ZODIAC (2007)
David Fincher
Par Jean-François Vandeuren
Cinq ans se sont écoulés depuis la sortie du somme toute
bien ficelé mais néanmoins décevant Panic Room.
Pour les fans de David Fincher, cette longue pause laissa plusieurs
questions en suspend. Durant son absence, le cinéma hollywoodien
finit par frapper un mur. Comme pour n’importe quel engin poussé
aux limites de ses capacités, le réflexe de la ville reine
du divertissement fut, dans ses moments les plus lucides, de ralentir
considérablement le pas afin d’éviter un autre dérapage
qui aurait pu lui être fatal pour ensuite faire demi-tour et réorienter
sa propre exubérance. Une initiative qui se traduisit par exemple
par le remaniement d'une franchise comme Batman au profit d’une
facture artistique plus sobre, mais également plus réfléchie
et en bout de ligne hautement plus satisfaisante. Souvent imité,
mais rarement égalé, il ne restait plus qu’à
voir si l’enfant prodige issu du monde tumultueux du vidéo
clip s’adapterait à ce nouveau modèle prônant
l’élégance plutôt que la démesure,
lui qui affichait déjà un flair visuel jubilant allant
parfois au-delà de ce que la technologie était en mesure
de créer.
Si Fincher retourne au genre qui lui aura permis de faire ses armes
et au coeur duquel il laissa une marque indélébile pour
les décennies à venir, quelque chose est néanmoins
mis au clair dès les premiers instants du présent effort
: Zodiac n’a rien d’un nouveau Se7en.
Même si peu présente, il est vrai que la violence dans
Zodiac s’avère particulièrement brutale
et que l’état de panique, d’incertitude et d’impuissance
dont s’alimente ce sixième long-métrage de David
Fincher demeure palpable du début à la fin. Pourtant,
le réalisateur américain capitalise davantage sur les
rouages de l’investigation dont son récit fait état
plutôt que son côté macabre. Scrutant l’une
des enquêtes criminelles les plus célèbres de l’histoire
des États-Unis, Zodiac relate le cas du tueur du même
nom qui sévit dans la région de San Francisco et dans
quelques localités de la Californie à la fin des années
60 et au début des années 70. Nul ne sait combien de personnes
furent tuées de sa main, voire même qui il était
réellement étant donné que l’affaire demeure
irrésolue encore à ce jour. Celui s’étant
le plus rapproché de la vérité fut toutefois le
caricaturiste Robert Graysmith. Après avoir mené de manière
obsessionnelle une vigoureuse enquête qui s’étendit
sur plus d’une décennie, ce dernier publia l’ouvrage
qui sert aujourd’hui de fil conducteur au présent effort.
L’occasion était évidemment rêvée pour
que David Fincher et le scénariste James Vanderbilt puissent
se mettre au diapason d’une enquête policière et
journalistique vue la véracité de la présente histoire
et, surtout, le fait que celle-ci n’a toujours pas connu de fin
heureuse. Au départ, Zodiac se réapproprie de
belle façon le ton et le rythme du brillant All the President's
Men d'Alan J. Pakula, qui relatait pour sa part les recherches
des deux journalistes ayant fait la lumière sur le scandale du
Watergate. Le traitement de l’information par les médias
forme également une partie importante de la présente équation
étant donnée l’attention que le Zodiac cherchait
à en tirer et l’intérêt que portent les deux
cinéastes aux multiples façons dont une nouvelle peut
être présentée au public. Et comme dans le film
de 1976, Fincher et Vanderbilt donnent eux aussi au spectateur l'impression
de prendre part à l’enquête en cours en soumettant
son esprit à la lourdeur d’une telle procédure tout
en soulignant vigoureusement, sans toutefois se montrer trop insistants,
chaque parcelle d’information afin que ce dernier puisse rapidement
l'assimiler. Car les pistes sont nombreuses dans Zodiac et
plusieurs ne sont évoquées que par la mention d’un
simple nom ou d’un lieu. Fincher parvient malgré tout à
rendre la situation de ses protagonistes prenante en nous imprégnant
autant de leur optimisme lorsqu’ils semblent se rapprocher du
but que de leur déception chaque fois qu’ils se heurtent
à un nouveau cul de sac.
La maîtrise exceptionnelle de Fincher sur l’image s’avère
évidemment un atout de taille conférant ici tout le relief
nécessaire d’un point de vue diégétique à
un scénario déjà fort substantiel en soi. D’une
part, le réalisateur délaisse complètement les
effets de style tonitruants de Panic Room au profit d’un
ensemble de plans et de travellings beaucoup plus naturels. Les référents
de Fincher aux années 60 et 70 ne se limitent pas non plus qu’aux
costumes et aux décors. Le cinéaste signe plutôt
un tour de force visuel éblouissant combinant son style bien
ancré dans la modernité aux libertés que commençaient
à prendre des réalisateurs comme Martin Scorsese et Sidney
Lumet à une époque où le cinéma américain
était encore en pleine effervescence. Les élans de Fincher
sont d’ailleurs agrémentés d’une trame sonore
fort à propos réunissant des noms tels John Coltrane,
Miles Davis, Donovan et Marvin Gaye pour ne nommer que ceux-ci. Zodiac
propose également un gage assez inusité alors que les
écrits de James Vanderbilt s’orientent davantage vers la
période d’accalmie ayant suivi les principales manifestations
du tueur, soulignant alors avec fougue la façon dont le temps
se veut bien souvent l’ennemi le plus coriace de ce genre d’histoire
condamnée à sombrer progressivement dans l'indifférence.
David Fincher réalise ainsi un film puissant qu’il tonifie
d’une approche esthétique plus classique, mais aussi plus
méticuleuse, tout en préservant une signature très
contemporaine se prévalant des mêmes teintes lugubres et
gothiques auxquels le cinéaste nous a habitués depuis
ses débuts, lesquelles sont assurées cette fois-ci par
Harris Savides, le directeur photo de The Game et de la dernière
trilogie de Gus Van Sant. Le film compte également sur une distribution
magistrale réunissant Jake Gyllenhaal, Mark Ruffalo, Robert Downey
Jr. et Anthony Edwards, lesquels campent merveilleusement un ensemble
de personnages admirablement construits. Même si le film s’étire
sur près de deux heures quarante minutes, Fincher et les monteurs
Kirk Baxter et Angus Wall réussirent à faire de Zodiac
un film saisissant qui ne s’essouffle jamais. Ce montage elliptique
d’une remarquable fluidité permet du coup au récit
de James Vanderbilt de couvrir une période de plus de vingt ans
sans jamais en entraver le rythme ou la cohérence. Zodiac
s’inscrit ainsi dans une nouvelle lignée de grandes productions
hollywoodiennes mettant finalement l’emphase sur l’élégance
et l’ingéniosité plutôt que les effets tapageurs
élaborés sans la moindre considération pour les
mots finesse et postérité.
Version française :
Le Zodiaque
Scénario :
James Vanderbilt, Robert Graysmith (livre)
Distribution :
Jake Gyllenhaal, Mark Ruffalo, Anthony Edwards,
Robert Downey Jr.
Durée :
158 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
15 Mars 2007