Il demeure difficile encore aujourd’hui d’expliquer concrètement l’importante baisse de régime ayant affligé la filmographie de
M. Night Shyamalan. Car il n’est pas seulement question ici d’un cinéaste qui, après un départ canon, n’aura plus été en mesure de dénicher une bonne idée de scénario ou de simplement la mener à bon port. Si ce n’était que ça, le réalisateur aurait au moins pu continuer de s’imposer comme un fabriquant d’images tout ce qu’il y a de plus compétent. Mais la carrière de Shyamalan aura également été marquée d’un virage à 180 degrés que ce dernier aura effectué en délaissant progressivement le classicisme si prenant de ses premiers efforts pour se tourner vers un travail de mise en scène plus imposant, plus spectaculaire, mais pas forcément plus substantiel ou ambitieux. La mention du cinéaste ne pique plus la curiosité comme c’était le cas il y a moins d’une décennie, provoquant plutôt à présent de longs soupirs d’exaspération. Cela explique probablement pourquoi l’emphase n’aura aucunement été mise sur la participation de Shyamalan lors de la mise en marché du présent
After Earth, celle-ci ayant plutôt tourné autour de la collaboration à l’écran entre
Will Smith et son fils
Jaden, leur première depuis le
Pursuit of Happyness de 2006. C’est d’ailleurs la star qui aura proposé le projet au réalisateur, basé sur une histoire de son cru. Le projet se révélerait-il être celui dont Shyamalan avait tant besoin pour s’attirer de nouveau la faveur du public et de la critique? Ou serions-nous témoins d’un autre revers nous permettant de moins en moins d’espérer un retour en force du cinéaste à court ou à long terme?
Il deviendra d’ailleurs assez clair que la présente initiative a principalement pour but de paver le chemin pour le futur de la famille Smith en cherchant d’ores et déjà à établir le jeune Jaden comme une vedette crédible du grand écran. Ainsi, durant la quasi-totalité d’
After Earth, le personnage campé par Will Smith sera cloué à une chaise, les deux jambes cassées, tandis que celui qu’interprète son fils devra affronter les mille et un dangers de cet univers hostile au coeur duquel ils se seront retrouvés suite à l’écrasement de la navette à bord de laquelle ils se trouvaient. Ce monde, c’est une planète Terre où la nature aura finalement repris ses droits, près de mille ans après que la race humaine aura été forcée de la quitter. Au milieu d’une forêt s’étendant à perte de vue, le jeune Kitai Raige devra parcourir les dizaines de kilomètres s’éparant la tête et la queue du vaisseau afin d’y récupérer l’appareil qui leur permettra d’envoyer un signal de détresse. Ce dernier devra toutefois agir rapidement, et ce, aussi bien en raison du temps limitée qu’il sera en mesure de supporter l’atmosphère terrestre que par crainte que son père Cypher ne succombe à ses blessures avant de pouvoir être secouru. Shyamalan aura visiblement voulu jouer ses cartes ici en prenant le moins de risques possibles, ne se contentant que d’entremêler récit de survie à celui de la prise de maturité d’un adolescent cherchant désespérément à prouver sa valeur à un père qu’il idolâtre. Une quête que le cinéaste esquissera grossièrement à travers la nécessité pour Kitai d’arriver à contrôler sa peur, seul moyen de vaincre une gigantesque créature extraterrestre souffrant de cécité et ne pouvant traquer sa proie qu’en détectant sa frayeur.
Les caractéristiques de cette bête sanguinaire nous amènent évidemment à voir en elle la représentation d’un système politique qui se sera nourri abusivement de la peur de toute une population à la suite des événements de septembre 2001. La façon dont s’articule le scénario de Shyamalan et Gary Whitta ne permet toutefois pas de consolider ce discours de manière significative, voire simplement pertinente, comme le cinéaste avait su le faire, par exemple, dans
The Village, et donc d’aller au-delà de l’ultime épreuve de la quête identitaire d’un jeune héros que la force des choses aura poussé vers un passage précipité vers l’âge adulte. Il faut dire que le dixième long métrage du cinéaste américain semblera se diriger tout droit vers la catastrophe dès ses premières images. Après qu’une séquence d’introduction montée de façon terriblement laborieuse aura tenté de nous placer dans le contexte de ce lointain futur, Shyamalan établira les bases de la relation des plus distantes entre les deux hommes de la famille Kaige à travers une série de scènes souffrant d’un manque cruel de conviction dramatique comme de l’absence de flair visuel et de la piètre direction d’acteurs de leur maître d’oeuvre. Dans ses pires élans, la direction artistique d’
After Earth ne vole d’ailleurs guère plus haut que celle d’une cinématique d’un jeu vidéo de science-fiction datant des années 90. Shyamalan et son équipe ne se seront pourtant pas inspirer des efforts les plus futiles à cet égard alors que la composition extrêmement organique des décors et accessoires fera parfois écho à l’univers d'
Alien tandis que certaines compositions de James Newton Howard rappelleront les bandes originales que Jerry Goldsmith aura orchestrées pour le film de
Ridley Scott et
Planet of the Apes.
Autant nous pouvions reprocher à Shyamalan de commencer à faire du surplace lorsque ses méthodes auront montré leurs premiers signes de faiblesse, autant le manque d’ambitions créatrices et la mise en scène mécanique, voire désintéressée, du réalisateur témoignent ici de tout ce qui cloche à présent avec son cinéma.
After Earth cherche pourtant à s’inscrire dans le même registre épique qu’
Avatar, plongeant le spectateur dans des environnements naturels, certes, adéquatement filmés, falsifiant d’ailleurs sans gêne certaines séquences du film de
James Cameron, mais sans réussir à tirer quelque chose de plus éloquent de ce rapport de force inversé entre l’Homme et la nature composant le versant plus écologique de son discours. Les multiples références à
Moby Dick sur lesquels les deux scénaristes auront édifié leur intrigue ne pourront quant à elles être perçues comme autre chose qu'un ultime effort de conférer un sens plus profond à un projet qui, en soi, avait surtout besoin d’un narrateur efficace et d’un bon créateur d’ambiance, deux domaines dans lesquels excellait pourtant l’Américain il n’y a pas si longtemps. La trame narrative d’
After Earth n’est guidée au final que par un long dialogue entre les deux principaux personnages, l’un accomplissant l’action, l’autre l’éduquant durant ce périlleux processus d’apprentissage. Le tout est cependant déployé à travers un montage alterné ayant malheureusement tendance à affaiblir drastiquement le sentiment d’urgence et de danger que le film aspire à susciter chez son public. Bref, tel le pire revirement de situation imaginable, la petite histoire de M. Night Shyamalan est maintenant celle d’un artisan n’affichant plus la moindre confiance en ses moyens, ne se contentant plus que de limiter les dégâts en ne prenant aucun risque et en demeurant toujours sur la défensive. La seule solution s’offrant au cinéaste désormais est donc de retourner à la base, d’investir de nouveau une réalité concrète, plutôt que de se laisser submerger uniquement par la fiction.