A B C D E F G H I
J K L M N O P Q R
S T U V W X Y Z #
Liste complète



10 - Chef-d'oeuvre
09 - Remarquable
08 - Excellent
07 - Très bien
06 - Bon
05 - Moyen
04 - Faible
03 - Minable
02 - Intolérable
01 - Délicieusement mauvais



Cotes
Décennies
Réalisateurs
Le Cinéma québécois
La Collection Criterion



2005
2006
2007
2008
2009

ZODIAC (2007)
David Fincher

Par Jean-François Vandeuren

Cinq ans se sont écoulés depuis la sortie du somme toute bien ficelé mais néanmoins décevant Panic Room. Pour les fans de David Fincher, cette longue pause laissa plusieurs questions en suspend. Durant son absence, le cinéma hollywoodien finit par frapper un mur. Comme pour n’importe quel engin poussé aux limites de ses capacités, le réflexe de la ville reine du divertissement fut, dans ses moments les plus lucides, de ralentir considérablement le pas afin d’éviter un autre dérapage qui aurait pu lui être fatal pour ensuite faire demi-tour et réorienter sa propre exubérance. Une initiative qui se traduisit par exemple par le remaniement d'une franchise comme Batman au profit d’une facture artistique plus sobre, mais également plus réfléchie et en bout de ligne hautement plus satisfaisante. Souvent imité, mais rarement égalé, il ne restait plus qu’à voir si l’enfant prodige issu du monde tumultueux du vidéo clip s’adapterait à ce nouveau modèle prônant l’élégance plutôt que la démesure, lui qui affichait déjà un flair visuel jubilant allant parfois au-delà de ce que la technologie était en mesure de créer.

Si Fincher retourne au genre qui lui aura permis de faire ses armes et au coeur duquel il laissa une marque indélébile pour les décennies à venir, quelque chose est néanmoins mis au clair dès les premiers instants du présent effort : Zodiac n’a rien d’un nouveau Se7en. Même si peu présente, il est vrai que la violence dans Zodiac s’avère particulièrement brutale et que l’état de panique, d’incertitude et d’impuissance dont s’alimente ce sixième long-métrage de David Fincher demeure palpable du début à la fin. Pourtant, le réalisateur américain capitalise davantage sur les rouages de l’investigation dont son récit fait état plutôt que son côté macabre. Scrutant l’une des enquêtes criminelles les plus célèbres de l’histoire des États-Unis, Zodiac relate le cas du tueur du même nom qui sévit dans la région de San Francisco et dans quelques localités de la Californie à la fin des années 60 et au début des années 70. Nul ne sait combien de personnes furent tuées de sa main, voire même qui il était réellement étant donné que l’affaire demeure irrésolue encore à ce jour. Celui s’étant le plus rapproché de la vérité fut toutefois le caricaturiste Robert Graysmith. Après avoir mené de manière obsessionnelle une vigoureuse enquête qui s’étendit sur plus d’une décennie, ce dernier publia l’ouvrage qui sert aujourd’hui de fil conducteur au présent effort.

L’occasion était évidemment rêvée pour que David Fincher et le scénariste James Vanderbilt puissent se mettre au diapason d’une enquête policière et journalistique vue la véracité de la présente histoire et, surtout, le fait que celle-ci n’a toujours pas connu de fin heureuse. Au départ, Zodiac se réapproprie de belle façon le ton et le rythme du brillant All the President's Men d'Alan J. Pakula, qui relatait pour sa part les recherches des deux journalistes ayant fait la lumière sur le scandale du Watergate. Le traitement de l’information par les médias forme également une partie importante de la présente équation étant donnée l’attention que le Zodiac cherchait à en tirer et l’intérêt que portent les deux cinéastes aux multiples façons dont une nouvelle peut être présentée au public. Et comme dans le film de 1976, Fincher et Vanderbilt donnent eux aussi au spectateur l'impression de prendre part à l’enquête en cours en soumettant son esprit à la lourdeur d’une telle procédure tout en soulignant vigoureusement, sans toutefois se montrer trop insistants, chaque parcelle d’information afin que ce dernier puisse rapidement l'assimiler. Car les pistes sont nombreuses dans Zodiac et plusieurs ne sont évoquées que par la mention d’un simple nom ou d’un lieu. Fincher parvient malgré tout à rendre la situation de ses protagonistes prenante en nous imprégnant autant de leur optimisme lorsqu’ils semblent se rapprocher du but que de leur déception chaque fois qu’ils se heurtent à un nouveau cul de sac.

La maîtrise exceptionnelle de Fincher sur l’image s’avère évidemment un atout de taille conférant ici tout le relief nécessaire d’un point de vue diégétique à un scénario déjà fort substantiel en soi. D’une part, le réalisateur délaisse complètement les effets de style tonitruants de Panic Room au profit d’un ensemble de plans et de travellings beaucoup plus naturels. Les référents de Fincher aux années 60 et 70 ne se limitent pas non plus qu’aux costumes et aux décors. Le cinéaste signe plutôt un tour de force visuel éblouissant combinant son style bien ancré dans la modernité aux libertés que commençaient à prendre des réalisateurs comme Martin Scorsese et Sidney Lumet à une époque où le cinéma américain était encore en pleine effervescence. Les élans de Fincher sont d’ailleurs agrémentés d’une trame sonore fort à propos réunissant des noms tels John Coltrane, Miles Davis, Donovan et Marvin Gaye pour ne nommer que ceux-ci. Zodiac propose également un gage assez inusité alors que les écrits de James Vanderbilt s’orientent davantage vers la période d’accalmie ayant suivi les principales manifestations du tueur, soulignant alors avec fougue la façon dont le temps se veut bien souvent l’ennemi le plus coriace de ce genre d’histoire condamnée à sombrer progressivement dans l'indifférence.

David Fincher réalise ainsi un film puissant qu’il tonifie d’une approche esthétique plus classique, mais aussi plus méticuleuse, tout en préservant une signature très contemporaine se prévalant des mêmes teintes lugubres et gothiques auxquels le cinéaste nous a habitués depuis ses débuts, lesquelles sont assurées cette fois-ci par Harris Savides, le directeur photo de The Game et de la dernière trilogie de Gus Van Sant. Le film compte également sur une distribution magistrale réunissant Jake Gyllenhaal, Mark Ruffalo, Robert Downey Jr. et Anthony Edwards, lesquels campent merveilleusement un ensemble de personnages admirablement construits. Même si le film s’étire sur près de deux heures quarante minutes, Fincher et les monteurs Kirk Baxter et Angus Wall réussirent à faire de Zodiac un film saisissant qui ne s’essouffle jamais. Ce montage elliptique d’une remarquable fluidité permet du coup au récit de James Vanderbilt de couvrir une période de plus de vingt ans sans jamais en entraver le rythme ou la cohérence. Zodiac s’inscrit ainsi dans une nouvelle lignée de grandes productions hollywoodiennes mettant finalement l’emphase sur l’élégance et l’ingéniosité plutôt que les effets tapageurs élaborés sans la moindre considération pour les mots finesse et postérité.




Version française : Le Zodiaque
Scénario : James Vanderbilt, Robert Graysmith (livre)
Distribution : Jake Gyllenhaal, Mark Ruffalo, Anthony Edwards, Robert Downey Jr.
Durée : 158 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 15 Mars 2007