DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
L’équipe Infolettre   |

Fast & Furious 6 (2013)
Justin Lin

La bonne direction

Par Jean-François Vandeuren
La direction qu’aura empruntée The Fast and the Furious avec le cinquième épisode de la franchise se sera finalement révélée des plus profitables. La mode des voitures modifiées n’étant plus aussi présente dans la culture populaire qu’elle a pu l’être au début des années 2000, les têtes pensantes de la série auront décidé de s’éloigner un tantinet du monde machiste et stéréotypé au possible des bolides sport et des courses de rue pour concentrer davantage d’énergies sur l’élaboration d’une intrigue aux enjeux nettement plus relevés. Un virage qui aura permis à la franchise d’élargir considérablement son public, rejoignant à présent les fans d’action pure et dure qui n’avaient pas forcément été emballés auparavant par ce que cet univers avait à proposer, mais qui pouvaient l’être par la simple idée d’un affrontement musclé entre les mastodontes Dwayne Johnson et Vin Diesel. Résultat : les coffres des producteurs n’auront jamais été aussi pleins depuis le passage à vide du peu populaire, mais tout de même fort distrayant, Tokyo Drift de 2006, première présence de Justin Lin à la barre de série, lui qui n’aura pas lâché le morceau depuis. Fast & Furious 6 poursuit sur cette lancée en présentant une trame narrative ne servant que de fil conducteur au déploiement de séquences d’action délicieusement exagérées. La franchise est de nouveau en santé et la confiance émanant d’un avenir assuré à court comme à long terme se fait sentir dans les moindres élans de Lin et de son équipe. On ne parle évidemment pas d’une révolution cinématographique. Mais les frasques composant cette nouvelle offensive ayant tout dans les bras et rien dans la tête s’assume au point où il devient vite impossible de bouder son plaisir face à autant de moments de haute voltige aussi tirés par les cheveux.

Après une séquence d’ouverture digne d’un croisement entre un téléroman californien et une série policière des années 90, le scénario de Chris Morgan ne perdra pas une seconde pour se mettre en marche, tous les éléments ayant déjà été mis en place dans les épisodes précédents pour lui permettre d’abréger les présentations. Cette fois, les rôles seront inversés alors que ce sera l’agent spécial Hobbs (Johnson) qui devra se tourner vers Dominic Toretto (Diesel) et sa bande pour mettre la main au collet d’un groupe de criminels de premier plan mené par un ancien soldat du nom de Shaw (Luke Evans), lequel chercherait à s’emparer de diverses technologies militaires qui, une fois réunies, formeraient une arme qui vaudrait des milliards. Bref, la bonne vieille tactique de combattre le feu par le feu prévaut une fois de plus. La raison qui convaincra Toretto de se ranger du bon côté de la loi sera son ancienne copine Letty (Michelle Rodriguez), que l’on croyait morte depuis le quatrième volet, mais qui serait finalement bien vivante et roulerait à présent aux côtés de Shaw. Dans une séquence rappelant de nouveau le Ocean’s Eleven de Soderbergh, les différents membres de l’équipe de Toretto (campés par les Paul Walker, Tyrese Gibson, Chris « Ludacris » Bridges, Sung Kang et compagnie) se réuniront pour mettre leur plan à exécution. Le récit de Morgan tournera toutefois moins cette fois-ci autour de l’élaboration d’une arnaque à grande échelle que d’une série de moyens pris à l’improviste pour tenter de contrer les projets de ces dangereux malfrats - que Lin nous présentera littéralement comme les doubles malveillants du groupe de Toretto -, lesquels sembleront évidemment toujours avoir une longueur d’avance sur nos indomptables héros.

Il n’est donc pas surprenant que ce sixième opus se déroule en grande partie au Royaume-Uni, pays de James Bond, étant données ses scènes d’action plus destructrices que jamais et la présence d’un antagoniste auquel aurait très bien pu être confronté l’agent 007 quelque part au cours de ses cinquante années d’aventures cinématographiques. Lin a d’ailleurs visiblement pris du galon en ce qui a trait à l’orchestration de ces séquences carburant aussi bien au pétrole qu’à l’adrénaline, moments évidemment phares de tout spectacle partageant pareilles aspirations. Le réalisateur n’est seulement limité à l’occasion que par la noirceur des rues de Londres, l’empêchant d’arriver à des résultats aussi nettes que dans Fast Five, dont il avait pu tourner les séquences équivalentes sous le chaud soleil du Brésil. Autrement, Fast & Furious 6 s’impose comme l’énième épisode d’une saga dont le caractère propre demeure inchangé, et ne changera sûrement pas après douze ans d’existence. Le tout mène à l’occasion à des moments où Lin et Morgan cherchent à renforcer leur opus d’élans plus dramatiques et sentimentaux, nous donnant alors l’impression d’observer un culturiste cherchant tant bien que mal à exprimer une émotion. Ces scènes paraissent certainement maladroites au milieu d’une telle pétarade, mais permettent néanmoins à l’effort de solidifier la notion de famille - quelle qu’elle soit - guidant ses protagonistes et permettant à chacun d’entre eux d’augmenter sa valeur au-delà du rôle type qu’il est appelé à remplir. Lin et Morgan font d’ailleurs preuve d’un savant équilibre par rapport au temps d’écran octroyé à chaque personnage, et ce, aussi bien individuellement que collectivement, dans un contexte où ce sont ces derniers qui servent de moteur au récit et jamais l’inverse.

On ne débarque évidemment pas dans un restaurant de fastfood en espérait avoir droit à de la haute gastronomie. Il s’agit en soi de l’état d’esprit avec lequel doit être approché ce sixième épisode exécuté sans la moindre prétention. Lin et Morgan n’avaient visiblement pour objectif que de s’amuser lorsqu’ils ont pris les rênes de la franchise tout en cherchant à rendre ce plaisir contagieux en repoussant sans gêne les limites du réalisme et de la gravité pour arriver à des moments de tension souvent plus qu’improbables, mais généralement très efficaces. On pense à cet affrontement final se déroulant sur ce qui s’avère assurément la plus longue piste de décollage au monde. Un léger détail que nous serons néanmoins prêts à oublier aussitôt - comme tant d’autres - devant toute la satisfaction que nous pourrons tirer de ce qui pourrait bien être la séquence la plus excessive de la carrière du cinéaste taïwanais. Finesse est un terme qui n’a, de toute façon, jamais collé à The Fast and the Furious. Les raccourcis narratifs et les explications bidon sont employés abusivement et sans remords. Les enjeux dramatiques sont également moins relevés que dans l’opus précédent, mais Fast & Furious 6 demeure un spectacle de pure testostérone défendu par une distribution ne cachant aucunement le bonheur qu’ils ont de reprendre les rôles qu’ils traînent depuis autant d’années. Fast & Furious 6 confirme ainsi que l’équipe à la base du projet a appris des erreurs du passé et sait désormais ce qu’elle a à faire pour arriver à un résultat équilibré capable d’interpeler un public de plus en plus vaste. Après six films d’une franchise dont nous n’aurons pas toujours donné cher de la peau, on peut presque parler d’un exploit. Et les choses semblent encore des plus prometteuses pour les épisodes à venir…
6
Envoyer par courriel  envoyer par courriel  imprimer cette critique  imprimer 
Critique publiée le 24 mai 2013.