YOU ONLY LIVE TWICE (1967)
Lewis Gilbert
Par Alexandre Fontaine Rousseau
S'il ne fait aucun doute que Goldfinger est le meilleur des
James Bond de l'ère Connery, l'exubérant You Only
Live Twice demeure le véritable sommet ludique de cet âge
d'or où chaque nouveau volet de la célèbre série
d'espionnage semblait vouloir dépasser le précédent.
Sous la tutelle du réalisateur anglais Lewis Gilbert, spécialiste
des drames de guerre qui avait connu un certain succès sept ans
plus tôt avec Sink the Bismarc!, la franchise traversait
une nouvelle étape de sa controversée transition vers
le royaume du spectaculaire et de l'invraisemblable. Embrassant sans
réserve le virage amorcé sur Thunderball, ce
cinquième film de la saga joue le tout pour le tout et éclipse
en ambition ses prédécesseurs: armées de ninjas,
navettes spatiales volées, gigantesques repaires volcaniques
et confrontation directe avec le chef du SPECTRE sont au menu pour cette
délirante aventure dont le budget, faramineux pour l'époque,
se chiffrera aux alentours des 9.5 millions de dollars. En quelques
minutes, Gilbert arrivera même à «tuer» James
Bond à l'écran pour mieux plonger le spectateur dans l'incertitude
alors que se dévoile le dorénavant traditionnel générique
d'introduction. Mais, comme l'indique le titre, on vit tout de même
deux fois dans l'univers de l'agent 007.
Dans son ouvrage Propagandes silencieuses, Ignacio Ramonet
affirme que «sur des questions politiques graves ou à des
moments historiques forts, la télévision et le cinéma
de masse ont élaboré des images spécifiques, ajustées
à un dessein idéologique, et destinées à
accompagner, comme une prothèse symbolique, la sensibilité
collective. Soit en dramatisant les préoccupations dominantes,
soit, au contraire, en euphorisant la conjoncture.» Selon cette
optique, You Only Live Twice demeure l'un des films de la série
les plus révélateurs des enjeux politiques et économiques
de son époque. Le scénario de Roald Dahl, auteur entres
autres choses de l'excentrique Charlie and the Chocolate Factory,
cumule les références à la croissance économique
faramineuse du Japon dans les années 60, à la course spatiale
opposant les États-Unis à l'URSS et au climat de tension
constante de la Guerre froide pour transformer les événements
d'actualité en un gigantesque divertissement cinématographique.
Ainsi, You Only Live Twice élève l'Angleterre
au rang de voix de la raison entre deux superpuissances paranoïaques
qui ne cherchent qu'une excuse pour déclarer la Troisième
Guerre mondiale. Se nourrissant des craintes populaires de son époque,
le film place l'agent secret James Bond en plein coeur d'une crise internationale
dont les conséquences sont potentiellement catastrophiques: une
navette spatiale américaine a été interceptée
en plein vol, et le Pentagone accuse immédiatement les Soviétiques
d'avoir orchestré l'offense. Le gouvernement de sa Majesté,
pour sa part, croit que le coupable se cache au Japon. C'est donc au
pays du soleil levant que 007 se lance sur la piste des comploteurs,
une enquête pour le moins rocambolesque qui le mènera tout
droit dans les entrailles de son plus vieil adversaire: le SPECTRE.
Révélant enfin au grand jour le visage du Numéro
Un de la tentaculaire organisation terroriste, Ernst Stavro Blofeld,
You Only Live Twice dissipe subitement le mystère des
épisodes précédents afin de personnifier plus clairement
l'ultime adversaire de James Bond. Livrant la plus emblématique
des interprétations du machiavélique maître-criminel,
Donald Pleasence subtilise l'attention du spectateur même s'il
n'est à l'écran que quelques fugaces instants; Connery,
quant à lui, a déjà fait preuve de plus d'inspiration.
Son Bond demeure flegmatique et charismatique, mais il n'a plus le panache
mythique de celui qu'il incarnait dans Goldfinger ou From
Russia With Love. Submergé par les cascades et la pyrotechnie,
il devient plus accessoire à la progression du récit.
Malgré tout, You Only Live Twice demeure en son genre
un produit exemplaire. Chef d'orchestre du meilleur film de la période
Roger Moore, le candide The Spy Who Loved Me, Lewis Gilbert
exploite déjà avec brio les éléments qui
feront la renommée de la franchise durant les années 70:
les gadgets sont plus imaginatifs, les explosions plus nombreuses et
les décors plus grandiloquents que jamais. Capitalisant sur la
mode des films de kung-fu, ce cocktail joyeusement bordélique
d'ingrédients disparates intègre le ninja à l'univers
de Bond et assaisonne l'aventure de quelques séquences d'arts
martiaux qui en accentuent l'exotisme. En ce sens, You Only Live
Twice dépasse tous ses objectifs haut la main. C'est le
plus gros, le plus exagéré et le plus joyeusement tapageur
des films de Connery; et, si cette approche n'est pas des plus raffinées,
le produit final demeure absorbant et férocement distrayant de
par sa démesure jouissive.
Pour certains puristes, le film de Gilbert sonne donc le glas de la
populaire série qui allait, exception faite de l'étrange
On Her Majesty's Secret Service, poursuivre dans cette direction
tape-à-l'oeil pour les décennies à suivre. À
la fois quintessence et dégénérescence de l'ère
Connery, You Only Live Twice demeure une somptueuse conclusion
à celle-ci; en comparaison, le banal Diamonds Are Forever
prend des allures de vulgaire commande tournée sur le pilote
automatique. Ici, producteurs et scénaristes semblent prendre
leur pied à envoyer leur espion-vedette dans la stratosphère
des plus éclatées fantaisies de bande dessinée.
Aux commandes de son hélicoptère de poche Little Nellie,
007 semble pour sa part plus intouchable que jamais. Rythmée
voire endiablée, cette aventure enjouée ne souffre d'aucun
temps mort et arrive à en mettre plein la vue avec chaque détour
de sa mince intrigue. Mais qui a besoin d'un fil conducteur lorsque
le courant passe si bien entre un personnage et son public?
Version française :
On ne vit que deux fois
Scénario :
Roald Dahl, Ian Fleming (roman)
Distribution :
Sean Connery, Akiko Wakabayashi, Mie Hama, Donald
Pleasence
Durée :
117 minutes
Origine :
Royaume-Uni
Publiée le :
5 Janvier 2007