GOLDFINGER (1964)
Guy Hamilton
Par Jean-François Vandeuren
L’évolution des aventures de l’agent 007 au cinéma
s’apparente étrangement au cheminement classique d’un
artiste oeuvrant dans le domaine de la musique. Le premier opus présente
une formule attrayante devant réunir quelques fidèles
autour d’un morceau de musique bien ficelé tout en laissant
quelques atouts volontairement en suspend dans le but de forcer l’auditoire
à réclamer un second tour de piste. La deuxième
galette doit alors renforcer les bases déjà acquises tout
en élargissant leurs horizons sur des éléments
mieux définis et en imposant une dynamique élaborée
avec beaucoup plus d’assurance et un goût marqué
pour l’expérimentation. Au troisième album, la chair
a trouvé place autour de l’os. Dans plusieurs cas, le compositeur
accouche de son œuvre la plus aboutie, celle avec laquelle chaque
nouvelle pièce de son répertoire sera inévitablement
comparée. Dans le cas de la série James Bond, c’est
le Goldfinger de Guy Hamilton qui a l’honneur de remplir
cette fonction depuis maintenant plus de quarante ans.
Alors que From Russia With Love préparait le terrain
pour ce qui allait devenir pendant quelques années un affrontement
répété entre James Bond et les membres du SPECTRE,
Goldfinger abandonne complètement cette prémisse
l’espace d’un film pour opposer l’agent secret à
Auric Goldfinger, un richissime homme d’affaire qui a une fixation
maladive sur l’or. Si les entreprises de ce dernier semblent tout
à fait légitimes, le gouvernement britannique croit que
celles-ci servent en fait de façade à une organisation
se spécialisant dans le trafic de ce précieux métal.
Bond devra donc voir de quoi il en retourne et, bien entendu, déjouer
les plans de Goldfinger. L’agent 007 découvrira toutefois
en cours de route que le malfrat est également le maître
d’œuvre d’un plan machiavélique dont la réussite
aurait assurément des effets catastrophiques sur l’économie
mondiale.
Au départ, les producteurs de la série prirent un risque
considérable en décidant de changer de cap alors que la
franchise était sur une lancée commerciale et artistique.
Le réalisateur d’origine française Guy Hamilton
trouva une façon d’autant plus inusitée de le faire
en accordant beaucoup moins d’importance à son personnage
principal pour se concentrer davantage sur les manigances de son nouvel
ennemi. L’agent 007 se retrouve ainsi prisonnier d’une manière
ou d’une autre des griffes de Goldfinger durant la majeure partie
du film alors que rien ne semble lui réussir, si ce n’est
que d’éliminer de façon toujours aussi aléatoire
quelques hommes de main du brigand dans le feu de l’action. Pour
la première fois de l’histoire de la jeune série,
le récit nous présente un criminel dont les préoccupations
sont purement d’ordre économique. Il est évidemment
question une fois de plus de domination mondiale, mais les moyens employés
par les antagonistes pour arriver à leurs fins se veulent, dans
la dynamique du genre, beaucoup plus réalistes et diffèrent
du simple vol dont l’or est ordinairement l’objet au cinéma.
Comme Terence Young avant lui, Hamilton appuie également son
film d’une bonne dose d’humour en récupérant
tous les artifices et les improbabilités que la série
a déjà bien installés dans l’imaginaire collectif.
Goldfinger déploie ainsi son artillerie composée
de l'incomparable Aston Martin DB5, d’un valet capable de vous
briser la nuque en vous lançant un chapeau, d’un escadron
de pilotes professionnelles campées par des mannequins toujours
impeccablement coiffées et, bien entendu, du charme légendaire
d’un Bond pour qui ramener une femme corrompue par l’appât
du gain dans le droit chemin est un vrai jeu d’enfant. Ces éléments
sont intégrés d’une manière à la fois
modeste et légèrement tape-à-l’œil aux
rouages d’une intrigue qui, heureusement, ne fut pas autant prise
à la légère. La réalisation de Guy Hamilton
permet également à la franchise de quitter le modèle
d’essais et d’erreurs de Dr. No ou celui plus sobre
de From Russia With Love pour acquérir toute la force
d’un divertissement à grand déploiement à
laquelle aspirait la série tout en demeurant particulièrement
terre-à-terre. Pour sa part, Sean Connery excelle une fois de
plus dans la peau d’un personnage aussi froid que charismatique
qui continue de foncer tête première avec un détachement
souvent irrationnel.
Si Terence Young mit sur pied les fondements autour desquels allait
graviter pratiquement chaque nouvelle aventure de James Bond pour les
quarante années à venir, Guy Hamilton, en l’espace
d’un seul film, les solidifia et les ancra définitivement
dans la culture populaire. Certains effets visuels ont évidemment
pris un coup de vieux avec les années. Mais plutôt que
de réellement nuire à l’expérience, ceux-ci
ajoutent désormais une touche de candeur à un film dont
la mise en scène ne flirte jamais plus qu’il ne le faut
avec la réalité. De toute façon, ce ne sont aucunement
pour ces séquences que le film de Guy Hamilton devint avec le
temps l’un des épisodes les plus acclamés de l’histoire
de la franchise, mais bien pour son scénario d’une redoutable
intelligence qui en inspira plusieurs autres par la suite, dont celui
du The World is Not Enough de Michael Apted, et son minutieux
dosage entre scènes d’action trépidantes et le développement
d’une intrigue soigneusement fignolée et de personnages
aux traits plus grands que nature.
Version française : Goldfinger
Scénario : Richard Maibaum, Paul Dehn, Ian Fleming (roman)
Distribution : Sean Connery, Honor Blackman, Gert Fröbe,
Shirley Eaton
Durée : 112 minutes
Origine : Royaume-Uni, États-Unis
Publiée le : 5 Janvier 2007
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