ZELIG (1983)
Woody Allen
Par Alexandre Fontaine Rousseau
La critique la plus commune adressée à l'égard
de Woody Allen est qu'il refait prétendument le même film
coup sur coup, modifiant quelques détails insignifiants pour
chaque nouvelle sortie. Il y a certes un fond de vérité
à cela. New York n'est jamais bien loin dans le portrait, Freud
a fort souvent son mot à dire quelque part dans l'histoire et
le personnage de névrosé à lunette qu'interprète
Allen semble fort souvent confronter les mêmes problèmes
ainsi que les mêmes actrices. On pourrait aussi accuser Bergman
de se répéter en faisant toujours de longs films lents,
critiquer la propension à l'onirisme et à la nostalgie
de Fellini et trouver que Kurosawa abuse de notre patience et de Toshiro
Mifune avec ses innombrables histoires de samouraïs. On peut ne
pas aimer Allen, mais l'accuser de n'avoir jamais eu quoi que ce soit
de neuf à dire revient à rejeter le concept d'unité
stylistique et de griffe personnelle d'un seul geste insensé.
Qui plus est, bien bête est celui qui déclarera que Zelig
n'est qu'un vulgaire clone d'Annie Hall.
En fait, Zelig est vraiment dans une classe à part au
sein de la filmographie du célèbre cinéaste new-yorkais.
Manhattan et Annie Hall demeurent de toute évidence
les meilleurs films de Woody Allen, mais ce faux documentaire sur la
vie de l'homme-chaméléon Leonard Zelig (Woody Allen, bien
entendu) est sans l'ombre d'un doute son plus original et son plus inventif.
Relatant à l'aide d'images d'archives authentiques, fabriquées
ou trafiquées la vie d'une légende oubliée de l'Amérique
des années 20, Zelig brouille avec un plaisir tangible
la ligne entre la réalité et l'imaginaire. Ce faisant,
Allen concocte une oeuvre sensible, intelligente et surtout très
drôle sur le conformisme.
Car Zelig souffre d'un étrange trouble mental qui lui permet
de devenir à sa guise ce qui l'entoure. Cette capacité
de transformation à la fois formidable et pathétique découle
de sa crainte viscérale de l'exclusion, d'un désir absolu
de se fondre dans le décor et de plaire à tous. Son cas
fascinera l'Amérique et intéressera tout particulièrement
une jeune psychologue (Mia Farrow) convaincue qu'elle peut soigner cet
étrange phénomène et lui restituer son identité.
Voilà une prémisse riche et fort comique qu'un montage
ingénieux de même qu'un habile sens du pastiche rendent
éminemment crédible. Tout y est pour créer l'illusion
de véracité, des témoignages contemporains aux
documents d'époque en passant par une intelligente intégration
de ces évènements fictifs à des éléments
historiques clés tels que la montée du fascisme et le
krach boursier de 1929.
Toutefois, Zelig est plus qu'un savant tour de passe-passe
visuel et formel. Certes, les trucages franchement réussis y
sont de toute évidence pour quelque chose dans la réussite
du film. Mais Zelig est d'abord et avant tout une merveilleuse
comédie typiquement allenienne où s'enchainent les bons
jeux de mots et d'esprit ainsi que les observations tendres et absurdes.
Rarement le duo Allen/Farrow a-t-il été aussi à
l'aise à l'écran, celle-ci s'avérant particulièrement
nuancée dans le rôle d'Eudora Fletcher.
En tout et pour tout, ce douzième film d'Allen à titre
de réalisateur s'inscrit aisément parmi les cinq meilleurs
de sa filmographie et demeure encore aujourd'hui l'une des plus amusantes
comédies de l'histoire à avoir mimé l'approche
documentaire. C'est un exercice que le New-yorkais tentera en quelque
sorte une seconde fois, une quinzaine d'années plus tard, avec
le Sweet and Lowdown de 1999 sans pour autant égaler
le charme infini de cette première expérience. Bijou parfois
oublié de la riche filmographie d'Allen, Zelig demeure
un incontournable de l'humour américain moderne à l'écran.
Version française :
Zelig
Scénario :
Woody Allen
Distribution :
Woody Allen, Mia Farrow, John Buckwalter, Patrick
Horgan
Durée :
79 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
4 Août 2005