QUANTUM OF SOLACE (2008)
Marc Forster
Par Jean-François Vandeuren
Pour la première fois dans l’existence de la franchise
la plus longue et la plus profitable de l’histoire du cinéma,
James Bond reprend exactement là où il avait laissé
au terme de sa précédente aventure. Même que ce
Quantum of Solace ne débute en soi que quelques minutes
après la conclusion du trépidant Casino Royale
de 2006. L’établissement d’une telle continuité
est évidemment tout ce qu’il y a de plus logique étant
donné l’évolution professionnelle et psychologique
à travers laquelle les scénaristes Paul Haggis, Neil Purvis
et Robert Wade semblent bien déterminés à guider
le célèbre personnage. Bond (Daniel Craig) se retrouvera
ainsi au coeur d’une poursuite effrénée alors qu’il
tentera tant bien que mal de livrer l’énigmatique Mr. White
aux autorités britanniques. Quelques instants avant que ce dernier
ne réussisse à prendre la fuite, le MI6 sera parvenu à
lui soutirer quelques bribes d'informations qui lui apprendront notamment
l’existence d’un groupe dont l’influence sur le paysage
politique et économique mondial dépasse visiblement l’entendement.
L’agent 007 devra du coup parcourir les quatre coins de la planète
afin de découvrir qui tire les ficelles de cette mystérieuse
organisation. Son périple l’amènera principalement
en Amérique du Sud où l’environnementaliste Dominic
Greene (Mathieu Amalric) serait sur le point de conclure une entente
avec un général bolivien à qui il aurait promis
la tête de son pays. En échange de ses loyaux services,
Greene obtiendrait les droits d’exploitation d’un territoire
désertique où l’on n’a pourtant jamais trouvé
la moindre trace de richesse naturelle. L’agent secret mènera
ainsi son enquête sous l’impulsion de la colère et
de la vengeance, lui qui ignore toujours si sa bien-aimée Vesper
Lynd l’a trahi, ou si elle ne s’est pas plutôt sacrifiée
pour lui sauver la vie.
Visiblement, rien n’est laissé au hasard depuis que les
dirigeants d’EON Productions ont décidé de prendre
le pari audacieux de repartir leur série à zéro.
Si bien que la mise en chantier du présent effort avait déjà
commencé avant même que ne s’amorce le tournage du
Casino Royale de Martin Campbell. La bonne nouvelle, c’est
que les artisans à la tête du projet savent pertinemment
où ils vont et semblent d'autant plus avoir la confiance totale
des producteurs, qui leur ont octroyé la somme exorbitante de
200 millions de dollars pour réaliser ce vingt-deuxième
épisode d’une franchise dont on ne donnait pourtant pas
cher de la peau il y a six ans. Cette nouvelle vague d’aventures
se nourrit évidemment d’un profond désir de rompre
avec certaines traditions, mais sans nécessairement ignorer le
riche héritage légué par la vingtaine d’épisodes
ayant précédé « l’ère Craig
». Les nouvelles technologies de communication ont remplacé
les improbables gadgets de Q et Bond a décroché de son
bon vieux martini pour s’abreuver d’un cocktail de son invention
qu’il baptisa en l’honneur de sa douce. Mais au centre de
tout ce renouveau, les trois scénaristes se permettront tout
de même un savant hommage à l’épisode phare
de la série (Goldfinger) en enduisant le corps d’une
jeune femme d’or noir - personnage qui aura d’ailleurs sensiblement
la même espérance de vie que son homologue de 1964. Mais
si Campbell avait su calmer le jeu après l’insignifiant
Die Another Day de Lee Tamahori en revenant à une formule
un peu plus sobre et épurée, le réalisateur Marc
Forster sort pour sa part l’artillerie lourde avec Quantum
of Solace. De sorte que les séquences de poursuite, de bagarre,
d’explosion et de fusillade se succèdent ici à un
rythme effarant, parfois même trop, d’ailleurs.
Mais le tout n’est fort heureusement jamais réalisé
au détriment de la substance alors que le présent effort
dévoile à nouveau les traits d’une intrigue étoffée
et d’un univers filmique qui continue de gagner en profondeur.
La série a ainsi su s’adapter à cette nouvelle époque
en nous présentant un Bond qui n’est plus tout permis et
dont les cicatrices physiques et psychologiques s’avèrent
de plus en plus apparentes, mais aussi en étalant une série
d’observations et de préoccupations sociales tout ce qu’il
y a de plus pertinentes. Quantum of Solace nous présente
ainsi un monde où les hôtels de luxe voilent de moins en
moins une réalité qui n’est pas toujours très
rose, où les États-Unis ne sont plus la première
puissance mondiale, et dans lequel la plus grande menace pourrait bien
venir de ceux qui ne courent plus après le pétrole et
qui sont à l’opposée bien conscients du bourbier
dans lequel s’enlise la planète, et qui ont surtout les
moyens de tourner le tout à leur avantage. Pour le meilleur et
pour le pire, Forster tente de faire ressortir ce souci de réalisme
en agençant la nervosité et l’instantanéité
de la caméra d’un Paul Greengrass - et même d’un
Alejandro González Iñàrritu - au style beaucoup
plus classique auquel la franchise nous a habitués. D’un
côté, le cinéaste arrivera à des résultats
de premier ordre, exécutant des jeux de caméra souvent
hallucinants et proposant parfois un travail tout aussi sidérant
au niveau du montage et du son. Mais de l’autre, Forster répètera
les mêmes erreurs que bon nombre de ses contemporains en bombardant
le spectateur d’une quantité inimaginables d’images
lors des séquences les plus mouvementées, là où
Campbell avait pourtant su faire certains compromis pour arriver à
un résultat nettement plus soigné et cohérent.
Le tout est d’autant plus désolant vue la force dramatique
inouïe que le réalisateur parvient à insuffler à
certaines séquences dans lesquelles Bond aura rarement paru aussi
menaçant aux yeux de ses adversaires, et même du public.
Craig s’approprie de nouveau les traits de ce personnage mythique
en lui conférant un caractère beaucoup plus glacial, voire
même sadique, sans que celui-ci ne soit pour autant dépourvu
d’humour ou de charme. Mais Quantum of Solace se veut
en soi une oeuvre de transition, un passage obligé, et ce, autant
pour l’agent 007 que pour l’intrigue dans son ensemble.
Le Bond de Haggis, Purvis et Wade se trouve ainsi à un stade
adolescent avec tout ce que cela implique en termes d’excès
et d’insouciance. Une force brute et sauvage qui n’a pas
encore été totalement apprivoisée dans un contexte
où M (Judi Dench) servira littéralement de figure maternelle
à ce héros aux techniques impulsives, mais qui aura néanmoins
réussi à prouver en partie sa pertinence. La route sera
longue et parsemée d’embuches pour ce protagoniste à
la morale toujours quelque peu ambiguë, qui oscillera ici entre
l’apologie de la vengeance qui poussera l’une de ses plus
proches alliées au-delà du point de non-retour, et son
dévouement à la bonne cause qui ramènera son confrère
Felix Leiter (Jeffrey Wright) vers le droit chemin. Ce n’est d’ailleurs
pas un hasard si Bond n’effectuera sa traditionnelle marche devant
l’arme d’un assaillant inconnu qu’à la toute
fin du présent effort, recouvrant une tradition que l’on
croyait alors perdue à tout jamais et qui donnera du coup le
ton à la suite des événements - qui s’annonce
en soi des plus prometteuses. Car toutes les questions ne trouvent pas
réponse dans Quantum of Solace. Mais parions que Bond
saura faire la lumière sur celles-ci au fur et à mesure
qu’il se rapprochera de son nouveau SPECTRE.
Version française : 007 Quantum
Scénario : Paul Haggis, Neal Purvis, Robert Wade
Distribution : Daniel Craig, Olga Kurylenko, Mathieu Amalric,
Judi Dench
Durée : 106 minutes
Origine : Royaume-Uni, États-Unis
Publiée le : 18 Novembre 2008
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