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DR. NO (1962)
Terence Young

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Sans conteste, la recette de la série James Bond en est une qui ne change que peu d'un épisode à l'autre. Certains ingrédients sont immanquablement différents tout en étant coulés dans le béton, de la jolie fille de service aux paysages de cartes postales en passant par la panoplie de gadgets employés, mais la structure de base demeure la même. S'il n'y a pas en 1962 de précédent sur lequel calquer Dr. No, c'est qu'il s'agit exception faite d'un téléfilm de 1954 de la toute première aventure cinématographique de l'agent 007. Pourtant, ces fameuses règles de base sont déjà énoncées avec une clarté presque prophétique par le film de Terence Young. Pour les producteurs Harry Saltzman et Albert R. Broccoli, les premiers Bond serviront en quelque sorte de laboratoire: From Russia With Love flirte avec le thriller d'espionnage plus classique, presque réaliste, et l'excessif Thunderball déploie des moyens de superproduction pour en mettre plein la vue au spectateur. Néanmoins, ce sont Dr. No et Goldfinger qui semblent aujourd'hui les produits les plus équilibrés de cette période de formation: le film de Guy Hamilton, règle générale célébré comme étant le joyau de l'ère Connery, viendra parfaire la formule que lance avec un certain brio ce petit bijou d'exotisme kitsch et de sexisme rétrograde qu'est le Dr. No de Young.

Lorsqu'un agent britannique est assassiné en Jamaïque, le fleuron des services secrets de sa Majesté est envoyé sur place pour mener l'enquête. Nous nous glissons en compagnie d'un simple messager dans un chic casino londonien, jusqu'à une table de carte où la limite établie par la maison ne satisfait plus les joueurs. La caméra se refuse dans un premier temps à nous montrer le visage de ce fameux James Bond, que nous ne connaissons alors que de nom. D'emblée, nous savons pourtant qui il est: suave, sophistiqué et sarcastique, il s'avère à la fois le parfait gentleman et le plus professionnel des assassins. Pas besoin d'un dessin où du fameux «Bond, James Bond» pour comprendre que Sean Connery est l'as des as en question. Il a la gueule de l'emploi et, avant de quitter l'établissement quelques milliers de dollars plus riche, il prend rendez-vous avec la plus belle des femmes à sa table. À peine une heure plus tard, l'affaire est dans le sac et 007 part en direction d'un paradis tropical aux frais des contribuables anglais.

L'aventure qui se trame se complaît certes dans les clichés colonialistes du pire goût tout en célébrant une certaine mentalité européenne déjà éculée en 1960: l'homme blanc, assisté dans sa tâche par de sympathiques sauvages incroyablement crédules, vaincra à l'aide de son homologue américain de la CIA un savant mégalomane d'origine asiatique financé par une obscure organisation criminelle du nom de SPECTRE. Malgré cela, Dr. No demeure un divertissement aussi pur qu'efficace. Truffé de scènes d'anthologie maintes fois répétées ou parodiées, le film de Terence Young conserve plus de quarante ans après sa sortie l'étoffe d'un authentique classique populaire. Alors que cette fameuse image d'Ursula Andress sortant de l'océan était répliquée dans le médiocre Die Another Day dix-neuf films plus tard, le repaire insulaire de l'énigmatique docteur No demeure un véritable modèle de l'architecture mégalo-machiavélique de la Guerre froide; le Doctor Evil d'Austin Powers n'a jamais su renouveler cet imposant design et les uniformes conséquents. Quant à elles, les meilleures scènes du récent OSS 117 de Jean Dujardin s'inspirent sans conteste de l'arrivée en Jamaïque de Bond.

Certes, les mordus du Bond moderne de la période Brosnan - ce Rambo en complet-cravate misant sur la force brute pour se sortir de toutes les situations imaginables - trouveront que son ancêtre rupestre est plutôt mal nanti en termes de séquences d'action survoltées. Malgré son machisme caricatural et sa calculée cruauté, le 007 de Sean Connery est un héros élégant et civilisé misant sur son intelligence - de même que sur la formidable sottise de ses adversaires - pour mener à bon port sa mission. C'est somme toute l'interprétation du personnage qui s'avère la plus fidèle à celui que dépeignent les romans d'Ian Fleming: un tueur froid et quelque peu sadique, prenant plaisir à faire son travail en profitant au passage des bonnes choses de la vie. Primitif, le Bond de Connery l'est sans aucun compromis; il s'impose en tant que symbole vétuste d'une époque révolue, d'une virilité préhistorique qui n'a plus sa place dans une société où sied en reine la rectitude politique. C'est un monstre un peu débile, dépassé mais attachant.

Pour sa part, la réalisation de Young ne fait pas dans la dentelle mais comble les attentes du spectateur, servant de généreuses portions d'exotisme luxueux ainsi qu'une intrigue cousue de fil blanc avec candeur et rythme. Certains moments plus maladroits, l'affrontement avec «le dragon» notamment, frôlent le risible. Dans l'ensemble, Dr. No tient malgré tout la route car il évite de s'abandonner à la démesure de certains de ses successeurs. On a affaire à un Bond respectant la loi de la gravité de même que certaines notions de physique élémentaire, plus proche de l'agent secret que du super-héros; c'est d'ailleurs cette vision qui sera préconisée quarante-quatre ans plus tard pour le retour en force que constitue le Casino Royale de 2006. Preuve que les meilleures recettes sont parfois les plus vieilles. Quoiqu'il en soit, Dr. No demeure un amusant artefact de son époque doublé d'un divertissement de première classe. Dès le coup d'envoi, la série frappe dans le mille.




Version française : James Bond contre Dr. No
Scénario : Richard Maibaum, Johanna Harwood, Berkely Mather
Distribution : Sean Connery, Ursula Andress, Joseph Wiseman, Jack Lord
Durée : 110 minutes
Origine : Royaume-Uni, États-Unis

Publiée le : 5 Janvier 2007