarah (Sophie Desmarais) est invitée à rejoindre l’équipe féminine d’athlétisme de l’université McGill. Avec une telle opportunité viendront les appréhensions classiques des parents, comme c’est le cas avec tout projet n’assurant pas forcément un avenir à long terme à leur progéniture. N’ayant d’autre intérêt dans la vie que la course à pied, Sarah quitte la banlieue de Québec pour s’installer à Montréal avec Antoine (Jean-Sébastien Courchesne). Ce dernier suggérera en cours de route que les deux amis se marient afin de bénéficier de l’aide gouvernementale octroyée aux couples aux études, plan auquel Sarah finira par adhérer. Sarah préfère la course revisitera dès lors le parcours typique de toute histoire de passage à l’âge adulte. À travers ses responsabilités face à son sport, Sarah sera également amenée à se questionner sur sa féminité, elle qui aura toujours préféré les espadrilles aux talons hauts, et, inévitablement, sur son identité sexuelle. Tout s’articule donc ici autour de la quête identitaire du personnage titre, Robichaud allant même jusqu’à soulever brièvement la question de l’allégeance politique de sa coureuse (elle qui aurait pu être divisée entre sentiments souverainistes et devoir de représenter le drapeau canadien). Un détail sur lequel l’auteure ne s’acharnera toutefois pas outre mesure, suivant la logique d’un personnage n’agissant au fond que pour son bien-être personnel. La cinéaste se jouera d’ailleurs des codes du drame sportif pour renforcer ces idées, n'opposant pas son héroïne en bout de ligne à une adversaire de taille plus qu’à elle-même, elle dont les ambitions pourraient d’autant plus être assombries par le menace de sérieux problèmes de santé.

La réalisatrice aura donc mis beaucoup d’elle-même dans ce premier long métrage, les épreuves auxquelles sera confrontée Sarah traduisant celles auxquelles Robichaud aura dû faire face dans le milieu tout aussi hasardeux du cinéma (québécois). C’est ce sentiment d’incertitude face à l’avenir ainsi qu’à elle-même avec lequel le personnage titre - et le spectateur de surcroît - devra jongler du début à la fin. La cinéaste a cependant encore quelques croûtes à manger en ce qui a trait à l’efficacité dramatique de sa démarche, laquelle se révèle à l’image de sa facture esthétique. La mise en scène de Robichaud baigne ainsi dans une perpétuelle grisaille, couleur reflétant à la fois la personnalité du protagoniste et le ton du film en soi, envahissant aussi bien la direction photo des plus passives de Jessica Lee Gagné que les environnements ternes dans lesquels évoluent les personnages et les costumes que revêtent ces derniers. L’approche de Robichaud se conforme ainsi à celle d’un certain cinéma d’auteur, en assimilant aussi bien les qualités que les limitations, reproduisant une façon de faire sans avoir encore trouver le moyen d’ajouter son grain de sel. La réalisatrice fait néanmoins preuve d’une maturité étonnante et des plus prometteuses pour son âge, préférant visiblement la sobriété aux excès de style - cette séquence d’ébats sexuels filmée de manière crue et créant tout le malaise désiré en demeure certainement le meilleur exemple. Le problème toutefois, c’est que cette quête de réalisme somme toute assez noble s’effectue trop souvent ici au détriment de l’élaboration d’une trame narrative articulée et réellement absorbante et d’un travail plus notable sur le plan visuel.

Le cinéma de Chloé Robichaud se définit ici par sa constante utilisation des points de suspension. Si la réalisatrice sème bien le parcours de son personnage titre de différentes embûches, différentes remises en question, la majorité d’entre elles ne mènent au bout du compte à aucune finalité ou ne marquent le début d’une quelconque évolution chez la principale intéressée. Une telle décision demeure évidemment risquée, surtout pour un récit ayant pour héroïne une jeune femme aussi peu expressive et ne sachant rarement dans quelle direction elle désire s’orienter. Robichaud posera d’ailleurs la question elle-même par l’entremise d’Antoine, qui s’interrogera à savoir pourquoi il aime autant une femme qui n’est ni drôle ni dégourdie ni particulièrement attirante. Sans être vide de sens, une telle prémisse exigeait néanmoins un traitement dramatique plus calculé, plus conséquent, et un peu moins vaporeux. Oeuvre sincère, mais se restreignant trop souvent elle-même dans ses ambitions, Sarah préfère la course témoigne de la vision d’une artiste qui, pour le moment, s’avère exécutée de façon un peu trop machinale. Le dernier plan du film se révèle en ce sens pour le moins paradoxal. Ressentant un malaise au coeur au beau milieu d’une compétition, l’athlète décide d’accélérer sa cadence sans se soucier de sa santé, préférant tout donner au risque de tout perdre plutôt que de s’avouer vaincue. Une image qui en dit certainement long sur l’attitude de la cinéaste face à sa propre carrière. Robichaud nous livre en bout de ligne un premier opus réalisé de manière réfléchie, mais dans lequel nous aurions justement aimé retrouver ce genre d’audace, cette énergie du désespoir qui lui aurait réellement permis de sortir du peloton.
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Critique publiée le 6 juin 2013.