LIVE AND LET DIE (1973)
Guy Hamilton
Par Alexandre Fontaine Rousseau
En 1962, le James Bond de Sean Connery était déjà
quelque peu anachronique; en 1971, année de sa dernière
mission officielle, il faisait office de véritable dinosaure
de service. Dix ans de féminisme, l'explosion culturelle du Swinging
London et le passage du mouvement hippie avaient rendu complètement
archaïque le mythique personnage tel qu'interprété
par l'acteur écossais. Les producteurs de la célèbre
franchise, conscients des mutations sociales à l'oeuvre, avaient
déjà tenté avec George Lazenby de revoir leur espion-vedette
au goût du jour; mais l'accueil mitigé réservé
par le grand public à ce 007 plus sensible qu'interprétait
l'acteur australien avait forcé le retour en catastrophe de Connery.
Mais, malgré une mise en situation fulgurante, Diamonds Are
Forever s'avère en rétrospective une piètre
conclusion à son règne quasi immaculé. Une fois
de plus battus, Saltzman et Broccoli devaient répondre à
une question qu'ils avaient déjà escamotée de justesse
une fois: quel acteur serait en mesure de prendre la relève de
celui qui avait défini le populaire personnage? Leur choix allait
se porter sur un habitué du genre, Roger Moore, devenu célèbre
grâce à la série télévisée
The Saint.
Maintes fois parodié vers la fin des années 60, James
Bond avait déjà perdu une bonne partie de sa gravité
en 1969 lorsque le romantique Lazenby s'était glissé dans
sa peau; les Américains s'étaient payé la tête
du Britannique en 1966 avec Our Man Flint tandis que le chaotique
Casino Royale de 1967 avait poursuivi la blague dans une veine
autrement plus étrange. S'adaptant à cette réalité,
l'authentique 007 allait lui aussi adopter une attitude plus caricaturale
frôlant l'auto-parodie sous les traits de Moore. Délaissant
ses penchants sadiques au profit d'un sens de l'humour léger
et débonnaire, le Bond nouveau semble s'être engagé
dans les services secrets de sa majesté dans l'espoir de baiser
et de voyager beaucoup. Pour Roger Moore, sauver le monde est une arrière-pensée,
une obligation de laquelle il faut s'acquitter afin de continuer à
mener une existence de plaisancier de luxe. Ce dandy désinvolte,
sorte d'oncle célibataire enfilant sans que l'une n'attende l'autre
les nouvelles conquêtes, préfère la conversation
mondaine à la violence; il possède, en bref, toutes les
caractéristiques nécessaires pour survivre aux années
70 et à la fin apparente de la Guerre froide...
Lorsque deux agents britanniques et un ambassadeur sont assassinés,
MI6 décide d'envoyer son meilleur élément aux États-Unis
dans l'espoir que celui-ci pourra démêler l'affaire; c'est
sans grande surprise que l'on découvre Bond/Moore aux prises
avec une jolie espionne italienne, concluant sa plus récente
mission dans le lit de son kitsch domicile. D'emblée, la personnalité
plus relaxe de ce Bond moderne s'affirme à l'écran; même
en compagnie de M, il semble parfaitement décontracté
et s'amuse tel un gamin avec des gadgets en apparence inutile qui lui
sauveront bien entendu la vie plus tard dans le film. Live and Let
Die substitue au tueur froid de Connery et à l'homme rose
de Lazenby un authentique maniaque sexuel, un rat manipulateur qui multiplie
les stratagèmes ingénieux pour s'envoyer en l'air avec
toutes les femmes qu'il croise sans exception. C'est presque par hasard
que l'agent secret va démanteler un cartel de la drogue aspirant
à inonder le marché d'héroïne gratuite, stimulant
de manière artificielle la demande populaire pour ledit produit
tout en déstabilisant la concurrence.
Pigeant quelques-uns de ses ingrédients à même le
merveilleux monde du cinéma de blaxploitation, Live and Let
Die oppose un 007 plus funk que jamais à une bande de brigands
afro-américains se terrant dans Harlem et à la Nouvelle-Orléans.
Autour d'une intrigue assez peu substantielle, le film signé
Guy Hamilton arrive à rassembler tous les ingrédients-clés
de la franchise: les gadgets, les femmes - Jane Seymour en tête
- et les poursuites s'étalant sur des dizaines de minutes. Mais,
du fameux «son qui tue» à l'exécution par
inflation de la séquence finale, Live and Let Die enchaîne
les invraisemblances avec une nonchalance nouvelle qui sera la marque
de commerce de la période Roger Moore. Ici, tout est prétexte
à défier les lois de la physique et la logique conventionnelle
tant et si bien que même la prothèse-pince de l'uns des
sous-fifres du baron de la drogue Kananga, sans doute l'un des accessoires
les plus nuls de l'histoire de la franchise, se fond à l'ensemble.
Avec le recul, Live and Let Die peut sembler somme toute moyen
malgré l'exceptionnelle chanson-thème signée Paul
McCartney et la présence de l'intriguant Baron Samedi. Le film
demeure un produit tout à fait caractéristique de l'ère
Moore, inférieur aux For Your Eyes Only et The Spy
Who Loved Me qui en demeurent la quintessence sans pour autant
faire part du même essoufflement que le A View to a Kill
de 1985. Par ailleurs, il introduit de manière parfaitement compétente
l'homme qui allait incarner le personnage durant douze années
consécutives - la plus longue séquence de l'histoire de
la série - et le remodeler à son image. Avec Roger Moore,
James Bond semble devenir conscient de son image de marque et commence
à calculer ses faits et gestes en fonction de celle-ci. Sur le
ton de l'auto-satire, l'humour prend le dessus. Les films de la série
n'opèrent plus que par leur propre lot de règles spécifiques
et ne peuvent être jugés qu'à titre d'énièmes
James Bond, auto-référents et parfaitement débiles
mais malgré tout franchement divertissants. Si celui-ci n'est
pas le meilleur, c'est loin d'être le pire.
Version française :
Vivre et laisser mourir
Scénario :
Tom Mankiewicz, Ian Fleming (roman)
Distribution :
Roger Moore, Yaphet Kotto, Jane Seymour, Clifton
James
Durée :
121 minutes
Origine :
Royaume-Uni
Publiée le :
27 Janvier 2007