ENTREVUE AVEC PIERRE LAFFARGUE ET MC JEAN GAB'1
Jeudi 30 Juillet 2009

Par Mathieu Li-Goyette

En tournée au Canada pour la promotion du film Black, Pierre Laffargue et MC Jean Gab'1 (accompagnés par la productrice Lauranne Bourrachot) étaient donc de passage au Festival Fantasia où nous avons eu la chance d'échanger quelque mots sur la sortie du long-métrage français. Star du hip-hop en France, MC Jean Gab'1 y signe sa première tête d'affiche tandis que pour Laffargue, l'aventure Black était sa première en dehors des circuits de la télévision. Aventureux, sympathique et présentant quelques audaces, Black sort ce vendredi 31 Juillet exclusivement (pour l'instant) à l'AMC Forum de Montréal et au Megaplex Pont Viau à Laval. Film d'été qui promet d'offrir un divertissement certain et différent des grandes productions hollywoodiennes du moment, cette première escapade menée par Jean Gab'1 à mi-chemin entre le blaxploitation et la fable africaine est à ne pas manquer.

Pano : Je trouve que le film se prenait juste assez au sérieux pour que l'action ait du sens, mais en même temps, je pense que de t'avoir choisi de la part de l'équipe de production pour faire le premier rôle, je suppose que les gens se sont identifiés assez vite. Je me demandais quand est-ce qu'on t'avais approché la première fois?

MC Jean Gab'1 : 2004... 2004-2005. J'étais au Festival de Cannes, pour représenter un film que j'avais sorti. Pour celui-là, j'ai rencontré Lauranne Bourrachot, la productrice, et l'autre partie de la production, Marc Cherqui. Je devais aller faire un autre film, ou je sais pas quoi, et ils m'ont accroché et ils m'ont dit que j'étais... prédestiné à jouer dans un film. J'ai dit : « Ouais... », mais j'avais pas pensé que c'était pour le premier rôle. Moi, je m'étais dit : « Ouais, je vais jouer dans un film, kaboom! Ouais, OK, je vais faire mes cinq minutes habituelles et ça ira. » Bon, et puis, je sors un film enfin... Et puis go, trois, quatre mois plus tard, j'ai rencontré le réalisateur et puis on a parlé. Et puis, de fil en aiguille, on a commencé à prendre des rendez-vous, pour déjà faire un casting, comment dirais-je, avec... une femme, après une deuxième, une troisième, une quatrième et une cinquième et je savais même pas que j'étais en train de faire un casting. Donc voilà. Je devais juste apprendre un texte, que j'ai appris, tu sais et voilà. Après, on m'a dit : « Bon, ben, t'es pris dans le film et t'auras le premier rôle. »

Mais, je me suis dit : « Le plus dur maintenant, il reste à faire. » C'est à dire être convaincant, voilà. Donc, au départ je me suis dit, je vais manger tout ce qui est en film, en machin chouette et puis, au bout du deuxième film je me suis dis... tu fais quoi, là? C'est eux, c'est pas le scénario de ton film, le scénario je le connais maintenant, par coeur, donc ça me servait plus à grand chose. La seule chose que je me suis dit, et Pierre [Laffargue] était d'accord là-dessus, c'est que, il faut pas que je sois trop... En fait je voulais justement lever cette image, parce que, je veux dire, quand tu braques, tu es au cinéma, tu connais la fin, le milieu et le début du film, ou le début de ton histoire. Quand tu braques en vrai, tu connais le début, ni le milieu, ni la fin. Ou sinon, tu connais le début, la fin, ouais, c'est dans un pige : ou tu te ranges, ou tu crèves, mais en tous les cas tu connais déjà à peu près les tarots, tandis que là tu sais pas. Donc, tu le fais avec un sourire. Même s'il est narquois, c'est drôle, il va sourire.

Mais, j'ai dit : « Mon pote, là, fais tout ce que t'as envie de faire ou du moins, tout ce qu'on te laisse faire et vas-y ! Maintenant, on n'est plus dans la théorie, on est dans la pratique. Si tu te plantes, t'inquiètes. Dans la semaine, ils vont en trouver un très très vite. Donc, fais en sorte de pas te planter et comme ça, c'est lui qui attendra chez lui avec son téléphone, pendant qu'il continue à se branler. Donc, pour moi, c'était un défi, vraiment un défi. Déjà, je pensais que ça allait être les vacances... Non, ça n'a pas été les vacances. Heureusement que je ne dors pas non plus. Physiquement, voilà, il fallait être là, puisqu'il fallait courir, même si j'avais une doublure. Ma doublure, je lui ai dit : « Tu veux que je te manges? Fallait que je chôme plus, obligé. Tu te rends compte, c'est un premier rôle, je vais pas te laisser faire mes trucs! Je vais les porter, je vais tirer, je vais sauter, voilà, tu m'excuseras. »


MC JEAN GAB'1

Pano : Je me demande, justement, avec Pierre Laffargue, quelle a été ton approche par rapport au fait que, justement, ça paraît que tu t'amuses dans le film? Il y a une espèce de ton ironique là-dedans, tu ne te prends pas nécessairement trop au sérieux. Je me demande comment, dans ton jeu d'acteur, as-tu essayé de te jouer toi-même ou tu as essayé d'interpréter un personnage que tu as composé, à partir de plusieurs inspirations?

MC Jean Gab'1 : La seule inspiration qu'il peut y avoir dans ce film, je te le dis, c'est Beverly Hills' Cop. Pour moi, ça ne peut être que la seule. Tu dis juste que, bon, lui, c'était vraiment porté sur le comique. Là, le truc, c'était pas non plus de porter un buste trop comique. Il fallait le faire, donc la seule qu'il fallait vraiment faire, c'est justement enlever MC Jean Gab'1, et laisser Charles. Charles, il est comme ça, tous les jours. Donc Charles, il peut arriver à faire ça, sans trop se prendre la tête. Charles, il y a des situations où il va arriver à faire, sans se prendre au sérieux parce que ces situations-là, il les connaît déjà. Donc, Charles, il y a un moment qu'il se dit : « Hey, si ces cons, ils s'attendent à ce que tu fasses une gueule de connard pendant six heures, ça sert à rien. Vu que t'as pas de masque, je vois pas l'intérêt. » Tu te dis : « T'es venu pour faire un travail, si possible, tu feras un peu d'éclat, mais pas trop de victimes. Une victime inutile, ça sert pas à grand chose. » Voilà, c'est ça ton jeu.

Pano : Avais-tu déjà eu la proposition de rôle de Banlieue 13 quand les producteurs t'ont approché?

MC Jean Gab'1 : Le premier, oui.

Pano : Quand as-tu pensé à te lancer dans le cinéma tête première? On s'entend, il y a beaucoup de gens du milieu de la musique qui passent au cinéma et ce n'est pas toujours des transitions qui fonctionnent, parfois ils font un film et ça s'arrête.

MC Jean Gab'1 : Comme je dis aux gens, moi, justement, c'est l'inverse. J'ai commencé par le cinéma avant la musique. J'ai commencé en 1995 dans La Haine. Entre ce qui est filmé et ce qui reste dans le film, et même dans le film, je peux te dire, c'est moi. J'ai fais après, Chacun cherche son chat. Je suis dedans, je suis un menuisier. Et j'ai lâché en 1995 et demi, 1996, j'ai dit : « Allez, le cinéma... » C'est surtout que j'étais beaucoup plus tenu, énorme, même que dans le film, largement, c'est ce genre de film où je me suis dit : « Qu'est-ce que je fous là-dedans ? ». C'est qu'après que je me suis mis dans la production musicale et je me suis dit : « Juste de faire de la musique. » Pour Banlieue 13, parce que c'était : « On s'est vu, le mois d'après, hop, ça a tourné et voilà. »

Pano : Est-ce que dans Banlieue 13 II, tu as plus de temps à l'écran?

MC Jean Gab'1 : Ouais, ouais, ouais. Un peu plus, un peu plus. Mais tu vas voir. Chaque chose en son temps. Même si j'ai 42 ans et que physiquement, je fais moins, c'est bien vrai. Il y a un moment où il faut juste te mettre dans ta tête, il y en a qui ont commencé tard et ils y sont arrivés. Mais c'est aussi un moyen d'acheter sa liberté assez rapidement quand ça marche, parce qu'il y a des choses, aller voir ailleurs. Je veux dire, si tu te mets des barrières, t'arrives à rien. C'est la mentalité francophone qui aime les barrières. La mentalité francophone qui te dit ça: il faut pas aller trop loin, t'as pas la bonne couleur. L'anglophone: fais quelque chose.

Segment avec Pierre Laffargue

Pano : J'imagine que vous avez pensé que si c'était trop sérieux, peut-être que les spectateurs allaient débarquer avec l'histoire du serpent, de la panthère et du lion.

Pierre Laffargue : Quand tu lis un scénario et que t'as un mec qui se transforme en homme-serpent, pour le traiter vraiment sérieusement, je pense qu'il faut... c'est pas évident. Bon, dans l'histoire, j'ai pas essayé que ce soit ridicule, mais j'ai essayé effectivement de prendre pas mal de distance avec pas mal de choses pour qu'on puisse faire passer cette mythologie. Donc, il y a pas mal de subordonnées, c'est un film qui a pas mal d'humour. Et en même temps, moi j'aime beaucoup, cette affaire de fantastique africain, donc j'ai essayé de le faire fonctionner correctement.

Pano : Ce qui m'intéresse surtout, c'est l'esthétique, la mise en scène appliquée au film, en particulier les choix esthétiques vers la fin, je pense aux plans subjectifs avec le lion et la panthère. C'est-à-dire que le film commence avec un braquage de banque, assez typique, et qui se transforme tout au long en fable africaine. Est-ce que ça a affecté votre esthétique, votre approche de la mise en scène?

Pierre Laffargue : Oui. En fait, le départ, c'est un braquage presque réaliste. Sinon, le décor quand même très réaliste et c'était volontaire de faire quelque chose de très terre-à-terre à Paris pour que l'Afrique ça paraisse beaucoup plus comme l'aventure. Je voulais que, pour les Français en tout cas, le début à Paris : « Oui, bon, ça ressemble un peu à la vie. » et que ensuite derrière ils partent vraiment vers d'autres aventures. Donc, j'ai essayé d'avoir un côté presque documentaire au départ et puis ensuite... C'est un film qui est en gros coupé en deux, c'est à dire qu'il y a toute une partie où on fait croire que c'est un film de braquage où il va aller dans cette espèce de mythologie du coffre-fort, de la salle des coffres, tout ça, et tout ce qui est dans la banque. Tantôt, on a pas mal travaillé sur ce décor, avec un côté vraiment... On voulait que ça ressemble à un vrai film de braquage, quoi. Tout en sachant que c'en était pas un vrai puisque de toute façon, le braquage, il le fait pas en vrai dans la banque, il part complètement en sucettes et il se retrouve dominé par cette femme très forte. Ensuite, on avait ce glissement vers quelque chose de beaucoup plus fantastique, donc là, j'ai essayé effectivement de tirer ça vers le conte et vers quelque chose qui était pas du tout réaliste ou naturaliste. D'où toutes ces nuits américaines, à la fin, où on est vraiment dans un truc où c'est la nuit, sans être la nuit, on voit bien... C'est un truc pour rêver presque. Et donc effectivement, on a essayé de travailler avec les points de vue des uns et des autres qui sont dans des espèces de visions un peu animales, comme ça, avec pas mal d'effets graphiques, qui sont des effets qui viennent directement des années 70, en fait. Donc, l'effet de sonorisation et de travailler sur les couleurs, parce que, de toute façon, j'avais pas les moyens de faire un truc plus fort, en termes d'effets. J'ai essayé de jouer vraiment un aspect minimaliste pour avoir une expression assez forte.

Pano : Est-ce que vous avez eu des points de départ par rapport à d'autres ou peut-être même des oeuvres littéraires africaines?

Pierre Laffargue : En fait, sur la partie initiation, sur les animaux-totems de chacun, ça c'est plus le scénariste du départ, qui s'appelle Luc Cheval, qui avait travaillé notamment à partir d'un dictionnaire qui s'appelle Amadou Hampâté Bâ et qui avait fait beaucoup de choses là-dessus sur l'initiation. Ce sont des thèmes profondément africains, alors que pour nous, c'est très exotiques, mais pour eux, l'idée qu'il y a quelqu'un qui soit un serpent c'est normal. Enfin, pour la plupart des gens, ça ne pose aucun problème et ils sont à fond dedans. Donc, on est dans un décalage là-dessus. Et c'est aussi pour ça que c'était un aspect du film qui reste un peu sérieux, quand on est dans le village et tout ça, parce que moi, je voulais pas que ce soit ridicule, je voulais être dans un truc de parodie. Il dit : « Tu dois croire. » Donc, tu t'adresses au spectateur!

Pano : vous êtes vraisemblablement allés chercher la musique dans les années 70, comme je disais, je m'attendais plus à un film blaxploitation... jusqu'où ce cinéma-là a-t-il pu vous amener à réaliser Black sous cette perspective?


PIERRE LAFFARGUE

Pierre Laffargue : On est très très proche de ça en effet. Donc, bien sûr, on a regardé pas mal de films. C'est surtout, en fait, comment dire, on reprend un peu les mêmes ingrédients de départ et donc, on obtient à peu près la même chose, c'est-à-dire qu'on a des personnages : des héros noirs, des méchants blancs. On a une histoire assez simpliste avec des personnages très stéréotypés. On a beaucoup d'acteurs assez «rentre dedans» et musique comme à l'époque, donc, c'est vrai que forcément, ça peut concorder comme une expérience chimique, on prend les mêmes ingrédients et on retrouve un peu la même chose. Donc, on est assez proche de ça. On regardait ces films qui étaient tournés très très vite et qui aujourd'hui tiennent encore le coup. Les gars qui faisaient ça, ils savaient quand même ce qu'ils faisaient pour essayer de faire un film avec le dixième du budget qu'il faudrait pour le faire. Donc, c'est tout le temps la course. Alors, on essaye de faire au mieux avec ce qu'on a.

Pano : Par rapport au budget du film et tout ce que cette aventure a impliqué, ce que j'ai lu, sur Internet, c'est que vous aviez déjà participé à une série télévisée, si je ne me trompe pas, donc Black était votre premier long-métrage, la pression de la télévision a dû vous aider ici...

Pierre Lafargue : Comment dirais-je... je développe un projet de thriller qui se passe à Londres. Un truc tourné en anglais et donc, en fait, quand j'avais fait Black, avant ça, j'avais fait Belles à mourir, une série pour la télé qui n'a rien à voir avec les télé-séries françaises. C'est un truc très original pour la télé française, dans lequel il y a pas mal d'action déjà. Donc, je connaissais un petit peu ces questions de mise en scène d'action, mais j'étais quand même... sur le plan narratif et graphique, c'est très différent de ce qu'on fait à la télé en France. Et là, donc, sur Black, oui, c'était une première pour beaucoup de chose. C'était la première fois que que je tournais en 35, que je faisais beaucoup d'effets avec des cascades et de la pyrotechnie, des trucs comme ça, et tout ça dans un temps de travail très serré, donc c'était très stressant.

Pano : Par rapport au tournage, en Afrique, est-ce que vous avez eu des difficultés particulières, jusqu'à quel point avec les autorités locales, mais plutôt par rapport aux permis de tournage, aux scènes d'action? Il y a des scènes d'action qui sont tournées avec public, est-ce que vous avez eu des problèmes avec les gouvernements locaux par exemple?

Pierre Lafargue : Non, parce que ça a été bien préparé. Donc, c'est beaucoup de paperasses. On leur a bien transmis notre méthode d'administration, ils sont très forts sur la lourdeur administrative [rires], mais par contre... non, si les choses sont bien préparées normalement il n'y a pas de problème particulier là-dessus. Les problèmes qu'on a eu, c'était inhérent, on a été obligé de changer d'équipe pyrotechnique donc on a fait venir des studios africains et une fois que les explosifs qu'on a fait venir de France sont arrivés, les Africains m'ont dit qu'ils savaient pas du tout ce que c'était ce truc-là et qu'ils ne pouvaient pas s'en servir. Donc, on s'est retrouvé avec des voitures à faire péter et on avait pas d'explosifs. Donc, il a fallut faire le tour de Dakar, pour essayer de trouver de la poudre noire, ce genre de choses. Et là, vous n'êtes pas obligés de me croire, mais, la vérité, c'est qu'il y a un Corse, qui tient un restaurant à Dakar et dont le hobby le week-end est de faire péter des épaves avec de la dynamite et de la poudre noire pour faire des épaves artificielles. Et donc, c'est lui qui nous a prêter de la poudre noire, gentiment. Voilà. Et donc, on a été obligé de refaire, ce qu'on appelle des marrons, c'est les tubes dans lesquels on met la poudre, donc ils ont préparé ça eux-mêmes dans la chambre d'hôtel. Et comme, c'était la mienne, j'étais un peu inquiet.

Retranscription: Émile Plourde-Lavoie